VIE PRIVEE
240 pages
Français

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VIE PRIVEE , livre ebook

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Description

Dans Vie privée, Christian Gachet brise le silence sur les abus sexuels incestueux, l'emprise psychologique que lui a fait subir sa mère, et les circonstances qui les ont favorisé.
L'auteur a franchi diverses étapes que l'on devine dans le livre : d'abord le déni du caractère morbide de l'inceste et de l'universalité du tabou, puis une prise de conscience progressive induite par la fréquentation d'un espace social différent de celui qu'il avait pu connaitre, ensuite un poids très lourd à porter. Enfin la conscience, venue avec le temps, que cette part de sa vie privée avait une portée publique, sociale et politique.





Christian Gachet est né à Strasbourg en 1959 où il a fait ses études. Médecin


et pharmacologue de formation, il a consacré l’essentiel de sa vie professionnelle


à la recherche biomédicale en hématologie, puis a quitté ses fonctions pour se


destiner à l’écriture.




Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 09 mars 2023
Nombre de lectures 33
EAN13 9791091590624
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0097€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

ISBN : 979-10-91590-62-4
À Myriam Saguy
T ABLE DES MATIÈRES
Page de titre
Page de copyright
Dédicace
Partie I
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Partie II
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Aux éditions La Valette
Coéditions avec Le Noyer Édition
Aux Éditions le Noyer
J’ai fait récemment ce rêve après une nuit d’amour : de mon oreille sortait comme par régurgitation une somme de saletés indescriptibles, lambeaux, fragments, putrescences anciennes, pus caséeux, bouts de chiffons, immondices, un limon sale d’égout bouché. À la fin, dans les viscosités, un stylographe : une invitation au travail.
Nous sommes tous issus du travail d’une mère et de sa délivrance. Gésine, effort, poussée, expulsion, cris. Et puis, l’enfant, sur le ventre. Les mains, les bras de la mère, qui caressent, qui réchauffent, et son visage se reforme doucement. L’obstétricien accomplit sa tâche, recoud, examine. La sage-femme soigne. Travail, expulsion, délivrance. Des jours de soins communautaires, les femmes à leur affaire, entre elles, avec les petits, les nouveau-nés, les nourrissons, sans inscription encore, entre-deux, dans les limbes sociaux. Les femmes soignent les femmes alitées, en réparation.
Que s’est-il donc passé pour moi ? Je ne le sais pas. J’entreprends ici un grand chantier. Ce terrain, je ne le connais que vaguement. Bien des choses ont changé. Tout est très vieux. J’avance prudemment, comme après une tempête, une catastrophe. Il ne s’agit pas encore de construire, ni même de reconstruire. Il s’agit de déblayer, de trier, de voir s’il reste des survivants et d’enterrer les cadavres. Ce charnier, si c’en est un, a été voué longtemps à l’ignoration. Ignoration : volonté d’ignorer. On a vécu dessus, marché, dansé, pleuré. Le temps est venu de creuser, d’éventrer, d’excaver, de mettre au jour, faire naître. Qui ? Quoi ? Quelle vérité ?
PARTIE I
1
J’ai toujours aimé l’école. Pour quelles raisons M lle  Ott ne m’aimait-elle pas ? Je l’ignore et j’en conçois, rétrospectivement, une certaine peine. M lle  Ott était l’institutrice du cours préparatoire où j’ai appris à lire, à écrire et à compter. J’avais un penchant pour les enseignantes qui, souvent, me le rendaient bien. Avec M lle  Ott, ça ne fonctionnait pas. Je n’étais pas mauvais élève, au contraire. Indiscipliné peut-être. Frustré d’une élection dont j’avais goûté le charme puissant au jardin d’enfants et à la maternelle. Les puéricultrices, les monitrices, les maîtresses m’aimaient bien ; je m’y habituais et j’en étais fier. Souvent j’étais choisi pour faire un petit discours, pour présenter le spectacle de l’école. C’était différent au CP et je ne me l’expliquais pas.
Un jour que je m’étais plaint d’avoir été mis au coin par M lle  Ott, le père Wagner me dit :
« La prochaine fois, tu n’auras qu’à pisser contre le mur ! »
J’ai le goût de la facétie. Il ne m’a pas été difficile de me faire renvoyer au coin ni d’exécuter le plan ourdi par le père Wagner. La classe était logée dans une roulotte, chauffée par un poêle à mazout. Pour y accéder, une petite volée de marches menait à un vestibule, où, sur une planche murale à mi-hauteur, étaient fixées les patères qui soutenaient nos vestes, manteaux, écharpes, casquettes, bonnets. Après le vestibule, la classe elle-même, ses tables d’écolier à deux places et pourvues de leurs encriers en verre, remplis chaque jour d’encre fraîche, le bureau de la maîtresse, le tableau, les boîtes de craies, craies blanches, craies de couleur, vertes et rouges. Au mur, diverses cartes de France, les forêts et les montagnes, les fleuves, les rivières, l’agriculture, l’élevage. Des affiches avec les principaux champignons comestibles, les mortels aussi.
Je pissai courageusement, fier de la flaque formée au sol. L’orage qui s’abattit sur moi a duré plusieurs jours. M lle  Ott d’abord, très en colère et méprisante, le directeur de l’école ensuite, qui réussirent à me faire peur et honte. Et puis, le père Wagner et son fils, militaire de carrière, venus protester, pour, soi-disant, me défendre. Ils ont seulement aggravé ma situation.
L’ai-je dit ? J’ai grandi en Alsace, dans une famille banale, gaulliste, travailleuse, très modeste, qui faisait son bon beurre en élevant les enfants de ceux qui ne le pouvaient pas. Parents nourriciers, dit-on. Nous, ma sœur et moi, les appelions Opa et Oma, qui, en alsacien, désignent le grand-père et la grand-mère. Le père Wagner se prénommait Armand. Il portait une petite moustache en brosse à dents, qui en rappelait une autre. Le cheveu rare, coiffé en arrière, le cou maigre émergeant d’un col de chemise trop large, le teint bistre de fumeur invétéré, il pouvait faire peur. Il avait eu plusieurs infarctus et ne travaillait plus. Il jouissait d’une pension d’invalidité. Elle, s’appelait Marguerite et ne parlait pas un mot de français. Elle faisait le marché hebdomadaire pour y vendre des fleurs. Elle distribuait aussi le lait du goûter à l’école où nous allions, dans une petite cabane devant laquelle les enfants attendaient, en file, pour obtenir un gobelet. Je me souviens essentiellement de ses yeux bleus, de ses cheveux gris bouclés, assez courts, de sa poitrine opulente, de ses gilets de laine. Je ne me rappelle pas sa voix. Obèse, elle ne fermait pas la porte des toilettes lorsqu’elle y était. Elle y prenait ses aises en lisant le journal, en allemand. Les odeurs mêlées du papier, de l’encre et de ses excréments flottaient dans l’air.
Nous habitions à Strasbourg, dans l’un des blocs d’immeubles de cinq étages, tous identiques, construits le long de la Bruche, près de sa confluence avec l’Ill, dans le quartier de la Montagne Verte. Ancien ouvrier du bâtiment, le père Wagner avait installé un véritable atelier dans la cave. Ça sentait la limaille de fer, agglutinée sur un aimant puissant, le charbon qu’il stockait là, les pommes de terre aussi. Un étau, des râpes à bois, des marteaux, des tenailles, des vrilles. Et puis des casiers, pleins de vis, de clous, de boulons, d’écrous.
L’appartement, au premier étage, donnait sur l’arrière. L’entrée menait directement à la cuisine et à la chambre des Wagner. Un petit couloir conduisait vers une salle à manger et la chambre où nous dormions, ma sœur et moi, dans le même lit. Au fond du couloir, la salle de bains. Plus près de l’entrée, à droite, les toilettes, exiguës. Dans un angle de la salle à manger trônait un meuble qui contenait la télévision, à mi-hauteur, et un électrophone tourne-disque automatique où l’on pouvait empiler jusqu’à dix 45 tours qui étaient joués successivement. Une armoire sans cachet, une grande table, un divan, complétaient l’ameublement. La salle à manger jouxtait la cuisine ; on y accédait par une porte entre les deux pièces. Une porte à double battant, qui ouvrait sur le couloir, en était l’entrée d’apparat. À l’opposé de la cuisine, ne communiquant qu’avec la salle à manger, une chambre, destinée à la famille de passage, servait aussi de lieu pour la couture et de débarras.
Depuis la cuisine et la salle à manger, la vue donnait sur le terrain vague où j’avais le droit d’aller jouer puisque le père Wagner pouvait m’y surveiller. Je m’imaginais cow-boy, indien ou cheval, selon les jours. Je chevauchais des pur-sang qui n’obéissaient qu’à moi. D’une tape sur la croupe, ils m’emportaient au galop à travers les vastes espaces du Far West. D’une simple traction sur les rênes, ils arrêtaient leur course. Coincé dans ma culotte courte, le poignard en bois que m’avait confectionné le père Wagner me rendait invulnérable. À l’heure du repas, c’est par un coup de sifflet et un geste de la main vers sa bouche, mimant le fait de manger, que, depuis la fenêtre de la cuisine, il m’intimait l’ordre de rentrer. J’obéissais sur-le-champ.
Une éducation alsacienne, c’est une méthode, une discipline.
Le bain hebdomadaire, le samedi soir, une seule eau pour ma sœur et moi, savonnage et rinçage compris. Avant cela, les ongles, pieds et mains, rapidement coupés en pointe. Nous étions assis sur la table de la cuisine, côte à côte ; le père Wagner officiait, nos pieds sur ses genoux, ciseaux, coupe-ongles. Je me rappelle le savon piquant et l’odeur du vinaigre, dans les cheveux, qui s’exhalait, les jours suivants, à chaque pluie. Propres le samedi soir, c’est dans la salle à manger que, le lendemain, nous trouvions et revêtions les habits du dimanche.
Les repas, cuisine familiale, traditionnelle, pauvre. Pas de choucroute, pas de tarte à l’oignon, pas de filet mignon de porc et ses spaetzle, pas de baeckeoffe, rien de toutes ces apothéoses gastronomiques alsaciennes. Nous mangions des pommes de terre, du pain, de la charcuterie. Régime alimentaire carencé, ma sœur était rachitique. Des soupes, légumes, orties, tapioca. Des dîners de café au lait et tartines. Ces jours-là, le père Wagner était à l’ouvrage. Il coupait des petits bouts de pain qu’il garnissait de tranches de salami, de saucisse de viande, de menues portions de mettwurscht , de saucisse de foie, et les répartissait entre nous à mesure que nous les avalions. Presque la becquée. Des plats cuisinés, du mou de porc, de la tétine de vache, des carrés de semoule frits. Parmi les bonnes choses, la livèche dans la soupe de légumes et les quenelles de moelle, les jours, rares, de pot-au-feu. Quand il y avait du lapin, troqué sans doute, on me donnait la tête, supposée me rendre intelligent. Nous buvions du vin sucré coupé d’eau. Souvent ma sœur faisait la fine bouche. Moi, jamais. Je mangeais bien, j’étais sage.
Lorsque ma sœur s’obstinait à ne pas se nourrir, on débarrassait la table, y allongea

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