Décapage
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Décapage , livre ebook

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Description

Décapage est une revue littéraire semestrielle éditée par Flammarion. Cette version numérique propose une anthologie de huit nouvelles tirées de plusieurs numéros de la revue.
Nouvelle n°1 : Par ordre du Roi, par Stéphane Héaume
Où l’on apprend qu’il faut se méfier des petits poètes aveugles offerts par un roi. Qu’on soit dans le désert ou ailleurs...
Nouvelle n°2 : Hiver progressif, par Jean-Philippe Blondel
Où l’on prend conscience que le temps passe en allant dîner chez un vieil ami qui nous annonce la mort prochaine de son père...
Nouvelle n°3 : La loi Cioran, par Jean-Marie Blas de Roblès
Où, pour lutter contre la prolifération des livres il fut décidé par décret que l’auteur devrait payer de sa vie l'honneur d’être publié...
Nouvelle n°4 : Les vies imperméables, par Arnaud Dudek
Où on ignore qui est celui que l’on croise dans la rue, un bon père de famille, un salaud, un meurtrier...
Nouvelle n°5 : Journée d’automne, par Alexandre Gouzou
Où l’on marche dans Paris, aussi perdu et seul dans la ville que dans sa vie. Et soudainement, un accident de la circulation survient...
Nouvelle n°6 : Interview exclusive de l’homme de l’année (propos recueillis à la petite semaine), par Franz Bartelt
Où l’on assiste un une interview sans langue de bois de l’homme de l’Année, qui n’est pas forcément celui qu’on croit...
Nouvelle n°7 : L’imagination au pouvoir, par Benoit Schmutz
Où l’on retourne sur les bancs de la fac, avec Marco qui planche sur l’ultime version de son exposé...
Nouvelle n°8 : Ma vie sans Bourbaki, par Christine Avel
Où l’on va sur les traces de Nicolas Bourbaki, mathématicien imaginaire…

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 11 juillet 2012
Nombre de lectures 10
EAN13 9782363150097
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0012€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Décapage (Anthologie numérique n°1)
Stéphane Héaume
Jean-Philippe Blondel
Jean-Marie Blas de Roblès
Arnaud Dudek
Alexandre Gouzou
Franz Bartelt
Benoît Schmutz
Christine Avel
ISBN 978-2-36315-169-8

Avril 2011
Storylab Editions
30 rue Lamarck, 75018 Paris
www.storylab.fr
Les ditions StoryLab proposent des fictions et des documents d'actualit lire en moins d'une heure sur smartphones, tablettes et liseuses. Des formats courts et in dits pour un nouveau plaisir de lire.
Table des mati res

Stéphane Héaume, "Par ordre du Roi"
Jean-Philippe Blondel, "Hiver Progressif"
Jean-Marie Blas de Roblès, "La loi Cioran"
Arnaud Dudek, "Les vies imperméables"
Alexandre Gouzou, "Journée d'Automne"
Franz Bartelt, "Interview exclusive de l'homme de l'année"
Benoit Schmutz, "L'imagination au pouvoir"
Christine Avel, "Ma vie sans Bourbaki"
La revue littéraire Décapage
Dans la m me collection
Stéphane Héaume, "Par ordre du Roi"
Où l’on apprend qu’il faut se méfier des petits poètes aveugles offerts par un roi. Qu’on soit dans le désert ou ailleurs.


« Dans mon désespoir je me mis à regarder autour de moi et tout d’un coup je me vis, dans un miroir accroché au mur, comme jamais je ne m’étais vu jusqu’à ce moment. J’étais l’image de l’incertitude et de la crainte. (...) J’eus subitement horreur de moi et je mis mes deux mains sur les yeux. »

Julien GREEN, Le Voyageur sur la terre


On n’a jamais su comment il s’appelait, ni pourquoi il était venu s’installer dans le désert, loin de la Ville. On le nommait « l’exilé ». Son visage était banal, celui d’un voyageur. À l’ombre il paraissait bon ; au soleil il se durcissait. Il avait traversé l’oasis en jetant sur nous un regard vide, le regard de ceux qui n’ont pas vu les hommes depuis longtemps. Ni surprise, ni joie. Aucun mépris ; une absence, plutôt, que certains chez nous ont interprété comme une naissance. Il marchait d’un pas de guerrier las, la djellaba raidie, la canne machinale. Il était jeune. Il but au puits. Des femmes lui portèrent des arachides qu’il refusa. Il se remit en route pour s’éloigner au-delà des derniers palmiers, derrière les dunes rouges d’où l’on ne revient pas. Il y eut des prières pour le malheureux. Et jusqu’au soir il fut question d’aller le rejoindre, de lui donner un âne, au moins. Mais paroles... En ville, on donne ; dans l’oasis, on garde.
Ce n’est que plus tard, au cœur de la nuit, que se produisit un phénomène inexplicable. Nous dormions tous. Il n’y avait que le froid de l’obscurité et le silence des cases assoupies. On ne sait plus qui s’est levé, qui a vu le premier ; mais bientôt nous fûmes tous à regarder dans la ruelle, photophore au poing.
Ils avançaient en file indienne, le museau bas, comme flairant le sol, plus grands que des loups, plus gras que des chiens, calmes, les yeux clairs, incandescents, le pelage luisant sous la lune. Ils nous ignoraient et traversaient l’oasis ainsi qu’une patrouille rassurante : secrète, accorte et chaude. Il émanait de leur démarche quelque chose de bon. Ils étaient cent d’après les témoignages. Leur route était celle de l’exilé. Le désert les avala un peu plus tard, tandis que les commentaires montaient avec l’aube. Et, s’il existait un mot pour les désigner, nous l’ignorions : ces animaux sont inconnus dans nos régions. Même en ville, où la nouvelle parvint après trois jours, les hommes demeurèrent muets. À l’exception du Roi.
Il est difficile d’évaluer le temps qui sépare l’arrivée de l’exilé de l’information qui bientôt circula partout. On pensa d’abord que le Roi avait dépêché un espion. Ensuite, l’on évoqua les visions de la vieille Malika dont les doigts se recroquevillent chaque jour davantage sur ses amulettes. On crut enfin que l’exilé lui-même s’était manifesté au palais pour demander refuge. Mais suppositions... En ville, on échafaude ; dans l’oasis, on intrigue.
Ce que l’on sut – et peut-être la suite n’est-elle que légende, mais aujourd’hui nous la racontons à nos enfants pour ne pas oublier – ce que l’on sut, c’est que l’exilé s’était fixé dans le désert et habitait une case précaire où il méditait tout le jour. Dans un enclos de pierres et de joncs vivaient ses « chiens », faute de pouvoir les nommer précisément , ceux-là même qui avaient traversé l’oasis, et qui avaient la particularité de donner un lait dont l’exilé se nourrissait. C’est dire combien ces animaux étaient précieux. L’exilé priait ; ses chiens l’allaitaient. Nous n’apprîmes jamais par quel miracle il avait trouvé des pierres et des joncs.
Renseigné, le Roi, respectueux du choix de cet homme insaisissable mais néanmoins attentif, décida un soir de banquet de lui envoyer une caravane soigneusement composée.
Il y avait des esclaves, il y avait des femmes. Il y avait des voyantes, il y avait des marchands. Cortège cahin-caha tiré par des chameaux, ployant au seuil des dunes, grinçant au creux des oueds. Des rires et de la sueur. Du grelot, de la gourde et du voile. Ça criait par-ci, ça chantait par-là. Mais l’apparent désordre cinglé de sables et de poussières aux moments de grand vent dissimulait dans l’équipée bruyante ce que le Roi, habile, avait tenu secret.
C’est ainsi qu’un soir, contemplant allongé le couchant, l’exilé vit paraître dans l’horizon brûlant la silhouette tremblée des ordonnances du Roi. La caravane stoppa devant sa case, peu à peu, à grands piétinements. Les bêtes soufflaient, tordant le cou pour renifler les chiens assoupis dans l’enclos. Se détachant de la file – ayant comme sauté sur le sable – s’avança un petit page vêtu de bleu, au regard noir, qui marchait en boitant. Tous le regardèrent s’approcher de l’exilé bientôt sur son séant. Il fit une petite révérence puis, d’une voix aiguë, dit :
« Monsieur, le Roi admire ton recueillement. Il te fait porter ce présent qui accompagnera tes nuits de solitude. Accepte sans réserve. »
L’exilé acquiesça sans mot dire. Son regard était aussi pâle que la lune avant les tempêtes de sable. Le petit page se dirigea vers un chameau chargé d’une caisse de bois d’imposantes proportions, appela six hommes forts, mi-marchands, mi-bandits, qui débarquèrent le fardeau pour l’ouvrir aussitôt à grand renfort de pieds de biche improvisés. L’exilé s’était levé. Les premières ombres rayaient son visage mince qui frémit aux derniers craquements de la caisse. Il s’approcha. Le petit page, d’un geste théâtral, lui montra l’étrange cadeau du Roi.
C’était un homme. Assis en tailleur, voûté, replié sur ses genoux et comme desséché, le visage tourné vers le centre de la terre, paumes ouvertes, bras ballants. À ses côtés, insolite, renvoyant les derniers éclats du soleil : un gong dont le disque oscillait faiblement sous le vent.
Le petit page murmura quelques mots à l’oreille de la malheureuse créature, qui demeura immobile, puis s’éloigna rejoindre l’exilé. Et, à mi-voix, dans une sorte de confidence :
« Cet homme est un poète aveugle. Il sera ton gardien. Le soir, il te récitera des poèmes. Et si tes chiens, un jour, sont en danger, il t’alertera en frappant sur le gong. Prends soin de lui ; aime-le, protège-le. Il est ton seul salut dans ce désert. »
À peine avait-il prononcé ces mots que des marchands érigèrent une case jouxtant celle de l’exilé, semblable en tous points à celle de l’exilé. Ce dernier n’avait toujours pas parlé et, lorsque peu de temps après le groupe se remit en marche, il n’avait pas remercié. Le petit page, lui, juché sur un chameau, avait agité son mouchoir avant de disparaître derrière les courbes tremblées de l’horizon d’or, dans le souffle des bêtes et les brinquebalements de la noire caravane.

La première nuit, comme il se couchait après avoir bu le lait de ses chiens, l’exilé se comporta de la même façon que les jours précédents. La présence de l’aveugle le laissait indifférent. Il fit une prière, s’allongea, ferma les yeux. E

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