S émanciper par les oeuvres
89 pages
Français

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S'émanciper par les oeuvres , livre ebook

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Description

Cette Habilitation à Diriger les Recherches retrace l'émergence d'une problématique scientifique et la façon dont celle-ci s'inscrit dans un itinéraire personnel. Ainsi, la question de la professionnalisation est-elle envisagée au regard d'expériences de professionnalisation dont la première partie du texte rend compte.La deuxième partie revient sur le rôle que le changement occupe dans nombre d'organisations auprès desquelles les chercheurs en sciences humaines et sociales interviennent aujourd'hui. Cette démarche de recherche-intervention assure une fonction critique et cherche à favoriser l'émancipation des individus et des collectifs.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 13 septembre 2018
Nombre de lectures 0
EAN13 9782336850580
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Collection
Collection Pratiques en formation dirigée par
Daniel BERTAUX, Véronique BEDIN,
Catherine DELCROIX et Michel FOURNET

Coordination de la collection : Daniel BART

La collection Pratiques en formation regroupe des ouvrages qui traitent de l’évolution des différents types de pratiques sociales, des contextes dans lesquels elles s’inscrivent et de leurs méthodes d’observation. Les travaux retenus répondent à trois objectifs majeurs : construire des cadres de référence appropriés à l’analyse de pratiques contextualisées, étudier les interactions entre pratiques individuelles et organisationnelles dans des systèmes d’activités différenciés : formation, travail social, professionnalisation, développement local ; enfin, enrichir les savoirs et pratiques en formation tout au long de la vie selon une approche pluridisciplinaire.

Dernières parutions

Coordonné par Dominique BROUSSAL, Jean-François MARCEL et Joris THIEVENAZ, Soigner et former, Contribution des sciences de l’éducation , 2016.
Coordonné par Marie-Madeleine GURNADE et Cédric AIT-ALI, Jeunesses sans parole, jeunesses en paroles , 2016.
Sous la direction de Laetitia PROGIN, Jean-François MARCEL, Danièle PERISSET, Maurice TARDIF, Transformation(s) de l’école : vision et division du travail, 2015.
Coordonné par Dominique BROUSSAL, Pascale PONTE, et Véronique BEDIN, Recherche-intervention et accompagnement du changement en éducation, 2015.
Titre
Dominique BROUSSAL





S ’EMANCIPER
PAR LES ŒUVRES

Proposition pour la recherche-intervention
Copyright

© L’Harmattan, 2018
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris

http://www.editions-harmattan.fr

EAN Epub : 978-2-336-85058-0
Citation

« Mais il est des villes et des pays où les gens ont, de temps en temps, le soupçon d’autre chose. En général, cela ne change pas leur vie. Seulement il y a eu le soupçon et c’est toujours cela de gagné ».
Albert Camus, La peste , 1955.

« Il ne suffit pas de changer le monde. Nous le changeons de toute façon. Il change même considérablement sans notre intervention. Nous devons aussi interpréter ce changement pour pouvoir le changer à son tour. Afin que le monde ne continue pas ainsi à changer sans nous. Et que nous ne nous retrouvions pas à la fin dans un monde sans hommes ».
Günther Anders, L’obsolescence de l’homme. Tome JJ. Sur la destruction de la vie à l’époque de la troisième révolution industrielle, 1980.
Introduction
Lecteur de romans, j’ai toujours trouvé un intérêt particulier à ces récits proliférants qui donnent à voir la vie d’un protagoniste de l’enfance à l’âge mûr. Assister à la conception de Garp (Irving, 1998), le voir découvrir l’amour et le catch, le suivre dans les péripéties de sa vie de couple jusqu’à sa fin tragique, constitue une expérience unique, d’autant plus forte qu’on la vit dans le temps court d’une lecture ininterrompue. Sans sombrer dans le bovarysme, je dois dire que ces personnages de papier ont pris place dans ma mémoire à côté des êtres de chair qu’il m’a été donné de croiser. Il m’arrive parfois, lorsque j’évoque leur souvenir, d’oublier ce qui les distingue.

Devenir enseignant a donné un motif supplémentaire à ma curiosité. L’art du romancier permet en effet d’accéder à la trame d’une vie, débusquant les événements qui donnent forme à la personnalité des protagonistes, révélant l’influence que telle circonstance a pu avoir sur le cours d’une existence. Songeons à la rencontre de Valjean et de Bienvenue, ou bien encore au rôle que joue Faria sur le destin de Monte Cristo ! Le pédagogue que je fus était friand de ces scènes, jaloux d’un tel pouvoir, déplorant de devoir en rester aux conjectures quant à l’effet de sa propre intervention sur les futurs adultes qui lui étaient confiés. Avais-je contribué, aussi peu soit-il, à cet apprentissage complexe du « métier de vivre » (Rousseau, 1762) ? Il ne s’agit pas ici de l’ambition déçue d’un Pygmalion qui s’ignorerait, mais d’une fascination durable devant ce mystère que représente la formation d’une conscience singulière. Poussé à son extrême, un tel projet rejoint celui de la psychanalyse existentielle sartrienne et la volonté qui l’animait de comprendre « un homme ». Ce qui conduisit le philosophe à chercher chez Flaubert (1971), Genet (1952) ou Baudelaire (1947), l’expérience « censée avoir marqué de son empreinte le caractère de ces écrivains de manière décisive et durable » (Merle, 2005).

Au seuil de cet ouvrage 1 , je voudrais me livrer à l’évocation rapide de deux souvenirs de ma propre scolarité qui ont contribué à la formation de l’enseignant-chercheur que je suis devenu. Le premier remonte à la fin des années soixante-dix. Alors élève de seconde et cultivant un nihilisme nourri par l’influence du mouvement punk 2 , les cours de français étaient les seuls qui parvenaient à m’arracher à mon mutisme. Mes interventions étaient fugaces, sibyllines et copieusement pourvues en références obscures. Je m’y dévoilais sans doute plus que je ne le croyais puisque, à la fin d’un cours, la professeure vint à ma table. Elle me tendit un exemplaire de La mort à Venise (Mann, 1965). « Cela devrait vous intéresser », me dit-elle. Si l’épisode m’a durablement marqué, après m’avoir troublé sur le moment, c’est sans doute parce qu’il m’a appris différentes choses qui fondent aujourd’hui encore mon rapport aux œuvres, mon rapport à l’enseignement, mais aussi nombre de mes préoccupations de chercheur en sciences de l’éducation.

La première de ces choses concerne la conception que l’on peut avoir du rôle de l’enseignant. Ce que je vais dire relève tantôt du truisme, tantôt de l’hérésie, selon le point de vue de celui qui me lit. Mais ce geste de ma professeure me tendant un livre qu’elle avait choisi pour moi illustre à mon sens un aspect important du métier que j’exerce depuis trente ans maintenant. Considérer l’élève (ou l’étudiant) dans sa singularité, faire en sorte de l’accompagner dans son développement, mettre à sa disposition des ressources qui puissent l’aider à se construire et dont il perçoive le sens : voici les principes qui m’ont guidé, aussi bien en tant qu’instituteur qu’en tant que formateur plus tard. Je souscris pleinement de ce point de vue à la conception que Lecoq défend :

la formation ne consiste pas à accumuler des connaissances [...], la formation consiste à entendre quelque chose dans cette accumulation de connaissances qui puisse constituer un savoir pour le sujet qui le reçoit (2001, p. 182-183).

Le deuxième point concerne le pouvoir des œuvres. Bien avant la lecture éclairante de Meyerson (1948), l’épisode m’a convaincu du rôle que celles-ci jouent dans nos existences. Cette enseignante ne m’a pas tenu de longs discours ! Elle m’a transmis un livre qui avait compté pour elle et qu’elle pensait pouvoir compter pour moi. Des années plus tard, à la fin d’un cours que je donnais sur les dynamiques identitaires en formation, un étudiant vint me voir et me conseilla la lecture de Corps et Âme (Conroy, 1996), lecture que je m’empressai de faire et qui confirma la perspicacité de mon auditeur. Le roman raconte l’enfance difficile d’un garçon qui vit auprès d’une mère alcoolique et dépressive. Celle-ci le laisse de longues heures durant abandonné à la solitude de l’entresol misérable qu’ils occupent. Or l’enfant découvre un piano dans un recoin de l’appartement. Et cette trouvaille change sa vie. Je découvris dans ce livre l’une de ces fenêtres que les romanciers ont la faculté d’ouvrir pour donner à voir l’éveil d’une conscience. Voici comment Conroy évoque la rencontre du jeune prodige, Claude, et de celui qui deviendra son maître, le pianiste Fredericks :

Le piano sembla disparaître, seules les lignes emplirent la conscience de l’enfant, l’architecture de la musique éclairée dans ses moindres détails [...]. Puis le silence. Claude souffrit devant une telle beauté. Il eût voulu quitter son corps, suivre la musique là où elle s’en était allée, dans l’hyper-espace, qu

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