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Description

Ce récit rend compte de l'expérience paradoxale vécue par les salariés du Samu social d'Amiens : portés par leur idéal humanitaire et leur besoin d'équité, ils se heurtent parfois durement à la réalité du terrain où la misère sociale et affective s'accompagne souvent d'un refus de soin et de prise en charge.
Peuvent-ils tous s'y adapter, au regard de leur propre vécu et de leurs propres failles intérieures ?
Il est en fait impossible d’en sortir vraiment indemne et pour certains, les conséquences peuvent s'avérer dramatiques...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 06 février 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782332880109
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0090€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-88008-6

© Edilivre, 2015
Déconnexion imminente
 
Bien qu’inspiré de situations et de personnages réels, ce récit n’est que pure fantaisie.
Les noms de lieux et de personnes ont été changés à dessein.
Seule la trame de fond, Amiens et ses ambiances de nuit, vus au travers des interventions des équipes de Samu social, est tout ce qu’il y a de plus réaliste et sincère.
A mon mari,
A mon frère Jacques, à ma sœur Christiane,
A mes anciens collègues, avec tendresse,
C.B.
 
 
– Pas seulement une question d’ambiance… estime Aurélien en remontant d’un geste sec la fermeture éclair de son blouson de Samu social, opération qu’il ne peut mener à terme, l’embout de métal lui restant dans les mains :
– Et bien voilà, elle est pétée ! Non mais tu parles d’une saloperie !
Il s’escrime nerveusement dessus sans aboutir à aucun résultat notable, sauf d’aggraver son état d’irritation.
Sûr que l’ambiance du service, dont il parlait avec Nina un instant plus tôt, ne va pas s’en trouver améliorée.
– Ils ne nous fournissent que du matériel de merde, non mais, t’as remarqué ?… Même pas un truc décent à se mettre sur le dos !… »
Il a réussi à s’extirper non sans mal de son vêtement sournois et farfouille dans la penderie du fond pour s’en trouver un autre. Pas mieux mais pas pire, du moins l’espère-t-il.
Est-ce qu’ils n’ont que des trucs de deuxième zone, ici ?
Il fait un peu sombre dans le vestiaire, pièce sans fenêtre, et particulièrement ce jour là parce que l’un des néons montre des signes de faiblesse et s’éteint toutes les deux secondes, clignote, palpite à contre-temps et fait savoir qu’il va tout lâcher à plus ou moyen terme.
« Ben c’est comme tout le reste ici, récrimine Aurélien à mi-voix, il n’y a pas de raison pour que les néons s’y mettent pas aussi. Z’auraient bien tort de se gêner… »
– Oh arrête un peu ! s’exclame Nina. Tu vas pas râler toute la nuit, si ? Dire que c’est toi qui as parlé le premier de l’ambiance de travail, pour t’en plaindre, tu te rappelles ?
A la réunion institutionnelle de l’après midi, terminée il y a peu, une dizaine de minutes à peine, Aurélien a estimé que l’ambiance se dégradait, qu’il y avait des clans, que cela nuisait au travail globalement, à cause d’une « certaine forme de rétention d’information totalement néfaste », selon ses propres termes.
Il a pris l’exemple de Jacky Barthe, un usager sorti de prison il y a peu, plus connu sous son pseudo de « Jack-l’arnaque », sujet dangereux et récalcitrant de retour dans le circuit sans qu’une partie de l’équipe n’en soit informée. Quand cette partie de l’équipe non briefée s’est cognée rudement dans le gus en question au hasard d’une intervention, elle n’a pu que battre en retraite hâtivement en comptant ses plumes, signaler que Jack-l’arnaque était à nouveau libre comme l’air et les avait toujours dans son collimateur, s’apercevant après coup que l’autre partie le savait déjà et avait juste omis de le signaler.
– Pour ce que cela aurait changé ! avait remarqué Baptiste, leur coordinateur.
Son petit sourire ambigu avait épinglé Aurélien tout vif, le privant d’air et d’arguments, tout le staff de la boîte assistant à l’échange.
« Il y a des moments où faut savoir fermer sa gueule. »
Il l’avait fermée sur le coup mais ne cessait de fulminer depuis.
Et Nina, de service avec lui ce soir, en faisait les frais.
Jack-l’arnaque pouvait tout pourrir partout où il mettait les pieds, même sans le faire exprès, question de pratique. Une seule allusion à son simple nom déglinguait tout le contexte. Raison pour laquelle, peut être, il valait mieux le passer sous silence.
– Et puis tu sais, l’ambiance, déclare Nina en bouclant son blouson professionnel, l’ambiance, c’est une notion trop suggestive, tu vois, ça dépend trop non seulement des circonstances extérieures mais aussi tellement plus de notre état d’esprit intérieur au même moment… Tu m’écoutes ?
– Tu m’écoutes, Aurélien ? vérifie-t-elle à haute voix.
Bien sûr que non. Aurélien est bien trop occupé à ruminer ses griefs pour tenir compte d’aucun avis. Sauf ceux qui le conforteraient dans son ressentiment, à l’occasion, mais vu que ce n’est pas le cas, alors pas moyen.
Parce que l’ambiance, tu vois, l’ambiance… On pourrait trouver à en redire, à ce sujet, et des vertes et des pas mûres, encore !
Mais comme personne n’écoute, encore moins ne répond, qu’est-ce que ça peut bien faire ? Nina se le demande.
La réalité, quel que soit le point de réflexion où elle pourrait parvenir, c’est qu’elle est juste devenue l’infirmière des pauvres, « l’infirmière sociale » comme la présente Jimmy lorsqu’il est de veille au foyer d’accueil d’urgence pour sans-abris, en bas de la route de Senlis à Amiens, c’est vrai, Nina travaille à Amiens. Amiens, en Picardie, dans le Nord. Elle occupe le poste d’infirmière de Samu social, en alternance avec son collègue Damien, ils sont les deux infirmiers titulaires du dispositif pour tout le département de la Somme, investis d’une mission de santé publique. Et bref, Jimmy a pris l’habitude de lui rassembler les éclopés du soir alignés sur des chaises bancales contre un mur de cet interminable couloir qu’ils ont là-bas et de pousser un imperceptible soupir de soulagement en la voyant arriver pour de nouveaux hébergements en s’exclamant : « Allez-y les gars, voilà l’infirmière sociale ! »
« Il se fiche de moi ! » a d’abord pensé Nina avant de le connaître mieux.
Non mais qu’est-ce que j’ai de plus social que lui ?
Il est dans la surenchère, là, ou quoi ?
Est-ce que c’est obligatoire d’accoler le mot « social » à toutes les actions du dispositif ?
Au Samu social d’Amiens, on pratique la maraude dans les intervalles libres, les temps morts sur la ligne 115, quand il n’y a pas d’appel et donc pas d’intervention programmée. La maraude consiste à rôder dans la ville, de quartier en quartier, à bord du véhicule de service, à la recherche de personnes en difficulté : le genre qui dort à même le sol sur un tas de cartons, ou qui tient assis comme par miracle sur un banc noyé de ténèbres et de pluie noire, le genre qui ne demande plus rien par lui-même, qui a lâché la rampe depuis un petit moment déjà, qui se laisse couler dans le silence général. Aller à leur rencontre, parler, échanger, respecter leurs réticences, y revenir.
Aurélien, éducateur spécialisé, est au volant ce soir, toujours aussi ronchon : il faut dire qu’il a trouvé une paire de vieux gants en vinyle dans l’une des poches de son blouson d’emprunt. Peut être pleins de germes très virulents, comment savoir ?
Nina garde le cahier de bord sur ses genoux, prête à noter chaque appel sur la ligne 115 mais aussi chaque personne en difficulté rencontrée au hasard de la maraude, « sur ronde », que celle-ci accepte l’aide proposée ou pas. Les deux téléphones portables sont posés sur le tableau de bord, à portée de main. Concentration maximum. Voir défiler les rues noires, se pencher parfois pour apercevoir le croissant de lune tout neuf dans le rétroviseur de droite constellé de buée argentée.
La métropole assoupie s’étire incroyablement loin. Jamais Nina ne s’est rendue compte de son étendue. Avant cette expérience, elle aurait parié qu’Amiens fait partie des villes moyennes, voire petites. Elle révise son opinion à présent : Les rues de briques s’enchevêtrent, parfois n’importe comment, certaines n’en finissent plus, comme la rue de Cagny, pour n’en citer aucune. Même les quartiers qu’elle connaît par cœur, le centre-ville, celui qu’elle habite, même ceux-là lui échappent la nuit. Elle a cru les connaître, on peut le dire comme ça, mais ils n’ont plus rien à voir maintenant, désolée. Et même selon les nuits, ils changent encore complètement de physionomie, c’est à devenir dingue ! Selon que la pluie les nimbe de son halo hachuré, fulgurante de reflets fragiles sous l’or intermittent des feux de croisement, que le gel les pétrifie d’éclats de lune acérés, que la brume les voile de son coton opaque et sourd. Jamais deux fois la lumière des réverbères ne se reflète pareil sur les trottoirs vides, un coup violente, un coup bleutée, parfois débordante, éblouissante pour les yeux fatigués, un coup rare et secrète, rendant les ombres encore plus noires, plus suffocantes, si tant est que parler d’ombres suffocantes ait le moindre sens.
L’un des portables sonne sur le tableau de bord. C’est le poste principal bien qu’il ressemble comme deux gouttes d’eau à l’autre téléphone qui le côtoie.
– 115, bonsoir, annonce Nina en décrochant… Où ça ?… Rue Parmentier ? C’est quel quartier, ça, rue Parmentier ?… Quel numéro ?… Oui, un homme seul qui a l’air mal… Comment ça mal ? Jusqu’à quel point, il est conscient quand même, il répond aux questions ?… Ah bon, vous ne lui avez pas parlé, vous l’avez juste aperçu en passant mais vous n’êtes pas sorti de votre véhicule, vous passiez vite, finalement, mais pas tout à fait assez vite pour l’ignorer… Vous l’avez vu et vous vous êtes dit qu’il était en difficulté… Oui, parfaitement, il l’est peut-être, vous avez bien fait d’appeler, nous allons passer voir, nous allons venir à sa rencontre, merci de votre appel…
Noter l’appel dans le cahier de bord, remplir une case : 0 h 10, appel d’un particulier, signale un homme seul assis sur un appui de fenêtre, au numéro 5 ou à peu près de la rue Parmentier.
0 h 15 : Nina et son collègue sont sur place. Ils parcourent la rue dans les deux sens sans voir personne, pourtant particulièrement attentifs aux recoins d’ombre, désireux d’aider. Il s’agit peut-être de quelqu’un qui a fait une pause de cinq minutes à cet endroit, trop fatigué pour rentrer directement, ou

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