Heures fauves
334 pages
Français

Heures fauves , livre ebook

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334 pages
Français

Description

À Vénissieux, le nouveau lycée professionnel industriel rassemblait les exclus des établissements scolaires de l'académie de Lyon. Certains jeunes soumis à leurs pulsions récurrentes, sont fascinés par la force, le fric et la frime. Dans des classes de 35 adolescents, l'agressivité des élèves rendait la cohabitation dificile. Fruit du récit d'un ancien élève, retranscrit et complété par sa professeur, ce témoignage s'adresse à tous ceux intéressés par l'éducation et les relations adolescents/adultes.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2013
Nombre de lectures 23
EAN13 9782296535923
Langue Français
Poids de l'ouvrage 8 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1200€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

7,50
Jacqueline Mazard
H E U R ES FAUVES
Enseigneretapprendre
dansunlycéedebanlieue
Heures fauves
Jacqueline Mazard
Heures fauves Enseigner et apprendredans un lycée de banlieueTémoignage
© L'Harmattan, 2013 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Parishttp://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-336-29356-1 EAN:9782336293561
À Jean-Claude
 I. Le Parc de la Tête d’Or Insensible à la beauté des grands arbres et aux parfums délicats qui lui parvenaient de la Roseraie, son attention concentrée sur l’allée, il attendait neuf heures, afin qu’elle raconte Vénissieux pour Sandrine. Sa filleule, comme bien d'autres, rencontrait des difficultés dans son Lycée. Elle les avait avouées à lui seul, son parrain, à demi-mot. Madame Delorme, Blandine, sa professeure de troisième année CAP -Certificat d'Aptitude Professionnelle - avait accepté leur rencontre pour qu'ils racontent, maintenant adultes, leurs souvenirs, ainsi que ceux des anciens du Lycée Professionnel Marc Seguin, évoqués dans son garage, concessionnaire Peugeot. Dans son costume gris, sa chemise blanche, il regardait avec fierté ses boutons de manchettes en or, comme le signe de son ascension sociale. Grâce à Blandine, rencontrée au bon moment, il revenait de loin. Elle ne pouvait reconnaître dans l'homme mûr, solide, l'élève malingre qu'il avait été. Son assurance actuelle gommait définitivement l’anxiété, l’instabilité, la fragilité de l’élève de troisième année CAP du LP Marc Seguin Vénissieux les Minguettes, quartier que la presse avait révélé, en 1981. Les ados s’agitaient. En 1976, rien n’était dit, mais tout existait déjà. Dans le LP tout neuf, Avenue Marcel Semba, avaient été rassemblés en 1973, tous les exclus des établissements scolaires de la région lyonnaise. Dans cet immense panier de crabes, chacun voulait dominer les autres, par la force physique d’abord, la gueule ensuite. Or, il n’avait ni l’une ni l’autre ! Plus jeune que la plupart des élèves, il était devenu un soumis, jusqu’en troisième année, l’année de la prof de français. Le temps avait passé, mais l’humiliation n’avait pas disparu, surtout la dernière. Trente ans après, devenu Monsieur Naulard, le chef d’entreprise se souvenait encore de Tête de lard, l’exécutant, le soumis, le pantin de deux ou trois leaders capricieux qui jouaient à de drôles de jeux.
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Emprunter une grosse bagnole sur le parking du « Carrouf », rouler au max sur la route de Marseille, le port mythique, la porte du Maghreb. C’est Tête de lard qui devait ouvrir la bagnole, pour les autres qui la conduiraient. Il restait derrière, témoin muet de leurs exploits, des dangers qui les menaçaient. Il séchait donc, involontairement, le cours de dessin indus, et deux heures après, tous revenaient pour le cours de français. Les autres se vantaient : - On a fait du 180, 200 tout le long ! Ils flambaient ! En réalité, du 140, 160 seulement, mais le risque, les émotions y étaient tout autant. Tête de lard arrivait le cœur battant, les mains moites, la tête ailleurs. Surpris d’être encore vivant, car lui, n’avait pas bu, avant l’exploit. Il avait gardé sa lucidité. Après un effort pour écouter son nom, il levait la main comme les autres, signalant sa présence avant de se faire oublier. Regardant Madame Delorme, il avait peur pour elle, car il avait peur pour lui. N'ayant rien oublié, il sentait l’émotion ancienne le submerger. Arrivés quelques minutes en retard, l’appel n’étant pas fini, les trois Ben étaient rentrés tout contents, fiers de leur aventure. Madame Delorme avait dit calmement : - Je vous rappelle que les retardataires copient le texte dès maintenant et notent la cause de leur retard. Vous laissez vos feuilles sur le coin de votre table pour que je les prenne au plus tôt. Copiez sans oubli, pour ne pas recommencer ! Il pensa intensément : Benmouffok m’avait regardé avec méchanceté. J’avais compris que je devais copier pour lui. Je l’avais fait avec honte et rage ! Madame Delorme allait-elle découvrir la combine ? Monsieur Naulard attendait et se souvenait, troublé. Tout était encore précis, restitué par sa mémoire et ses émotions. Elle les avait gardés tous les deux pendant la récré. Il avait 16 ans, l’autre en avait 18 : violent, irascible, impulsif. Il l’écrasait. Cyril Naulard n’était pas le seul à subir sa violence. Dès le premier instant, tous s’étaient aperçus que Benmouffok détestait la prof. Elle lui avait interdit de fumer en classe !
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L’ado, renvoyé plusieurs fois de divers établissements, avait ricané : - Vous avez peur de vous faire mal noter par le viseur, s’il sait que vous laissez fumer les élèves ! -J’ai peur pour mes poumons, ceux de vos collègues et même les vôtres. A propos de la note donnée par le proviseur, vous n’avez rien compris des quelques mots que j’ai dits, il y a un instant. Il ricana. - On dit ça ! Tous les profs marchent à la carotte ! Vous êtes tous pareils. Vous, comme les autres ! Elle le regardait fixement, pour lui répondre : -Tout à l’heure, quand je vous ai dit que vous pouviez dormir en classe, l’un de vous a répondu : « Que dira le viseur s’il nous voit ? » Je répète que je justifierai ma proposition, l’élève ne sera pas puni. Essayez pour voir ! Pour dormir, votre cigarette vous gêne ! Madame Delorme avait rapidement arraché la cigarette de la bouche de celui qui jouait le caïd, confisquant le paquet de gitanes qu’il avait mis sur la table avec ostentation. Face à l’ado rageur, elle écrasait avec précision le bout incandescent sur le paquet, glissait la cigarette à l’intérieur : - Vous viendrez chercher ça à la fin de l’heure, si vous voulez ! En attendant, vous pouvez dormir ! Vous n’aurez pas d’ennuis avec leproviseur ! Elle le regardait droit dans les yeux. Leur face à face avait paru long. Elle lui avait souri gentiment avant de conclure : -Vous m’avez fait perdre du temps ! Elle avait rejoint son bureau et repris son livre. Par cette réplique, elle lui avait sauvé la face. Il était, conscient de ce cadeau, de ce pardon accordé et qu’il ne le méritait pas. Chacun sentait que le calme de l’élève avait pour but de préparer sa vengeance. L’homme de quarante ans avait encore, le souvenir de la peur du face à face imminent. L’heure lui avait paru longue et très courte à la fois. Madame Delorme avait parlé, les interrogeant dans une atmosphère tendue dont elle semblait ne pas avoir conscience. Chacun évaluait le danger qu’elle allait volontairement affronter. Quelques secondes avant la sonnerie, elle avait dit calmement :
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