Des catastrophes pas très naturelles
104 pages
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Des catastrophes pas très naturelles , livre ebook

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Description

Dans ce recueil de nouvelles, Jean-Marie Fleurot porte le regard sur des personnages plongés dans le chaos d’un monde qui n’en finit pas de s’agiter dans ses derniers soubresauts. À l’image de la nouvelle qui donne son titre au recueil, et qui trouve son origine dans le chaos nucléaire pour s’achever dans un ouragan frappant une ville dont beaucoup sont délaissés, depuis toujours, l’homme a eu pour projet de maîtriser la nature et de se délivrer de ses atteintes. Très tôt, il a pris conscience de l’existence d’une menace naturelle pesant sur lui et a eu la volonté de s’en protéger. Mais aujourd'hui, avec les guerres que nous nous livrons, nous sommes devenus les metteurs en scène de catastrophes que nous nous nous infligeons à nous-même. Des rives de la Méditerranée à la grisaille de l’Angleterre, de Sarajevo à la Nouvelle-Orléans ou Hiroshima, où tout a commencé pour le pire. Les personnages de ce recueil ne sont souvent que des pions, poussés au hasard au gré d’un jeu dont tout le monde semble avoir oublié les règles.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 20 mars 2020
Nombre de lectures 2
EAN13 9782414424634
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Cet ouvrage a été composé par Edilivre
194 avenue du Président Wilson – 93210 La Plaine Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com
 
Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.
 
ISBN numérique : 978-2-414-42461-0
 
© Edilivre, 2020
Exergue
L’avenir nous tourmente, le passé nous retient, c’est pour cela que le présent nous échappe.
Gustave Flaubert
Les anges stagiaires
Faute de renseignements plus précis, personne, à commencer par moi, ne savait ce que j’étais venu foutre sur terre.
Jean-Paul Sartre – Les mots
 
 
Il se demande où il a pu apprendre toutes ces conneries sur Lindbergh. Il danse d’un pied sur l’autre, juste sous le panneau qui clignote. Il balaie du regard le gris des immeubles et le paysage industriel éventré par l’autoroute qui s’apprête à longer les clôtures, derrière lesquelles se terrent les avions, cloués au sol sous des hangars bouffés par la rouille, endormis dans un aéroport musée ressemblant à un HLM des années trente. Le dernier à avoir déplacé les foules ici c’est un play-boy, arrivé en aéroplane, comme un ange tombé du ciel. C’était un samedi soir de printemps, lui, il était juste un gamin un peu perdu, se faisant écraser les pieds par la meute, et de toute façon il n’avait rien vu. Tout ce qu’il avait appris ce jour-là c’est à se méfier des anges, surtout ceux qui ont une trop belle gueule. C’était un puritain, on disait qu’il n’avait jamais connu de femme. Son grand-père éructait en riant que traverser l’Atlantique en avion avec cinq sandwichs et une gourde d’eau, assis dans un fauteuil en osier pour ne pas s’endormir, c’était bien une idée de goy  ! Manquait plus qu’il soit puceau avec ça  ! Le héros du Midwest porté en triomphe, celui qu’on avait supplié d’embrasser sa mère en partant, car elle ne le reverrait jamais, s’était pourtant vite transformé en admirateur de Hitler. Un «  grand homme  », selon lui, et ce n’était que le début…
Dix kilomètres seulement séparent la gare des voutes de Notre-Dame, mais les miracles sont trop fatigués pour se trainer jusqu’ici, et le bruit des bus étouffe les accords des Te Deum depuis longtemps. À moins qu’on n’en joue plus. Le train est en retard, comme toujours, et quand il arrive il reste figé pendant cinq minutes avant de repartir, «  problème de fermeture des portes  ». Une fille, à l’air très jeune, est assise à la place qu’il occupe habituellement. Il ne l’a jamais vue. Elle porte des écouteurs sur la tête, branchés à un walkman Sony qui dépasse d’une besace blanche en équilibre sur ses genoux. Des tennis trop grandes chaussent ses pieds, aucune marque visible, peut-être le dernier must ou alors un logo masqué quelque part, repérable seulement par les initiés. Quand elle se cale contre la vitre, en faisant pivoter son corps tout entier, la mini-jupe verte en coton remonte et découvre sa cuisse droite. Un tatouage s’y étale, très haut. Un petit bouddha, mains croisées avec une grosse tête sévère, qui contraste sur la chair à peine bronzée. La scène est inexplicablement érotique. Elle s’en fout éperdument. Elle ne regarde personne, elle sent bon.
À l’autre bout du compartiment, accroché à la barre, un grand black rajuste son chapeau de prière, les yeux rivés sur la gamine qui montre ses cuisses à tout le monde. Tout à l’heure, quand elle s’est calée contre la vitre, il a même entrevu sa culotte entre ses jambes. Ça lui a remué le bas-ventre. Une sensation tellement oubliée qu’il a presque failli s’excuser. Mais à qui, et surtout de quoi  ? D’avoir renoncé depuis si longtemps à être un homme excité par des femmes interdites  ? Chez lui elles ne se conduisent pas comme ça. «  Chez lui  » … Juste des mots, un campement qu’il reconstruit patiemment chaque fois qu’il a besoin de se mettre à l’abri, mais qu’il doit démonter le matin venu. Un peu comme cette fille ignore certainement tout de bouddha, mais se l’ait fait tamponner sur la cuisse, comme une marque de fabrique pour se sentir de quelque part.
Les portes se ferment et claquent, enfin, dans un mélange de soupir et de flatulence hydraulique, la sonnerie stridente annonce que tout est hermétique. Comme dans ’un sous-marin paré pour la plongée.
Il rajuste les bretelles de son instrument et parcourt le wagon du regard. Il transpire dans son costume et son gilet de laine. Il pue, c’est peut-être pour ça que le type dont le chapeau de prière glisse tout le temps, lorgne sur lui ? C’est vrai que dans le RER, le pauvre pue. Mais au moins, c’est une odeur rassurante parce qu’elle est humaine au milieu des déchets d’une ville devenue incontinente qui se noie dans sa diarrhée et s’étend sans fin, enveloppée dans un nuage toxique. Il hésite, les doigts en équilibre sur les touches. Il fixe les pieds de la fille sur la banquette, des chevilles avec des attaches très fines, les veines qui courent sous la peau jusqu’à un cœur qui bat. Pour qui  ? Elle a de jolies jambes, il a toujours été ému par les jambes des femmes. Il tire machinalement sur sa manche pour dissimuler l’intérieur de son poignet. Vieux réflexe, mais lui, il n’a pas demandé. À 15 ans, il ne rêvait pas de tatouage. Ni pleins ni déliés, on l’a juste marqué pour le conduire à l’abattoir, estampillé comme une pièce de bidoche. Il a eu beau essayer ensuite, rien à faire, indélébile, ça s’étale, ça bave, encore plus dégueulasse  ! Il se demande ce que ça fait d’exposer ses cuisses comme ça… Peut-être que ça l’excite, ou alors elle se fout du regard de tous les gens autour. Ses doigts se posent sur le clavier. Il tangue dans une secousse et compense le roulis, de justesse. Il gonfle l’accordéon et attaque «  La vie en rose  ». Le chapeau de prière se tourne face à lui, son sac Lidl à la main, et jette un regard curieux sur l’accordéon dont il cherche à déchiffrer la marque malgré les lettres manquantes.
Il enchaine, couplets et refrains jusqu’à ce que la rame s’immobilise en pleine voie juste avant la gare. «  Accident de personne  », leur balance le haut-parleur. Il hoche la tête et sourit. Putain, elle en aura connu des accidents de personnes cette ligne… On leur disait déjà de ne pas descendre, de ne pas profiter de l’occasion pour s’échapper des entrailles du train, rester là et attendre la fin du voyage… À l’époque, ce n’était pas la ligne B pour banlieusards usés jusqu’à la corde, mais encore le PLM. Toute la famille qui part en voyage sous le regard emmerdé des voisins. Terminus, une plaine de Pologne avec un drôle de portail et des soldats pour leur gueuler dessus en guise de comité d’accueil. On s’était bien foutus d’eux  ! Retour à l’envoyeur qu’ils disaient. C’était la dernière fois aussi qu’il voyait Mémé et Pépé. Tout seul avec une envie de chialer qui lui monte à la gorge au mauvais moment, comme toujours bien sûr. C’est alors qu’un grand type le prend comme un paquet et se met à lui parler doucement au milieu des hurlements des gens qu’on sépare et qui se chient dessus de terreur. Le soldat examine délicatement son violon avant de refermer l’étui et de lui rendre.
Il joue toujours Piaf, machinalement, et se revoit devant le baraquement, avec les autres derrière lui, ballotés par le vent glacé, tapant du pied, pas pour le rythme, juste pour ne pas geler, pendant que défilent ceux qui se trainent jusqu’à la carrière et ne reviendront pas tous à la nuit tombée. Le dimanche le Kappelmeister les exhibe devant les officiers du camp et leurs familles. Il n’a rien demandé à personne, mais il est le seul virtuose au milieu de ces tâcherons qui le jalousent. En plus, il est jeune et passerait presque pour un des «  autres  ». Tandis qu’eux, tous des musiciens de second rang, des répétiteurs au conservatoire qui s’appliquent, et parfois tirent la langue comme des gosses en train de monter un planeur en balsa dont ils auraient peur de crever les ailes. Ils sont arrivés avec leurs airs de chiens battus, leurs bides en avant et même un reste de la suffisance des laborieux qui cachetonnent le dimanche dans les bar-mitsva et les mariages. Ils gueulaient à qui voulait les entendre, mais pas trop fort quand même, vous comprenez on n’est pas chez nous, qu’ils étaient musiciens, eux  ! Tu parles. Tandis que lui, une icône à la Leni Riefenstahl. Enfin, difficile d’oublier l’étoile jaune bien sûr, ça gâchait un peu le plaisir de tout le monde. Ils sont tous bien emmerdés maintenant  ! Le youpin beau comme un dieu qui joue du Bach, ça la fout mal, même lui il se rend compte du malaise. Tant que le public se croit à Bayreuth ou à Dresde… Des petits bourgeois incultes, nouvellement promus grâce à la terreur, dont les hochements de tête de faux connaisseurs valent à «  l’orchestre  » une soupe un peu plus épaisse et lui évitent de partir prématurément en fumée.
La fille relève la tête, soulève un écouteur pendant un instant et sourit. Puis elle replonge dans son univers, mais le sourire ne s’est pas tout à fait effacé de son visage. Enfin c’est ce qu’il croit.
Il était photogénique à l’époque avec sa gueule d’ange, et les commissaires politiques qui avaient ouvert les portes du camp presque désert avaient tout de suite reniflé le bon profil pour affiche de propagande. Parce que c’était déjà la guerre des images avec les alliés d’hier, pas question d’arriver trop tard et de rater leur coup avec ce gamin tombé du ciel sinon c’était la Kolyma direct ! Faux virtuose, il se retrouve bombardé vrai maestro. La Philharmonie avait perdu la moitié de son effectif et sa salle de concert n’était plus qu’un tas de gravats balayé par les vents où venaient chier tous les pigeons de Varsovie. En plus, Pépé s’était barré de Pologne en 35, l’année où il avait remporté le Concours international de violon Henryk Wieniawski. C’était l’occasion de retourner un youpin à l’envoyeur et d’emmerder les polaks au passage. Ça s’appelait fêter l’ordre nouveau entre pays f

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