Humiliés et offensés
524 pages
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Humiliés et offensés , livre ebook

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Description

Fiodor Dostoïevsky (1821-1881)



"L’année passée, le 22 mars au soir, il m’est arrivé quelque chose d’extrêmement singulier. J’avais parcouru la ville toute la journée à la recherche d’un logement. Le mien était humide, j’y avais attrapé une mauvaise toux et j’avais déjà voulu le quitter en automne ; mais la chose avait traîné jusqu’au printemps. J’avais donc cherché toute la journée, sans rien trouver : il me fallait avant tout un logement bien aéré ; il pouvait n’avoir qu’une seule chambre, à la rigueur ; mais elle devait être spacieuse ; en même temps, le loyer devait en être modeste.


J’ai remarqué que dans un logement étroit les idées sont mal à l’aise, et j’ai toujours aimé aller et venir par la chambre en méditant mes nouvelles. Et puisque je parle de mes nouvelles, j’ajouterai que j’ai toujours trouvé plus de charme à les rêver qu’à les écrire. Et pourtant je ne suis pas paresseux. D’où cela peut-il bien venir ?


Dès le matin, je m’étais senti indisposé, et, vers le soir, mon état avait encore empiré : j’avais la fièvre, et comme j’avais été tout le jour à courir, j’étais harassé de fatigue en arrivant quelques instants avant le coucher du soleil à la perspective de Vosnessensky.


J’aime le soleil de mars à Pétersbourg, à son coucher surtout, par une belle soirée sereine et par un temps de gel. La rue tout entière, inondée de flots de lumière, s’illumine tout à coup ; les maisons semblent soudain lancer des éclairs, et leurs couleurs gris, jaune, vert sale, perdent en un clin d’œil leur aspect sinistre. Une clarté se fait dans l’âme, un frisson court dans les veines, et vous vous réveillez en sursaut, comme si quelqu’un vous touchait au coude. Nouveau spectacle, nouvelles idées ! Oh ! puissance merveilleuse d’un rayon de soleil sur l’âme humaine !"



Ivan Petrovitch, le narrateur, est amoureux de Natacha, avec laquelle il a été élevé. Mais Natacha est amoureuse d'Aliocha, le fils du prince Valkovski, et s'enfuit avec lui. Ivan tente d'arranger les choses car les pères des deux amoureux sont en procès...

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782374636511
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Humiliés et offensés


Fiodor Dostoïevsky

Traduit du russe par Ed. Humbert


Avril 2020
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-651-1
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 651
PREMIÈRE PARTIE

I

L’année passée, le 22 mars au soir, il m’est arrivé quelque chose d’extrêmement singulier. J’avais parcouru la ville toute la journée à la recherche d’un logement. Le mien était humide, j’y avais attrapé une mauvaise toux et j’avais déjà voulu le quitter en automne ; mais la chose avait traîné jusqu’au printemps. J’avais donc cherché toute la journée, sans rien trouver : il me fallait avant tout un logement bien aéré ; il pouvait n’avoir qu’une seule chambre, à la rigueur ; mais elle devait être spacieuse ; en même temps, le loyer devait en être modeste.
J’ai remarqué que dans un logement étroit les idées sont mal à l’aise, et j’ai toujours aimé aller et venir par la chambre en méditant mes nouvelles. Et puisque je parle de mes nouvelles, j’ajouterai que j’ai toujours trouvé plus de charme à les rêver qu’à les écrire. Et pourtant je ne suis pas paresseux. D’où cela peut-il bien venir ?
Dès le matin, je m’étais senti indisposé, et, vers le soir, mon état avait encore empiré : j’avais la fièvre, et comme j’avais été tout le jour à courir, j’étais harassé de fatigue en arrivant quelques instants avant le coucher du soleil à la perspective de Vosnessensky.
J’aime le soleil de mars à Pétersbourg, à son coucher surtout, par une belle soirée sereine et par un temps de gel. La rue tout entière, inondée de flots de lumière, s’illumine tout à coup ; les maisons semblent soudain lancer des éclairs, et leurs couleurs gris, jaune, vert sale, perdent en un clin d’œil leur aspect sinistre. Une clarté se fait dans l’âme, un frisson court dans les veines, et vous vous réveillez en sursaut, comme si quelqu’un vous touchait au coude. Nouveau spectacle, nouvelles idées ! Oh ! puissance merveilleuse d’un rayon de soleil sur l’âme humaine !
Cependant le soleil s’était couché, le gel augmentait et commençait à piquer le nez ; l’ombre devenait plus épaisse, et le gaz brillait à l’intérieur des magasins. Arrivé à la hauteur de la confiserie Müller, je demeurai tout à coup comme cloué sur place et me mis à regarder de l’autre côté de la rue, avec le pressentiment que quelque chose d’extraordinaire allait se passer ; et en effet, au même instant, j’aperçus sur le trottoir opposé un vieillard et un chien. Mon cœur se serra sous le coup d’une sensation désagréable, sans que je pusse définir moi-même de quel genre elle était.
Je ne suis pas un mystique, je n’ajoute presque aucune foi aux pressentiments ni à la divination ; cependant il m’est arrivé, comme à d’autres, certains événements assez difficiles à expliquer. Ce vieillard, par exemple, pourquoi ai-je senti à son aspect qu’il m’arriverait ce soir-là quelque chose qui ne se produit pas tous les jours ? Du reste, j’étais malade, et les sensations maladives sont presque toujours trompeuses.
Le vieillard se dirigea vers la confiserie ; il avançait d’un pas lent et incertain, déplaçant ses jambes comme des morceaux de bois, sans les ployer ; il était courbé et frappait de sa canne les pierres du trottoir. De ma vie je n’avais vu figure si étrange, et toutes les fois qu’il m’était arrivé de le rencontrer chez Müller, il m’avait douloureusement impressionné. Sa taille haute, son dos voûté, son visage de quatre-vingts ans qui avait quelque chose de cadavéreux, son vieux paletot, déchiré aux coutures, son chapeau rond, froissé, pouvant bien avoir vingt ans de service, et couvrant sa tête dénudée, qui avait conservé sur la nuque une touffe de cheveux jadis blancs, et jaunâtres aujourd’hui, ses mouvements d’automate, tout cela frappait involontairement ceux qui le rencontraient pour la première fois. C’était, en effet, quelque chose d’étrange que de voir ce vieillard se survivant, pour ainsi dire, seul, sans surveillance, et ressemblant à un fou échappé à ses gardiens. Il était d’une maigreur inouïe, il n’avait pour ainsi dire plus de corps : on aurait dit une peau tendue sur des os. Ses yeux grands, mais ternes, enchâssés dans une sorte de cercle bleuâtre, regardaient constamment droit devant eux, jamais de côté et sans rien voir, j’en suis sûr, car il m’était arrivé plus d’une fois de constater que même en vous regardant il marchait droit à vous, comme s’il eût devant lui un espace vide.
Aucun des habitués de la confiserie ne s’était jamais décidé à lui adresser la parole, et lui-même n’avait jamais dit un mot à personne.
Pourquoi vient-il chez Müller ? Qu’y vient-il faire ? pensais-je, alors que debout de l’autre côté de la rue, je ne pouvais en détacher mon regard. Et je sentais naître en moi un certain dépit, conséquence du malaise et de la fatigue. À quoi peut-il bien penser ? me disais-je ; que peut-il y avoir dans sa tête ? Pense-t-il seulement encore ? Toute expression semble être morte à jamais sur ce visage. Où a-t-il pris ce vilain chien qui ne le quitte pas et qui paraît être une partie intégrante et inséparable de son maître, auquel il ressemble si fort ?
Ce malheureux chien paraissait avoir quatre-vingts ans, lui aussi. D’abord il avait l’air d’être plus vieux que ne le fut jamais aucun quadrupède de son espèce, et puis, je ne sais pourquoi, la première fois que je le vis, il me vint l’idée que ce chien ne pouvait pas être semblable à tous les autres, que c’était un chien extraordinaire, qu’il devait sûrement y avoir en lui quelque chose de fantastique, d’ensorcelé, que c’était un Méphistophélès sous une forme canine, et que son sort était lié au sort de son maître par quelque lien mystérieux, inconnu. Il était maigre comme un squelette ou, pour mieux dire, comme son maître. Si vous l’aviez vu, vous auriez parié comme moi qu’il n’avait plus mangé depuis des années. Il était tout pelé ; sa queue, accrochée au corps comme un morceau de bois, était serrée entre ses jambes décharnées, et ses longues oreilles pendaient tristement autour de sa tête toujours baissée. De ma vie je n’avais vu une bête aussi vilaine. Quand ils cheminaient tous deux par les rues, le maître en avant, suivi de son chien dont le museau collait aux basques de son habit, leur démarche et tout leur aspect semblaient dire à chaque pas : Oh ! les vieux que nous sommes ! Dieu ! que nous sommes vieux !
Un jour, il m’était venu l’idée que le vieillard et son chien s’étaient détachés d’une page d’Hoffmann, illustrée par Gavarni, et qu’ils couraient le monde en guise d’affiche ambulante de l’éditeur.
Je traversai la rue et j’entrai chez le confiseur.
La conduite du vieillard dans l’établissement était étrange au plus haut degré, et Müller, debout derrière son comptoir, faisait depuis quelque temps une grimace de mécontentement à l’arrivée de ce visiteur peu désiré. Ce singulier habitué ne consommait jamais rien ; il s’en allait tout droit s’asseoir dans le coin où se trouvait le poêle, et si cette place était occupée, il restait quelques instants debout dans une perplexité stupide en face de celui qui la lui avait prise, et s’en allait ensuite, avec un air désappointé, à l’autre coin, près de la fenêtre. Là, il prenait une chaise, s’asseyait lentement, ôtait son chapeau et le posait sur le plancher auprès de lui ; il mettait sa canne à côté du chapeau, après quoi, renversé sur le dossier de sa chaise, il demeurait immobile pendant trois ou quatre heures. Jamais on ne lui voyait un journal en main, il ne prononçait pas un mot, pas un son. Il restait assis, regardant fixement de ses yeux ternes et inanimés ; on aurait parié qu’il ne voyait ni n’entendait rien de ce qui se passait autour de lui. Son chien tournait deux ou trois fois sur place et se couchait tout morne à ses pieds ; il enfonçait son museau entre les bottes de son maître, poussait un profond soupir et, étendu de tout son long sur le plancher, restait immobile, comme s’il avait cessé de vivre pour toute la soirée. On aurait dit que ces deux créatures, mortes depuis longtemps, renaissai

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