Le cafard de Martin Heidegger
53 pages
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Le cafard de Martin Heidegger , livre ebook

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Description

Un petit cafard angoissé nommé Martin part à l'aventure dans le corps de Heidegger. Sur les bords du rein, dans un univers de côtes et de chair peuplé par des fourmis fanatiques, des machines devenues folles et des vers poètes, qui saura lui dire pourquoi il existe ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 novembre 2011
Nombre de lectures 8
EAN13 9782361650650
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Martin Heidegger ( 1889 — 1976)
Ce n’est pas sans appréhension que j’entends le pas de Heidegger. Celui dont le nom à lui seul est un mythe vit retranché dans le silence depuis des années. Il entre. Son aspect surprend. Petit, très petit, en costume régional gris-vert aux revers brodés, il porte des knickers. Son allure de paysan endimanché un peu trapu me déconcerte. Les cheveux argentés, l’œil noir, le regard perçant, il paraît fatigué. Sur son visage aux joues creusées se lit une certaine tristesse, quelque chose de tragique même...
Frédéric de Towarnicki, Le chemin de Zähringen , 1993

Docteur en philosophie et écrivain, Yan Marchand vit à Brest, ville chérie dont l’architecture, selon lui, offre l’immense avantage d’apprendre à mourir.
Diplômé de la section illustration des Arts décoratifs de Strasbourg, Matthias Arégui vit à Lyon, où il dessine de jolis petits cafards.
Martin traîne sa carapace dans le cimetière de Messkirch comme une âme en peine. Depuis qu’il est né, il est ainsi. Il se demande ce qu’il fait dans le monde, et surtout, pourquoi il a été jeté là si c’est pour mourir un jour ; il se demande aussi pourquoi il y a des choses puisqu’elles vont disparaître. Il se demande même pourquoi il se pose toutes ces questions… On dit que les cafards, comme toutes les autres bêtes, ne peuvent penser leur propre mort, qu’ils se contentent de périr, comme les fleurs se contentent de faner. Pas notre pauvre Martin !

Lorsque le soir tombe et que les choses familières sont enveloppées dans l’obscurité, quand tout devient silencieux, pesant, étrange, quand a disparu la commode de sa chambre, disparu le lit, disparu la table, il se sent seul, terriblement seul. Alors, il gémit :
« Mais qu’est-ce que je fais là ? »
Déjà, quand il était petit cafard, il n’en revenait pas de cette possibilité de mourir. Il imaginait des monstres sous son lit, des orages fabuleux, tout un tas de peurs, puis il cachait sa tête sous la couette et appelait ses parents ; le problème était résolu… jusqu’à la nuit suivante. Car les monstres disparaissent, mais pas la possibilité de mourir… Maintenant qu'il n’est plus un enfant, il ne tire plus la couette sur sa tête. Il fait de terribles insomnies : il sent par chacune de ses fibres qu’être là, jeté au monde, est une aventure bien étrange.

Désormais, il n’a plus peur, il angoisse.


Par un matin d’hiver, après une nuit particulièrement pénible, Martin chemine dans le cimetière. Un escargot de sa connaissance vient à passer :
« Quelle tête tu as, Martin ! Il t’est arrivé un malheur ?
— Le pire des malheurs, mon bon Épicure : je suis né et je vais mourir.
— Tu ne changeras donc jamais ! Au lieu de toujours ressasser, contente-toi de tracer ta route, comme moi !
— Comme j’aimerais être insouciant, mon ami, comme j’aimerais pouvoir t’imiter.
— Rien de plus facile ! Dis-toi que tant que l’on est en vie, la mort ne nous regarde pas, et que quand on est mort, on n’est plus là pour s’en faire. Alors, il ne faut pas se mettre dans cet état, on meurt tous un jour !
— La mort ne nous regarde pas ! On meurt tous un jour ! Je sais, tu m’as déjà servi cette rengaine. Mais si tu songeais véritablement à la mort, tu ne dirais pas cela, gémit Martin.
— Oh, la mort, je connais ! Et je peux t’assurer que j’en ai vu, des cadavres. Une de mes cousines a fini dans un bocal, une autre ébouillantée, plusieurs de mes parents ont été asphyxiés par des gaz ou brûlés, mangés par des criquets ou des oiseaux… J’ai même aperçu une demi-douzaine de mes frères baignant dans un beurre à l’ail ! Dans ma famille, les enterrements, ça y va ! Alors, je te le répète : ON meurt tous un jour et il ne faut pas en faire tout un plat ! »


« ON meurt, ON meurt !, s’exclame Martin, mais ce n’est pas ON qui va mourir, c’est moi ! Et pas “ un jour ”, mais peut-être demain, peut-être maintenant. Tous les deux, nous allons mourir, et tandis que je te parle, d’une certaine manière nous nous dirigeons vers la mort. Je ne te parle pas des cadavres que l’on retrouve sous les semelles ou dans une pince à escargots : ça, c’est la mort des autres. Je ne te parle pas non plus de la mort qui frappe chacun de nous un jour ou l’autre, mais de celle qui nous travaille nuit et jour de l’intérieur et que nous éprouvons à chaque instant.

— Voyons Martin, dit Épicure qui se sent étrangement oppressé, la mort n’est rien !
— Ce n’est rien ? Moi, ça ne me rassure pas de me dire cela, car au fond, c’est peut-être l’existence qui n’est “ rien ”. Tu me comprends ?
— Euh… bien sûr, mais moi je ne veux pas penser comme toi, dit Épicure en rentrant la tête dans sa coquille. Je suis jeune ! J’ai encore le temps…
— Pourtant, sitôt qu’un escargot vient à naître, il est déjà assez vieux pour mourir. La plupart des gens oublient cela et disent : “ ON meurt ”. Mais c’est une fuite en avant. “ ON meurt ” : cela pourrait être moi ou un autre, un peu tout le monde et personne qui meurt. Seulement, la mort est fondue à ta coquille, à ma carapace, à la peau des hommes, à tous ceux qui savent qu’ils sont mortels. Quels êtres étranges nous sommes, Épicure ! Nous sommes là, nous existons, mais nous savons qu’il y aura une fin.
— Je ne veux plus en entendre parler !

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