112
pages
Français
Ebooks
2022
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Ebook
2022
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Publié par
Date de parution
01 septembre 2022
Nombre de lectures
1
EAN13
9782897627898
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
1 Mo
Publié par
Date de parution
01 septembre 2022
Nombre de lectures
1
EAN13
9782897627898
Langue
Français
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1 Mo
Les données de catalogage sont disponibles auprès de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et de Bibliothèque et Archives Canada.
Éditrice : Colette Dufresne
Conception de la couverture et infographie : Marie-Ève Boisvert, Éd. Michel Quintin
Illustration de la page couverture : Jade Morin-Turenne (Jade Lachine)
Adaptation numérique : Studio C1C4
La publication de cet ouvrage a été réalisée grâce au soutien financier du Conseil des arts du Canada et de la SODEC.
De plus, les Éditions Michel Quintin reconnaissent l’appui financier du gouvernement du Canada.
Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC
Tous droits de traduction et d’adaptation réservés pour tous les pays. Toute reproduction d’un extrait quelconque de ce livre, par procédé mécanique ou électronique, y compris la microreproduction, est strictement interdite sans l’autorisation écrite de l’éditeur.
ISBN 978-2-89762-789-8 (ePub)
ISBN 978-2-89762-613-6 (papier)
Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2022
Dépôt légal – Bibliothèque et Archives Canada, 2022
© 2022, Éditions Michel Quintin inc.
Éditions Michel Quintin
Montréal (Québec) Canada
editionsmichelquintin.ca
info@editionsmichelquintin.ca
— Je ne suis PAS une médium.
— Non, bien sûr Odile, réplique Wendy avec un calme olympien. Et moi, je ne suis pas un fantôme.
Sans ralentir le pas, je lui adresse une grimace. Je jette ensuite un coup d’œil autour de nous pour m’assurer que personne ne m’a vue. Sous le soleil du mois d’août, le visage de mon amie semble encore plus translucide que d’habitude. Ses taches de rousseur sont comme en suspension dans le vide. Elles laissent même des traînées lumineuses derrière elles tandis que nous nous dépêchons vers l’arrêt d’autobus. Enfin, que je me dépêche et qu’elle virevolte nonchalamment.
Je remonte mes lunettes sur mon nez et mon sac sur mon épaule.
— Peut-être que je suis folle et que je t’imagine, dis-je pour l’embêter.
Wendy lève les yeux au ciel.
— Comme tu as imaginé « l’incident du printemps »?
Un sourire malicieux aux lèvres, elle mime les guillemets avec ses doigts d’un gris argenté, la couleur caractéristique des fantômes (d’après Wendy, puisque je n’en ai jamais vu d’autres).
Je grogne en guise de réponse.
Wendy rigole en effectuant un salto arrière. Elle flotte à mes côtés, sa jupe d’une autre époque traversant aisément poteaux et lampadaires.
« L’incident du printemps » est tabou. On n’en parle pas. On n’y pense même pas, puisque Wendy a la fâcheuse manie de dire à voix haute tout ce qui lui passe par la tête. Le souvenir de cette journée me donne encore envie de disparaître dans le plancher, de changer de nom ou de déménager au bout du monde. C’est pourquoi j’essaie de prétendre que ça ne s’est jamais produit, que j’ai rêvé ou que c’est arrivé à quelqu’un d’autre.
Bon, OK, d’accord, j’admets que c’est une tâche impossible et que, en réalité, j’ai passé les vacances à me rejouer la scène sous tous les angles, à croire qu’une équipe complète de cinéma filmait directement dans mon cerveau. C’est à cause de cet « incident » que j’entame ma troisième secondaire dans une nouvelle école et que je me retrouve, en ce jeudi matin ensoleillé, à me dépêcher pour ne pas rater mon bus.
Ma nouvelle polyvalente est située plus loin de chez moi que l’ancienne et je ne veux pas arriver en retard. Surtout pas la première journée. Certains diraient (et par là j’entends ma mère) que j’aurais dû choisir mes vêtements la veille, que ça m’aurait évité de virer l’ensemble de mes tiroirs, de ma garde-robe et même de mon panier à linge sale à l’envers pour finalement me rabattre sur le même t-shirt délavé et les mêmes shorts en jeans que j’ai portés tout l’été, mais… je n’ai aucun argument à présenter pour ma défense. Je suis comme ça, c’est tout. L’ordre et la planification ne sont pas mes atouts principaux.
Je frissonne malgré la chaleur humide dans laquelle baigne la ville depuis des jours. J’ai un mauvais pressentiment. C’est ce que j’ai tenté d’expliquer à Wendy dans l’espoir qu’elle me rassure (note à moi-même : ne jamais attendre d’une morte qu’elle vous rassure, en tout cas pas d’une morte aussi insouciante que Wendy, qui semble n’avoir aucun problème en ce bas monde, peut-être justement parce qu’elle est morte il y a plus de 300 ans), quand elle m’a sorti…
— C’est parce que tu es une médium.
Et voilà! Elle recommence!
— Je ne suis PAS une médium! Et puis, pourquoi tu me parles encore de ça?
— Parce que tu n’arrêtes pas de grelotter même si on jurerait que tu t’exerces pour le demi-marathon de marche rapide. Tu as froid. Les mauvais pressentiments donnent froid. Du moins les vrais. Ceux des médiums.
— N’importe quoi!
Je frotte mes bras couverts de chair de poule.
— Tu vois? s’exclame Wendy comme si elle venait de me servir une preuve irréfutable.
Je me force à lâcher mes bras tandis que j’accélère encore la cadence, histoire de me réchauffer un peu plus.
— OK, alors tu es en train de me dire que, si je suis vraiment une…
Je remonte mes lunettes sur mon nez, mon sac sur mon épaule, et prends une grande inspiration avant de prononcer le mot qui me donne des boutons :
— … médium…
Après quoi je tire la langue parce que je me trouve ridicule ne serait-ce que d’évoquer cette possibilité. Je poursuis quand même :
— … et que mon mauvais pressentiment en est un vrai… ma journée sera un fiasco?
Wendy esquisse un geste de la main comme pour chasser une mouche devant son visage. En réalité, la mouche passerait à travers elle, mais ça doit être un vieux réflexe.
— Oh, tu sais, peut-être pas un fiasco dans le sens de désastre complet dont ton ego ne se relèvera jamais. Peut-être que ce sera quelque chose de stupide. Par exemple, trébucher dans la cafétéria et t’aplatir comme une crêpe devant tout le monde.
Je manque de m’étouffer avec ma salive.
— Et, si ça arrivait, tu n’appellerais pas ça un fiasco? Tu penses que mon ego s’en relèverait? Parce que je peux t’assurer que non, il resterait au tapis, K.O., dans le coma. J’aurais tellement honte que je devrais me remettre à genoux pour implorer mes parents de m’inscrire dans une autre école, encore plus loin de chez nous!
Un énième frisson me parcourt. Maintenant, à cause de Wendy, je suis persuadée que je serai tellement concentrée à ne pas trébucher et ne pas m’aplatir comme une crêpe devant tout le monde que mes pieds buteront d’eux-mêmes contre un obstacle inexistant.
— Mais non! m’assure Wendy. Ton ego s’en relèvera sans problème et tu n’y penseras plus du tout quand ça fera 300 ans que tu seras morte!
— Merci! dis-je, sarcastique. Toujours le mot pour m’encourager.
Nous croisons une femme promenant un caniche royal. L’animal se met à grogner après Wendy. Sa maîtresse tire sur sa laisse en nous lançant un regard suspicieux. En fait, c’est à moi qu’elle le lance puisqu’elle ne voit pas Wendy, qui la salue d’une révérence moqueuse, se penchant tellement que son front argenté effleure le pavé.
Je marmonne :
— Ça y est, on n’est même pas rendues à l’arrêt de bus et les gens commencent déjà à me prendre pour la fille qui se parle toute seule.
— Laisse faire les gens! me conseille Wendy.
Je sors quand même mes écouteurs de mon sac.
— Quoi! s’offusque mon amie. Tu vas écouter de la musique sans moi?
Son air de chien battu m’arrache un sourire. Elle m’énerve, mais c’est ma meilleure amie. On est inséparables depuis que j’ai cinq ans et je ne la changerais pour rien au monde. Quoique, si je pouvais formuler un seul souhait, je préférerais qu’elle soit vivante. Qu’elle soit réelle pour les autres et pas seulement pour moi.
Après en avoir démêlé le fil, j’enfonce les écouteurs dans mes oreilles en la rassurant.
— Tu sais bien que je ne te ferais jamais ça, voyons! C’est juste pour avoir l’air moins folle.
Wendy adore la musique. Elle adore aussi la télé, les magazines à potins, les jeux vidéo, les vlogs sur YouTube, les émojis et les filtres Snapchat (même si, bien sûr, elle ne peut pas les utiliser sur sa propre personne). Bref, tout ce qui n’existait pas il y a 300 ans. Bon, on s’entend que la musique existait, mais elle était moins… je n’irais pas jusqu’à dire bonne… disons plutôt qu’elle était moins entraînante qu’aujourd’hui. Et comme ses doigts immatériels passent à travers tout (sauf quand elle se concentre très fort, comme pour « l’incident du printemps », mais c’est une autre histoire), elle a besoin de moi pour appuyer sur les touches ou tourner les pages.
— Euh… je ne veux pas t’insulter, Odile, mais je ne suis pas convaincue que tu auras l’air moins folle avec ça dans les oreilles.
Elle désigne l’autre extrémité des écouteurs, qui pendouille en se balançant au rythme de mes pas. Je m’en empare et branche l’embout dans mon cellulaire.
Je range l’appareil dans la poche arrière de mes shorts en essayant de ne pas m’empêtrer dans le fil. Cette année, il faut vraiment que j’inscrive des oreillettes Bluetooth en haut de ma liste de suggestions de cadeaux de Noël.
— Comme ça, les gens croiront que je parle au téléphone et non à un fantôme invisible.
Wendy fait mine de réfléchir.
— Et si je fais ça, tu penses que tu n’auras pas l’air folle?
Elle se met à tournoyer autour de moi en poussant des cris assourdissants.
— OUUUH! OUUUH! OUUUH!
J’entrevois la façade de brique des immeubles à travers elle, ce qui m’étourdit encore plus. J’essaie de rester stoïque le plus longtemps possible, mais je finis par craquer, ce qui était évidemment son but.
— Arrêêête! lui crié-je.
Elle n’arrête pas. Elle tourne de plus en plus vite, ses cheveux roux traçant des lignes de feu dans son sillage. J’aimerais pouvoir lui saisir un bras pour la forcer à s’immobiliser, mais je sais que ma main ne se refermerait que sur du vide.
À bout de nerfs, je lui lance :
— Moi non plus je ne veux pas t’insulter, mais tes hululements ne sont pas très fantomatiques. On dirait plus une chouette affolée qu’un espr