ENFANT SERPENT
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Description

Dans les contrées de l'Afrique, des destins s'entremêlent, révélant les profondeurs insoupçonnées de l’existence troublée d'un enfant-serpent, dont la nature mystérieuse éveille des craintes. Dans cette histoire envoûtante, nous sommes plongés dans la vie du surnommé Extra, dont l'indifférence envers son environnement suscite la perplexité et le rejet des autres.

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Date de parution 01 janvier 2023
Nombre de lectures 127
Langue Français

Extrait

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e suis un serpent, dit-on. Mon nom c’est Extra ; J mon surnom plutôt. Mais je le préfère, parce que c’est ma maman qui me l’a donné. Ou peut-être pas. Le jour de ma naissance, le bonheur établit son siège dans notre demeure ; le plus gros coq de mon père fut égorgé, sa chair accompagnée de plats de fonio se glissa au fond des estomacs de mes parents, qui n’avaient pas manqué de distribuer quelques mor-ceaux aux proches venus spontanément. Du jus de tamarin accompagna le tout.
Mon père, à l‘acmé de sa joie, ₞t venir sa mère pour aider sa femme dans sa maternité. Les grands-mères sont très douées dans ce rôle. Elles s’appro-prient le nouveau-né, le balancent dans tous les sens, l’épongent de la tête aux pieds, avec une certaine brutalité douce dont elles seules ont le secret. Lors-qu’elles lavent le bébé, elles étirent ses bras, tordent ses jambes, malaxent ventre et dos. Les nouvelles mères, voyant le spectacle, sont anxieuses pour leur nourrisson, et pourtant une joie inénarrable se lit sur le visage de ce dernier. Il s’endort ensuite pour de longues et paisibles heures.
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Chez nous en Afrique, l’enfant n’appartient pas qu’à ses parents biologiques, il est l’enfant de tous ; ses vrais parents sont la communauté. Celle-ci a droit de correction et d‘éducation sur l‘enfant, a₞n qu‘il ne s’écarte pas du droit chemin.
Quatre années étaient passées après ma naissance, tout changeait et évoluait sauf l’enfant que ma mère avait mis au monde ; c’est- à-dire moi. Outre des ba-billages, je ne parlais pas encore, et j’avais cette ten-dance naturelle à me mettre à l’écart. J’étais indiffé-rent à mon environnement et à l’entourage. Une porte qui claquait, un bruit soudain, une chatouillade, ou toute autre toute chose, qui aurait attiré l’attention d’un enfant de quatre ans, me laissait impassible.
Je sus tout cela car j’étais le journal intime de ma mère. Elle me racontait toutes ses journées ; elle me disait combien elle était en joie lorsque je faisais mes premiers pas, quand j’esquissais l’ombre d’un sou-rire, et cela me paraissait comme des songes. Quand il m’arrivait de tourner la tête dans sa direction lors-qu’elle passait, elle riait et sursautait, se plaçait du
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côté opposé, et me demandait de répéter le geste, et, quand je le faisais, elle sursautait encore de joie, jusqu’à ce que je retourne à mon indifférence.
Les premiers regards, grognements et murmures commençaient à germer et produisaient des fruits. Mon père était inquiet, sa mère aussi. La mienne était patiente. Un soir, quand mon père rentra, elle me le montra du doigt, criant « regarde, papa est là ! », s’attendant à ce que j’aille vers lui. Lui aussi s’y attendait. Mais un cafard qui s’empressait de se sau-ver avait retenu mon attention. Elle me souleva et me déposa dans les bras de mon père, sans succès. Où était passé le cafard ? Mon père lança un regard dé-pité, furieux, vers ma mère et fonça dans sa chambre. Un sentiment de culpabilité envahit ma mère. Ne m’avait-elle pas assez habitué à la présence de mon géniteur ? se demanda-t-elle intérieurement. Elle voulut me poser sur ses pieds et m’enlacer lorsque ma grand-mère, qui avait suivi la scène, s’empressa de lui demander de me poser au sol ; il ne fallait pas qu’elle me donne de mauvaises habitudes. Ma mère s’exécuta.
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Ma petite voie rectale dut subir des purges répétées. À base de plantes élaborées par ma grand-mère, le tout était aspiré par une poire à lavement, et était dé-versé en moi. C’est là l’une des recettes miracles sous nos tropiques. Les personnes qui s’y dérobent sont traitées de « trop civilisées ».
Douze mois après, rien n’avait changé. J’étais beau-coup plus à l’aise en réclusion et je ne parlais que rarement. Quand ma grand-mère me posait sur ses pieds, après les longs bains, je restais impassible. Je ne manifestais guère d’intérêt, ni pour elle ni pour les autres. L’inquiétude rongeait un peu plus mes parents : Qu’est-ce qui se passait ? Pourquoi ne m’intéres-sais-je pas aux mêmes choses que les enfants de mon âge ? Dehors, les parents des autres enfants refusaient que je sois leur copain, craignant que je ne les contamine. Un jour, une femme réprimanda ma mère sur l’aire de jeu de la crèche.
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– Madame, interpella-t-elle, nous, les parents des enfants normaux, ne voulons plus que votre ₞ls joue sur le même terrain que les nôtres, surtout pas avec eux. Nous ne voulons pas qu’ils soient contami-nés. Ma ₞lle m‘a rapporté qu‘il a des comportements assez bizarres. – Mais madame, répliqua ma mère, vous avez dit « enfants normaux » ? C’est un enfant comme tous les autres. Il a juste une particularité qui ₞nira certainement par rentrer dans l’ordre. – Et c’est justement ce qui fait de lui un enfant bizarre, un extra-terrestre pour nous et nos enfants, la coupa net la voisine. Ma mère, estomaquée, resta bouche bée quelques se-condes, avant de revenir à la charge : – Si extraterrestre signi₞e être différent mais particulier, sachez madame que mon ₞ls est un ex-traterrestre. Et vous savez quoi ? Il est le plus beau et le plus fort des extraterrestres.
Se tournant vers moi, ma mère me ₞xa dans les yeux, me serra dans ses bras devant la dame et dit : « Je t’aime, mon joli petit extra-terrestre ». Elle me porta et s’en alla.
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C’est ainsi que maman me surnomma « Extra ». Ce jour-là, je souris pour la première fois. Elle me regar-da en train de sourire, et en pleura silencieusement. « Vas-y mon ₞ls, montre-leur qu‘ils ont tort de te trai-ter ainsi, ne sois pas attristé par leurs propos et leurs regards méchants, je te fais con₞ance, ne baissons pas les bras. », me chuchota-t-elle à l’oreille.
La tension grandissait à la maison. Mon père grom-melait à chaque fois qu’il passait près de ma mère, la boudait, ne la saluait même plus lorsqu’il rentrait ou encore ne répondait pas à sa salutation. Et, si elle se proposait de l’aider à porter ses affaires, alors qu’il revenait du boulot, il la bousculait presque, lui lan-çant un regard noir.
Grand-mère accusa ma mère d’avoir couché avec un génie des forêts. Elle l’avait répété plusieurs fois en paraboles et avait ₞ni par lui cracher sèchement : « Vous les jeunes femmes des villes, lorsqu’on vous avertit sur les méfaits de prendre des douches les nuits, car ces heures sont propices à la sortie des êtres malé₞ques, vous vous estimez trop urbaines et mé-prisez nos lois. Et ce sont de biens tragiques consé-
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quences qui en découlent. Vous mettez au monde des serpents. » « Il y a des lunes de cela, poursuivit-elle, une jeune femme, imbue de sa personne, et n’écoutant pas les recommandations des anciens, prenait malin plaisir à se laver tardivement et à chanter durant ce mo-ment. On avait eu beau la prévenir, elle était récal-citrante. Elle fut enceinte, puis accoucha d’une belle ₞lle au teint clair. Malheureusement, cette ₞lle était possédée par l’esprit du serpent des eaux ; à cinq ans, elle ne savait même pas tenir la tête droite, et pas-sait toute sa journée à baver, sif₟er à la manière des serpents, et prononcer des mots incompréhensibles. On disait que, la nuit tombée, elle se transformait en serpent et allait rejoindre ses congénères. Les sages disent que quand ce n’est pas un esprit des eaux, c’est souvent le fait d’un génie des forêts. Et il me semble que c‘est le cas avec ton ₞ls‡ »
Mon père soutint sa mère et traita la mienne d’impu-dique. Jamais il ne lui pardonnerait de l’avoir trahi avec un génie des forêts. Ma mère en pleura ; elle pleura beaucoup ce jour-là. Elle trouvait à la fois ri-
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dicule et insensée leur manière de penser, et en était profondément blessée.
La pression psychologique aussi s’accroissait ; ma mère était surmenée. Mon père lui avait dit qu’il ne voulait plus que ses yeux tombent sur son ₞ls in-digne, sinon ce serait la ₞n pour elle et pour moi. Elle décida à ce moment qu’elle me cacherait du regard des autres.
Si les voisins et amis sont nos forces, beaucoup plus souvent ils sont nos faiblesses. Ils sont ceux qui éta-blissent le diagnostic de nos maux et en déduisent la prise en charge. Des bouches éhontées suggérèrent à mon père de me faire accompagner‡ Un soir, ma grand-mère et mon père, après avoir lon-guement discuté, interpelèrent ma mère. Mon père lui demanda de cesser tout ce qu’elle était en train de faire et de venir prendre place en face d’eux. Ma mère ne se ₞t pas prier. Elle jeta furtivement un coup d’œil rapide à la sauce qui était en train de cuire, se saisit d’un tabouret qu’elle déposa en face de son
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mari et s’assit. Pendant de longues secondes, le si-lence régna. Ma mère ne savait dans quelle direction regarder sans gêner son époux et ma grand-mère. Fi-nalement, le silence fut brisé par son époux.
– J‘ai longtemps ré₟échi, et j‘ai trouvé une solu-tion. Et même la meilleure. C’est la seule façon, pour moi, de te pardonner ton in₞délité. Ton ₞ls est un en-fant-serpent. Et ce genre de monstre doit être remis dans son habitat propre.
Ma mère resta silencieuse, dirigeant lentement son regard vers ma grand-mère.
– Ce que ton mari veut te faire comprendre, ajouta celle-ci, c‘est que tu dois accompagner ton ₞ls pour que le mauvais œil quitte cette maison. Mau-vaise femme ! tonna-t-elle. N’as-tu pas remarqué comment ton époux a maigri et comment ses affaires sont à la baisse ? Sois sage, accompagne ce serpent.
Accompagner‡ Ma mère avait entendu ce mot une multitude de fois et dans une pléthore de phrases
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; mais, dernièrement, ce mot semblait avoir une connotation différente. – C’est quoi « accompagner » ? demanda ma mère, craignant d’en saisir le sens. – C’est simple, reprit grand-mère, nous irons ensemble au village. Le soir venu, on verra le gué-risseur. Tu feras un « bain de vapeur » pour te dé-barrasser de tes impuretés. Ensuite le guérisseur fera des incantations sur l’enfant et ce dernier reprendra sa forme normale, c’est-à- dire celle d’un serpent, et ira rejoindre sa vraie famille en brousse. Quand tu le verras partir sous sa réelle nature, tu ne devras ni pleurer ni crier, sinon tu deviendras folle. C’est tout. – C’est horrible ! cria ma mère, je ne peux pas laisser mon ₞ls s‘en aller, encore moins de cette fa-çon. – Tais-toi, femme de malheur ! cria mon père, prenant un air plus sérieux. Tu n‘as aucune décision à prendre dans cette maison. Je te donne trois jours pour te décider. Autrement, c’est moi-même qui me débarrasserai du fruit de tes in₞délités.
Deux jours s’étaient écoulés dans la même ambiance toxique de la maisonnée, où ma mère et moi étions
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