Un cas d école
138 pages
Français

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Un cas d'école , livre ebook

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138 pages
Français

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Description

Peut-on parler encore de l'école, et de la débâcle désormais connue de l'Education nationale ? Le sujet mérite qu'on s'y attarde encore une fois, et ce petit essai offre un témoignage vigoureux et rigoureux du lent délitement de notre institution scolaire, tout en ranimant les flammes des grands débats pédagogiques qui la traversent depuis plus de trente ans.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2013
Nombre de lectures 17
EAN13 9782336660554
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Copyright
© L’Harmattan, 2013
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
EAN Epub : 978-2-336-66055-4
Titre
Donatienne du Jeu









UN CAS D’ÉCOLE
AVANT-PROPOS
Donc, si je récapitule : je suis tombée dans l’enseignement par hasard, j’ai continué faute de mieux, et j’ai passé un temps non négligeable à tenter d’en sortir. Sentiment d’inadéquation permanent, qui ne s’est pas arrangé avec les années, mais qui n’a pas encore eu raison de moi. Condamnée à l’enseignement perpétuel, expiant ma faute originelle (celle d’avoir passé l’agrégation de Lettres modernes à vingt-trois ans), j’avoue ici, pour lever toute ambiguïté sur la question, que je trouve du plaisir à enseigner, à parler de mes livres chéris, à les décortiquer avec une précision maniaque. Mais le plaisir se raréfie à la base, et, contrairement à l’oxygène, il s’accroît dans les hauteurs, celles où évoluent les derniers rejetons d’une culture en voie de disparition. À cause de ces élèves-là, ceux pour qui le français écrit n’est pas un problème (pas plus que l’école), ou plutôt grâce à eux, il m’arrive de douter, de ne plus savoir si mon envie de quitter l’Éducation nationale est uniquement liée au fait que l’on m’impose d’y rester, rivée à cet espoir que l’herbe d’un bon lycée parisien serait plus verte que mon pré quotidien, ou encore parce qu’au fond, je m’épanouirais davantage dans une profession où les interlocuteurs seraient enfin des adultes – mais ce serait là un monde où j’aurais donc quitté l’école, une bonne fois pour toutes.
En attendant ce moment de la délivrance, j’ai accouché d’un bébé semblable à bien d’autres, cousin de La Fabrique du crétin de Jean-Paul Brighelli, petit frère du Pire est de plus en plus sûr de Natacha Polony, et parent direct de bon nombre d’essais que l’on a pu lire sur l’évolution de l’école depuis quarante ans. Outre le caractère hautement thérapeutique de ce travail – je le concède volontiers –, il me semble que la question du déjà lu n’empêche pas la vertu de la répétition en la matière.
Chronique d’une carrière ordinaire, mon récit se distingue cependant des ouvrages précédemment cités en ce qu’il ne peint pas la réalité brutale de certaines banlieues, livrées à la violence et au désert culturel, et dont l’évocation suscite chez le lecteur, par la description de l’inénarrable décalage entre l’école et la société, un rire mêlé de terreur. Non, le présent essai donne à voir la lente décadence de l’institution républicaine, délitement honteux qui accompagne la paupérisation culturelle de celles qu’on appelle les classes moyennes. Je livre ici les réflexions qui m’habitent depuis treize ans, nourries au fil de mes expériences, et si le récit de certaines d’entre elles pourra paraître anecdotique ou frivole, j’en garantis autant la véracité que le caractère exemplaire. Les considérations générales que j’en tire constituent, de leur côté, des pistes destinées à allumer (ou plutôt à entretenir) le feu d’un débat brûlant.
Mais avant de refermer les portes de cette vieille maison de famille qu’on appelle l’Éducation nationale, il me faut m’y promener encore, garder en mémoire quelques portraits anciens, et livrer les clefs de son occulte fonctionnement. Ainsi, après avoir fait un détour par mes propres appartements, repeints d’inutiles espoirs de carrière , je les quitterai pour donner une vue d’ensemble du bâtiment, tremblant sur les fondations vacillantes de l’ autorité . Après un séjour à la cave, où je croiserai quelques redoutables fantômes (dont un ancêtre soixante-huitard), je vagabonderai dans les étages. Là, soulevant les tapisseries usées, parcourant les vieux manuscrits, je tâcherai de cerner le mal mystérieux dans lequel se consument les pensionnaires de ces lieux. Humant l’atmosphère des cabinets secrets et des salles scellées, je disséquerai les douleurs anciennes, et tenterai d’en donner le diagnostic le plus humble mais le plus précis possible. Puis je monterai aux greniers de l’administration pour analyser les remèdes prodigués, sous forme de tentatives pédagogiques diverses, dispensées par de terrifiants Diafoirus. Pour finir, je pousserai la porte d’une chambre imaginaire et ferai là ma petite pirouette, avec salut final.
CARRIÈRE
Études littéraires
Lorsque, des années après, je regarde l’évolution de ma carrière de professeur de français à l’Éducation nationale, le tableau a des couleurs de cauchemar froid, de morne plaine sous un ciel kafkaïen. Le même ciel couvrait la faculté de Nanterre, à l’époque de mes études littéraires, et le souvenir le plus frappant qui me reste de cette époque est peut-être celui de la grève de 1995. Les quais glacials et déserts, les bâtiments vides traversés par quelques âmes en peine qui se chuchotaient, dans un nuage de vapeur froide, des informations utiles à la survie de l’espèce estudiantine, tout cela portait à son paroxysme l’impression sinistre que pouvait produire sur nous le fonctionnement opaque de ce monstre de béton. La cafétéria n’était que courants d’air, l’administration noyée sous la paperasse, tandis que le papier manquait aux toilettes. À la fenêtre, l’herbe fatiguée d’un terrain vague (ou bien était-ce un terrain de sport ?) ne suscitait que soupir et vague à l’âme. Et pourtant, j’étais là pour l’amour de l’art, attachée à mes lettres et à mes livres comme à de vieux amis, animée d’une foi que n’avaient pu éteindre mon baccalauréat scientifique et mes années d’algèbre.
Toutefois, lorsque j’entrevis la possibilité de quitter pour un temps ce pittoresque campus, je mis en branle la machine Erasmus et m’envolai, ni une ni deux, pour l’Écosse. Là, je connus le plaisir du cocooning universitaire, du chouchoutage administratif, et je dois dire que les cours en petits groupes, dont certains se déroulaient dans le bureau de l’enseignant, me donnaient l’impression d’aller prendre le thé (il ne manquait que les petits gâteaux). Ainsi, après une année de dissertation anglaise, dictionnaire sur les genoux, où je brillai par la construction cartésienne de mes développements, je revins au pays natal munie d’une maîtrise de littérature comparée et de quelques lettres de recommandation bien senties. Mais l’avenir restait à faire.
Comme à mon habitude, depuis mon baccalauréat scientifique jusqu’à mon hypokhâgne BL en passant par un potentiel bi-Deug droit-anglais assorti d’une éventuelle prépa HEC, je fis un choix par défaut, écartant la formation d’éditeur pour prendre la voie de l’agrégation, dont on me soutenait qu’elle était royale. Ô hubris ! Faute originelle ! Dans ma candeur orgueilleuse, j’aspirais au couronnement, sans voir que j’allais m’enchaîner à jamais. Pourtant, on me disait que c’était le fin du fin, la crème des diplômes, oubliant au passage qu’avant d’être un diplôme (qu’elle n’est pas, d’ailleurs), l’agrégation était un « concours de recrutement des personnels » (c’est le terme officiel). Après six mois de dur labeur, au cours desquels j’engrangeai plus de connaissances qu’en quatre années d’études, j’entrai dans le sérail de ce que j’allais bientôt nommer familièrement l’Éduc’ nat’, et dont je ne soupçonnais pas qu’il était si bien gardé. Car le précieux sésame, qui longtemps après son obtention, tint ses promesses quant à la gloriole que j’en attendais, ne m’ouvrit pas les portes d’une carrière brillante mais plutôt les referma sur moi, très discrètement.
Agrégation, année zéro
Sans prévenir, d’abord. Vers le 25 août 1999, je reçus un courrier qui s’était peut-être égaré (ou peut-être pas), m’enjoignant de me rendre au lycée de Montivilliers, à 10 kilomètres du Havre, pour prendre mes fonctions le 1 er septembre, jour de la rentrée scolaire. Non seulement je devais être au lycée trois fois par semaine à huit heures et demie du matin, mais j’étais aussi attendue deux à trois fois par semaine à l’IUFM, basé à Rouen, et quelquefois au Havre. Dans la précipitation de ce déménagement imprévu, je commis une nouvelle erreur, celle de céder au charme des vieilles pierres. À mi-distance entre Paris et Montivilliers, Rouen me parut jolie, et j’y plantai ma tente une année, avalant mes quatre-vingt kilomètres ultramatinaux dans une Twingo achetée pour l’occasion, qui fit les frais de mon inexpérience de conductrice. Bientôt cabossée, elle connut en effet un rodage aussi doulou

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