La grande peur dans la montagne
201 pages
Français

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Description

Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947)



"Le président parlait toujours.


La séance du conseil général, qui avait commencé à sept heures, durait encore à dix heures du soir.


Le président disait :


"C’est des histoires. On n’a jamais très bien su ce qui s’était passé là-haut, et il y a vingt ans de ça, et c’est vieux. Le plus clair de la chose à mon avis c’est que voilà vingt ans qu’on laisse perdre ainsi de la belle herbe, de quoi nourrir septante bêtes tout l’été ; alors, si vous pensez que la commune est assez riche pour se payer ce luxe, dites-le ; mais, moi, je ne le pense pas, et c’est moi qui suis responsable..."


Notre président Maurice Prâlong, parce qu’il avait été nommé par les jeunes, et le parti des jeunes le soutenait ; mais il y avait le parti des vieux.


"C’est justement, disait Munier, tu es trop jeune. Nous, au contraire, on se rappelle."


Alors il a raconté une fois de plus ce qui s’était passé, il y a vingt ans, dans ce pâturage d’en haut, nommé Sasseneire et il disait :


"On tient à notre herbe autant que vous, autant que vous on a souci des finances de la commune ; seulement l’argent compte-t-il encore, quand c’est notre vie qui est en jeu ?"


Ce qui fit rire ; mais lui :


"Que si, comme je dis, et je dis bien, et je redis...


– Allons ! disait le président..."


Les jeunes le soutenaient toujours, mais les vieux protestèrent encore ; et Munier :


"Je dis la vie, la vie des bêtes, la vie des gens...


– Allons, recommençait le président, c’est des histoires..."



Pourquoi le pâturage de Sasseneire est abandonné depuis 20 ans ? Pourquoi une partie du village, notamment les anciens, refuse aujourd'hui le retour des troupeaux là-haut ? Le conseil vote...

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 2
EAN13 9782374635859
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La grande peur dans la montagne


Charles-Ferdinand Ramuz


Janvier 2020
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-585-9
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 585
I

Le président parlait toujours.
La séance du conseil général, qui avait commencé à sept heures, durait encore à dix heures du soir.
Le président disait :
« C’est des histoires. On n’a jamais très bien su ce qui s’était passé là-haut, et il y a vingt ans de ça, et c’est vieux. Le plus clair de la chose à mon avis c’est que voilà vingt ans qu’on laisse perdre ainsi de la belle herbe, de quoi nourrir septante bêtes tout l’été ; alors, si vous pensez que la commune est assez riche pour se payer ce luxe, dites-le ; mais, moi, je ne le pense pas, et c’est moi qui suis responsable... »
Notre président Maurice Prâlong, parce qu’il avait été nommé par les jeunes, et le parti des jeunes le soutenait ; mais il y avait le parti des vieux.
« C’est justement, disait Munier, tu es trop jeune. Nous, au contraire, on se rappelle. »
Alors il a raconté une fois de plus ce qui s’était passé, il y a vingt ans, dans ce pâturage d’en haut, nommé Sasseneire et il disait :
« On tient à notre herbe autant que vous, autant que vous on a souci des finances de la commune ; seulement l’argent compte-t-il encore, quand c’est notre vie qui est en jeu ? »
Ce qui fit rire ; mais lui :
« Que si, comme je dis, et je dis bien, et je redis...
– Allons ! disait le président... »
Les jeunes le soutenaient toujours, mais les vieux protestèrent encore ; et Munier :
« Je dis la vie, la vie des bêtes, la vie des gens...
– Allons, recommençait le président, c’est des histoires... Tandis que mon cousin Crittin est un homme sérieux, on aurait avec lui toute garantie. Et, comme je vous dis, ce serait septante bêtes au moins qui seraient casées pour tout l’été, quand on ne sait déjà plus comment les nourrir ici, à cause de toute cette herbe qui devient verte là-haut, pousse, mûrit, sèche, et personne pour en profiter... Vous n’auriez pourtant qu’à dire oui... »
Munier secoua la tête.
« Moi, je dis non. »
Plusieurs des vieux dirent non de même.
Munier, de nouveau, s’était levé :
« L’affaire, voyez-vous, rapporterait à la commune cinq mille francs par an, dix mille francs, quinze mille francs, elle rapporterait cinquante mille francs par an que je dirais non quand même, et encore non, et toujours non. Parce qu’il y a la vie des hommes, et pas seulement leur vie dans ce monde-ci, mais leur vie dans l’autre, et elle vaut mieux que l’or qu’on pourrait entasser, dût-il monter plus haut que le toit des maisons... »
Le parti des jeunes l’a interrompu.
Ils disaient : « C’est bon, on n’a qu’à voter ! »
Il y en avait qui tiraient leurs montres :
« Depuis trois heures qu’on parle de ça !... Qui est-ce qui est pour ? Qui est-ce qui est contre ? »
Ils votèrent d’abord pour savoir si on allait voter, en levant la main ; puis ils votèrent par oui et non.
« Ceux qui votent oui lèvent la main », dit le président.
Il y eut 58 mains qui se levèrent, et 33 seulement qui ne se sont pas levées.
II

Les négociations commencèrent donc avec Pierre Crittin, l’amodiateur, qui était de la vallée.
À la vallée, ils ont leurs idées, qui ne sont pas toujours les nôtres, parce qu’ils vivent près d’un chemin de fer. Pierre Crittin était cousin du président, par la femme celui-ci, et toute l’affaire était venue d’une conversation que le président avait eue pendant l’hiver avec son cousin, qui s’étonnait de voir cette montagne non utilisée. Le président lui avait raconté pourquoi. Crittin avait ri ; et Crittin avait ri, parce qu’il était de la vallée. Il avait dit au président :
« Moi, cette montagne, je la prends quand tu voudras.
– Oh ! si ça dépendait seulement de moi... avait dit le président.
– Écoute, avait dit Crittin, l’été prochain, je n’aurai plus la Chenalette ; ils me la font trop cher, alors je cherche quelque chose... Et c’est comme je t’ai dit : je prends Sasseneire dès qu’on voudra... Tu devrais proposer la chose au conseil ; je m’étonnerais qu’il y ait encore de l’opposition, car ton histoire est une vieille histoire ; tu n’y crois pas toi-même, ou quoi ?
– Ma foi non !
– Alors... »
Crittin leva son verre de muscat :
« À ta santé...
– Et bien sûr, avait-il repris, que je ne pourrais pas vous donner grand-chose la première année, parce qu’il y aurait à remettre les lieux en état ; mais, quand on sait s’y prendre, c’est intéressant une montagne à remonter, disait-il ; moi, ça m’intéresse... Et pour toi, ce serait avantageux aussi, vu le crédit que ça te vaudrait si tu arrivais seulement à faire que les finances de la commune aillent mieux, car elles ne vont pas trop bien, je crois...
– Pas trop.
– Tu vois. »
Ils ont encore vidé un verre ; et le président :
« Oh ! moi, tu sais, je suis d’accord ; il y a longtemps que l’y pensais, l’affaire était seulement de trouver preneur. Mais, maintenant, bien entendu, c’est une question qui ne peut être réglée qu’en conseil et par le conseil ; et il faudrait d’abord que je voie un petit peu ce qu’on en pense... Oui, comme ça, préparer l’opinion. Ensuite, je te ferais signe...
– Entendu. »
Ils burent un verre.
« Pour moi, disait Crittin, ça ne fait pas l’ombre d’un doute que la chose ne s’arrange, si on sait seulement s’y prendre, car personne n’y croit plus, au fond, à ces histoires, sauf deux ou trois vieux. Tu n’as qu’a y aller carrément, à mon avis, ça ne peut que fortifier ta position, tu verras, parce que c’est la jeunesse qui est derrière toi... Santé !...
– Santé !...
– Et il ne resterait plus qu’à s’entendre au sujet des conditions, mais sûrement qu’on s’entendra ; j’amène mon neveu Modeste, j’ai la chaudière, j’ai tout ce qu’il faut... On pourrait commencer les réparations au milieu de mai... Tout serait prêt pour la fin de juin... »
Le commencement de l’affaire avait été cette conversation que le président avait eue avec son cousin à Noël ; et, en effet, l’opposition n’avait pas été aussi forte que le président, qui était un peu timide de caractère, ne l’avait craint. Tout ce qui avait moins de quarante ans lui avait dit :
« Oh ! si vous avez quelqu’un !... On y aurait pensé déjà comme vous, mais justement, l’ennui, c’est qu’on ne voyait personne. Vous savez, ces histoires... Ça avait fait du bruit... Mais si vous avez à présent quelqu’un et quelqu’un de sûr, et quelqu’un de bien garanti, nous, on est d’accord, on vote pour... »
Il se passa un mois, deux mois ; le président continuait à entretenir avec prudence de son projet les personnes que l’occasion mettait sur son chemin ; quelques-unes hochaient la tête, mais la plupart n’objectaient pas grand-chose ; on voyait que ces vieilles histoires d’il y a vingt ans étaient déjà bien oubliées, en effet ; et, finalement, le président n’eut qu’un petit calcul à faire : celui-ci pour, celui-ci pour, et celui-là contre ; ce qui lui a donné un total d’une part et un autre total de l’autre, deux totaux, sans guère de peine, d’abord dans sa tête, puis sur un papier ; alors il avait convoqué le conseil.
Il y avait eu un premier conseil de commune, un second conseil de commune ; – et les calculs du président, comme on vient de voir, ne s’étaient pas trouvés si mal établis. 58 oui, 33 non : une belle majorité, – quand même les vieux n’étaient pas contents et plusieurs, après le vote, avaient quitté la salle des séances ; – mais, nous autres, on s’en moque un peu, puisqu’il y a eu vote, et le président pensait : « En tout cas, je suis couvert », – ce qui était l’essentiel pour lui qui, dès le lendemain matin, avait écrit à son cousin. Il y avait encore les conditions à débattre, mais elles étaient du ressort de la municipalité, laquelle se composait de quatre membres seulement (tous quatre hommes de moins de cinquante ans, depuis ces dernières élections, qui avaient porté Pr

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