Contes braconnés par les bois de Sologne
98 pages
Français

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Contes braconnés par les bois de Sologne , livre ebook

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Description

Les contes coutumiers mijotent dans un pot commun d’'où chacun peut les puiser pour, ensuite, les accommoder à son gré, avec plus ou moins de gourmandise, d'’inspiration et de talent. L'’un n’en fera qu’'une sornette fadasse, tandis que l’'autre, disposant des mêmes ingrédients, concoctera une fabulette délicieuse. Tous les goûts, tous les bonheurs sont dans la nature. Gérard Boutet, écrivain reconnu, est également un conteur. Ses textes, il aime autant les donner à lire qu’'à dire. Sous sa plume se confondent la tradition orale et la littérature populaire, puisque la seconde s'’imprègne de la première. Le verbe se compose de la parole et de l’'écrit. Par ce recueil qu’'il a parsemé d'’illustrations enjouées, l'auteur des Gagne-misèretémoigne une nouvelle fois l'’attachement malicieux qu’il porte aux petites gens indissociables des émerveillements de son enfance.


Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 27 décembre 2012
Nombre de lectures 104
EAN13 9782365729871
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0064€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les ermites guérisseurs

Au début de notre ère, alors que les rois barbares se bigornaient pour agrandir leur royaume ou pour affermir leur puissance, on vit arriver par chez nous de bien curieux chemineaux.
C’étaient des vieillards chenus, au regard clair et franc, à la voix douce, aux gestes lents de dignité et de sagesse. Ils venaient d’on ne savait où, ils ne se rendaient nulle part. Ils allaient où la Providence voulait bien les conduire. Ils se trouvaient à l’aise partout, à condition que l’endroit fût paisible et retiré du monde. Certains ne firent que passer ; ils se reposèrent par ici une nuitée, deux au plus, le temps d’avaler un maigre brouet, un pain de gruau, puis ils reprirent leur bâton d’errance et disparurent après avoir gravement remerciés leurs hôtes. D’autres s’écartèrent au profond des bois. Ceux-là avaient atteint le bout de leur quête. Ainsi en fut-il du diacre Liphard, qui s’isola dans les ruines d’un castrum, entre ruisseaux et fleuve, en une contrée que les centaures du terrible Attila avaient jadis saccagée. Ainsi vécurent Viâtre, Avit et My, au milieu des marais, parmi beaucoup d’autres saints hommes de semblable modèle.

Viâtre avait été élevé à la trique. Dans sa prime jeunesse, il avait dû garder les moutons de ses parents, puis ceux d’un monastère près de Bourges. Ayant assez de raison sous la tonsure, il avait rejoint les abbés de Micy auprès desquels il était resté pendant dix-sept ans. Au soir de sa vie, il préféra quitter l’abbaye pour élire retraite dans une clairière oubliée. Le lieu, depuis, est nommé « La Viâtrerie ».
Avit, le disciple qui l’accompagnait, l’aida à construire une modeste cabane, moitié hutte moitié tanière, qu’on couvrit de branchages feuillus et de mottes d’argile. Ce genre de bauge sert, de nos jours encore, aux bûcherons ; il s’agit d’un « cul de loup », car l’abri évoque davantage le liteau d’un ysengrin que la cellule d’un ermite. C’est néanmoins sous cette misérable cahute que notre bonhomme choisit de vivre ses dernières saisons.
Sa bicoque achevée, assuré qu’il était de ne point fondre sous les prochains déluges, le bon Viâtre lança son gouet en l’air. L’outil – une lourde serpe – retomba à une lieue et demie de là. En son point de chute jaillit une source fraîche et limpide, et miraculeuse comme il se doit en pareil cas. Cette fontaine existe toujours ; elle chantonne sous un édicule bâti en 1884. Les pèlerins s’y rassemblent les 25 mars et les lundis de Pentecôte.
Viâtre était devenu un vénérable patriarche, cassé par les ans, à la parole rare mais judicieuse. Il portait pour toute chemise une haire de pénitence, et pour tout manteau une méchante peau de bique qui le protégeait moins du froid que de la fatuité. Il s’infligeait de fréquentes macérations, marchait pieds nus dans la poussière comme dans la boue, et ne se régalait que d’un bouillon d’herbes épaissi au son d’orge.
Voilà déjà longtemps que les moines de Micy étaient venus rechercher Avit, son compagnon. Le vieillard vivotait, solitaire et béat, au secret de l’immense forêt solognote, dans la récollection et l’extase. Cet esseulement n’était troublé que par les rares rencontres d’un autre bienheureux des environs, Eusice, qui coulait des jours paisibles au bord d’une rivière voisine.
Parvenu à un âge canonique, Viâtre pressentit que le Très-Haut ne tarderait plus à le rappeler. Il attendit le trépas sereinement. Le dénouement de son passage sur terre devenant imminent, il ne laissa à personne le soin d’assembler son cercueil. Comme on fait le lit de son dernier sommeil, on se couche pour l’éternité.
La bourrasque de la veille avait déraciné un tremble gigantesque. Viâtre n’eut qu’à en évider le tronc pour obtenir la bière qui lui convenait. Après quoi, il se prépara à creuser sa tombe – à faire son trou, pourrait-on dire. Mais la camarde, soudain pressée, le prit de vitesse. Viâtre n’eut que le temps de s’allonger dans son sarcophage de bois, de fermer les paupières. Il était mort. La bure fut son linceul.
Lorsqu’ils découvrirent son auguste dépouille, les paysans du voisinage s’en chargèrent religieusement et l’enterrèrent au milieu du cimetière villageois. Pour tout héritage, le défunt ne léguait que son cilice usé et une vieille coule rapiécée. Cette vêture de peu suffit à combler les plus indigents qui, par gratitude, prirent l’habitude de venir prier sur sa tombelle, à l’ombre de la croix. On procéda bientôt à la sanctification du bon apôtre.
Pardonnez-moi de ne pas vous avoir tout dit. En ces époques lointaines, des fièvres pernicieuses empoisonnaient les vents qui soufflaient sur la région. Les paysans grelottaient des quatre membres. Or le hasard – mais était-ce bien le hasard ? – le hasard, mettons, voulut qu’une de ces pauvresses vînt se recueillir sur la butte de l’ermite. Elle s’en releva complètement guérie, aussi alerte qu’elle était en son jeune temps ! Le miracle fut constaté par de nombreux témoins oculaires ; il n’y avait pas à tatillonner sur le cas. Bientôt, tous les fébricitants de la province affluèrent en cohue vers le sépulcre. Une châtelaine des environs, elle aussi soulagée d’un mal incurable, fit construire une chapelle. On y déposa les restes vénérés. Un magnifique tremble poussa près du tombeau, comme pour le protéger de son ombrage frémissant. Un drageon de l’arbre-cercueil, sûrement. Le village reçut alors le nom de « Tremble-Vif », désignation qu’il ne devait échanger, contre le toponyme de Saint-Viâtre, que sous le Second Empire.
Cet arbre était, bien sûr, tenu pour magique. Plusieurs orages de cent mille diables s’acharnèrent après lui, mais c’est seulement en 1882 que la foudre en eut raison. On essaya de le remplacer par un scion prometteur, qui ne voulut jamais croître : preuve irréfutable que le tremble calciné était réellement magique, donc irremplaçable !

Il y avait quatre façons, pas cinq, de se soigner des fièvres endémiques avec la bénédiction de saint Viâtre. Un, on se prosternait devant les reliques ; deux, on se désaltérait à la source purificatrice ; trois, on glissait des rognures d’ongle sous l’écorce d’un tremble ; quatre, enfin, on raclait le bois de la statue dudit saint et on absorbait en tisane les poudres obtenues. Il paraît qu’à force d’être grattée et grattouillée, une de ces effigies s’usa au point d’en perdre la tête !
Le paludisme a disparu de la région, heureusement, et le culte de saint Viâtre ne fait plus que piètre recette. En témoignage des difficultés d’antan, il ne subsiste, dans le bourg d’aujourd’hui, qu’un édifice en briques, un « chafaud » érigé à la fin du quinzième siècle, sur l’emplacement supposé de l’ancien cul-de-loup. Depuis, saint Viâtre a dû se recycler. Il s’est converti en patron des braconniers. Pourquoi ? Parce qu’à la fin de son existence, il n’aurait pu se nourrir qu’en nouant le lacs autour des rabouillères !

Comme la plupart des ascètes, un autre ermite du cru, My, connut une carrière de guérisseur, mais seulement de son vivant, non à titre posthume.
La légende prétend que celui-ci ne sortait jamais de sa cellule. Nul ne vit son visage. Il consultait les patients au travers de sa porte, grâce à un huis minuscule qui en perçait le vantail. La localité qui se forma autour de l’ermitage fut appelée, pour cette raison, « Huisseau ». C’est, de nos jours, le bourg de Huisseau-sur-Cosson. Les fidèles perpétuent le culte de ce saint dont la vocation était, dit-on, d’apaiser les affres des moribonds.

D’après des récits hagiographiques, environs de Saint-Viâtre et de Huisseau-sur-Cosson.

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