La langue des filles
137 pages
Français

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La langue des filles , livre ebook

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Description

Notre propos : débusquer, sous les mots, la permanence d'un destin au féminin. Ziza n'a que quelques heures et elle braille déjà dans son berceau, comme son voisin masculin, elle clame sans élégance et sans retenue sa voracité, son désir de survivre, d'avoir droit au sein salvateur. L'apprentissage au féminin, long et systématique, passe par le langage. Narrer la découverte, par une fillette, des mots dont elle dispose pour devenir femme. Tenter également de déceler des mots porteurs d'injonctions, générateurs de représentations, très massivement sexuées.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 novembre 2010
Nombre de lectures 88
EAN13 9782296710412
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La langue des filles
Françoise Week


La langue des filles
Le roman de l’apprentissage linguistique du féminin


L’H ARMATTAN
Ouvrages du même auteur

L’Accent grave et l’Accent aigu , Parcours de lecture Jean Tardieu , Bertrand-Lacoste, Paris, 2000
Petite mythologie de nos rêves immobiliers , L’Harmattan, Paris, 2006
Faire écrire étudiants et lycéens, plaidoyer pour une écriture de création , L’Harmattan, Paris, 2006
Putain d’accent ! Comment les méridionaux vivent leur langue , L’Harmattan, Paris, 2007


© L’H ARMATTAN , 2010
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-13211-5
EAN : 9782296132115

Fabrication numérique : Actissia Services, 2012
À mes Petiotes
Avant propos Le regard décapant d’une jeune huronne
Ziza n’a que quelques heures et elle braille dans son berceau, comme son voisin masculin, elle clame sans élégance et sans retenue sa voracité, son désir de survivre, d’avoir droit au sein salvateur. Peu lui chaut encore d’être femme. L’apprentissage sera long et systématique. Certes elle est déjà vêtue de rose et on l’a outillée d’un prénom doublement féminin puisqu’il est marqué du A classificatoire et qu’il s’agit d’un diminutif : une existence au féminin s’inaugure sur le mode visuel et surtout langagier. À l’heure où le sexe est assigné de plus en plus tôt, dès avant la naissance de l’enfant – lui attribuant ainsi un « statut social virtuel {1} » et faisant surgir tout un lot d’anticipations – dès lors que « le genre colle donc au sexe avant même que le sexe n’existe réellement {2} », un véritable parcours du combattant doit conduire l’impétrant(e) à choisir son camp très vite, à savoir opter pour un habitus corporel sexué, c’est à dire une « (…) disposition permanente, manière durable de se tenir, marcher, et, par là, de sentir et de penser {3} ». Sous peine donc de passer pour une virago, qui, habillée comme un sac, s’adonne au tabac fort et boit de la bière en rotant et jurant, elle devra avoir peur des araignées et des souris, apprendre à marteler le fauteuil de ses petits points pour signifier sa colère, se forger une voix de tête, faire voleter joliment ses mains, jouer les pom-pom girls des garçons lors de leurs matchs de foot, éclater d’un rire argentin à leurs blagues. Mais – protestent en chœur les experts de tout poil, les éditorialistes disertes et exaltées de la presse féminine, les anonymes informés, Monsieur et Madame tout le monde, les jeunes femmes dynamiques, leurs compagnons, nouveaux pères, experts en art ménager, les adolescentes tatouées et effrontées, les femmes fortes, narquoises, sexy et dominatrices , les retraitées charrette , dopées au scrabble et aux cours d’histoire de l’art – tout cela n’existe plus, la vision est passéiste, ces clichés surannés n’ont plus cours, le problème est dépassé, foin des récriminations ringardes de féministes attardées ! Circulez, il n’y a plus rien à voir ! Nous-mêmes, sidérée par une telle unanimité, une si formidable cécité, hésitons à revisiter ces thématiques éculées : à quoi bon déterrer la hache de guerre ? Applaudissons plutôt au libre envol de la belle plante, sportive, cultivée, sûre d’elle, contrôlant ses affects, autonome et ambitieuse qu’est la jeune fille moderne ! Comment alors recouvrer une capacité à voir ce qui n’est plus visible, ce qui est occulté par un discours dominant péremptoire ? Comment oser faire un état des lieux et surtout comment se doter d’un regard neuf ? Tenter alors d’outiller l’adulte devenue, l’enfant grandie, d’un regard naïf et frais, celui d’une enfant ou d’une adolescente – fiction naïve, avatar modeste du huron voltairien ou de persans étonnés – saisissant le monde au ras des mots. Le personnage est nourri de résurgences mémorielles furtives : perceptions enfantines lointaines et à demi-effacées, il s’étoffe aussi d’une collecte actuelle de mots de fillettes – comme l’affirmation réitérée de cette toute petite fille : « Je deviendrai un garçon quand je serai grande. » Narrer donc la découverte, par une fillette, des mots dont elle dispose pour devenir femme, sa déconvenue devant l’étroitesse des moyens concédés, son étonnement devant le caractère genré de tout le lexique, de la syntaxe et des modes d’énonciation labellisés. En bref, reconstituer son entrée dans l’univers langagier des femmes, ses apprentissages pour se dire femme, ses efforts pour dire alors qu’elle est née femme.
Épaulé par la fiction de ce regard neuf et incisif, voire inquisiteur, le regard de l’adulte devenue va tenter de déceler, sous le mythe du Tout a changé , ce qui demeure, immuable, dissimulé au cœur des mots qui découpent le réel et donc régentent nos vies, des mots porteurs d’injonctions, générateurs de représentations très massivement sexuées. En retour, ces naïvetés opératoires s’étaient sur la réflexion de l’adulte, ses expériences et ses lectures, dans un va et vient peu soucieux de la concordance des temps et des chronologies, s’essayant à une temporalité autre, temps et subjectivités mêlés. Voix et regards confondus, le tandem explore le très concret des mots et des choses où nichent le symbolique et le prégnant, le contraignant et le suggéré, bref, le guidage sournois de nos vies. Tout est revisité sur le mode de l’étonnement natif face au socialement construit, qui s’abrite derrière l’ évidence du naturel. Des vélos pour homme à la grammaire gestuelle du féminin, en passant par le droit canon des valeurs qui gouvernent le deuxième sexe ou par l’addiction à l’amour qui le fonde, des interdits langagiers aux injonctions à la propreté ou à la délicatesse, des littératures spécifiques aux préconisations de la presse spécialisée, se dessine une cartographie d’un destin au féminin encore nettement descriptible aujourd’hui. Il convient aussi, au delà des constats navrants, de goûter la drôlerie de cette collection de phrases reçues , de ces dispositifs langagiers qui disent leur vérité et impose leur norme. Ironie et humour caustique restent des armes majeures pour débusquer les invisibilités.
Premiers constats : le sexe des mots et des choses

Le catalogue « Outillage et matériel » de Point.P
Ziza s’abîme dans la contemplation de la couverture du catalogue Outillage & matériel de la chaîne de magasins Point.P . C’est qu’elle contient tous les mystères d’une virilité tranquille, évidente et triomphante. Un homme à la large mâchoire, coiffé d’un casque vissé à son front bas par un harnais textile 8 points d’ancrage et mollette de serrage , renforcé d’une basane en cuir anti-transpirante , un homme, donc, ébauche un sourire très maîtrisé : bouche close, solidement encadrée par la parenthèse marquée des plis naso-géniens. Le nez est fort, bien formé, conquérant, les pores latéraux sont visibles ainsi qu’une légère brillance, la peau nue s’exhibe méprisant les faux semblants – poudre ou fond de teint – caractéristiques des trucages féminins. Le rasage, soigné, laisse cependant percevoir les points noirs d’une barbe sous-jacente vigoureuse. L’oreille, que le casque dégage largement, est mise en valeur par l’absence de tout élément capillaire : la zone est tondue avec soin. Le regard est décisif : yeux brûlants, légèrement rieurs, fixés sur un horizon invisible qui semble pleinement combler le scrutateur, serein, déterminé, prêt à agir sur le monde, à bâtir du concret, à laisser trace de son passage ici-bas. L’énergique visage se détache sur un fond bleu-horizon où s’inscrit l’ombre portée du héros bâtisseur. Mais Ziza ne voit que l’essentiel : une pomme d’Adam triomphante, que met en valeur la position trois quarts face, une pomme d’Adam qui vaut comme accréditation, comme sésame, comme sceptre.
Le feuilletage du catalogue lui procure d’autres sidérations, il déroule un univers langagier au puissant mystère, une liturgie envoûtante qui suggère des possibilités d’entreprises confondantes. Elle liste ses préférés, s’en gargarise comme autant de formules magiques ouvrant au monde merveilleux des tâches viriles, des travaux , des chantiers qui transforment le réel – bien loin des mesquines activités ménagères. Dans sa poussette de bébé elle demandait déjà à s’arrêter, terrorisée et fascinée, devant les chantiers urbains : chocs retentissants, affairement des hommes, cris, ordres aboyés, marmites énormes des bétonneuses, palissades dissimulant l’orgie de l’entreprise.
Elle choie partic

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