État(s) des lieux
140 pages
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État(s) des lieux , livre ebook

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Description

« Je connais des espaces aménagés, des parcs sillonnés d’allées souvent sablonneuses. Conçues pour les humains, ces terres d’asile déroulent leurs tapis aux ornements créés pour séduire. Ici et là... »



Ce livre est une mosaïque, un enchevêtrement et un jeu de miroirs. Mais il a au moins un sens aisément repérable : sous les yeux d’un masque, d’autres objets, des lieux et diverses menues choses – ou leurs représentations – exposent leurs états d’âme. Au cœur de cette énumération, un interlude en forme de sablier s’invite, car les objets, les lieux et les diverses menues choses commentent aussi le temps qui passe. Et, pour terminer, comme un clin d’œil hors-cadre, un « je » offre une forme de parole aux livres... Il était temps.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 17 juillet 2019
Nombre de lectures 1
EAN13 9782414342679
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
194 avenue du Président Wilson – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-34268-6

© Edilivre, 2019
Exergue

« J’ai toujours été d’avis qu’une chose
est moins effrayante si on l’examine. »
Joan Didion dans Le centre ne tiendra pas. (Documentaire de Griffin Dunne)
« … et ne pas lésiner sur l’addition :
œil, regard, vision, vue, et leurs variantes,
tant et plus sous toutes leurs formes déclinables.
L’abondance ne nuit pas
car il ne s’agit que de cela :
garder les yeux ouverts. »
Benoît Quevaud-Vidal dans L’Être attentif, essai sur l’appréhension kantienne.
Aux amours gravés à mon bras : Véronique ma femme, Cédric et Luc nos enfants.
Un grand merci aux artistes mexicains Javier Espíritu, plasticien,
et Cecilia Guerrero « Techus », photographe,
pour la fourniture et l’autorisation de reproduction d’une
photographie de la sculpture : « F rágil Virginidad » .


L’Homme avait achevé ses réalisations.
Avant,
la main s’était imposée à lui.
Précédemment,
un esprit avait décidé quoi faire de la matière.
Auparavant,
la vie avait libéré de quoi penser.
Plus tôt,
l’eau avait créé des turbulences.
En amont,
un désir de monde était né.
Au commencement,
l’énergie s’en était mêlée.
À l’origine
il n’y avait eu qu’une insomnie de l’univers.
Un état des lieux s’imposait.
Le masque 1
Je connais des espaces aménagés, des parcs sillonnés d’allées souvent sablonneuses. Conçues pour les humains, ces terres d’asile déroulent leurs tapis aux ornements créés pour séduire. Ici et là, des sculptures – rondes-bosses ou reliefs d’inégales saillies – s’y prélassent ou s’y dressent ; de-ci de-là, des bizarreries inertes ou mobiles (dans tous les matériaux et toutes les déclinaisons imaginables), des volumes équilibrés ou biscornus, des envolées collectives ou d’émouvantes solitudes y tissent entre elles des connivences ; par-ci par-là, des totems majestueux y partent à l’assaut du ciel, des personnages illustres, en drapé, y bombent le torse, des fresques aux élans patriotiques s’y exhibent, des nudités anonymes abîmées s’y donnent à voir sans pudeur ; et pour finir, ça et là, des animaux d’étoffes végétales y accompagnent les saisons. Ces lieux soumis aux caprices du temps me sont interdits. Je suis trop délicat.
Je suis un masque d’argile à la surface blanchie imparfaite, une beauté étrange aux paupières baissées. Une tasse évasée qui pend sous sa soucoupe coiffe mon crâne lisse. J’ai le front haut et les cils allongés. Mon visage est ceint d’une lanière qui fuit sous mon menton, enserre à sa base une statue gracieuse : on dirait la barbiche étirée d’un vieillard des pays d’orient. Je suis une curiosité déroutante.
Je ne végète pas plaqué sur un fond noir sans pli ; ça, c’est un artifice du photographe pour tirer la couverture à lui. En réalité, je sens, je frissonne et je frémis, cloué sur une des parois rugueuses d’un presbytère patiemment restauré – comme une proue de navire, au sein d’une closerie à la pointe d’un bourg isolé. Un art savant et des mains expertes ont redonné à la cure qui m’abrite, longtemps ruinée, un lustre remarquable : une façade aux arcades trilobées qui fait sa renommée et un intérieur chaleureux associant à son architecture médiévale un ameublement contemporain soigné. C’est un refuge sous des poutres solides dont les murs aux épaisseurs hors du commun se nourrissent de pierres apparentes, jointées au mortier de chaux aérienne, juxtaposées aux briques et aux bois.
Je n’ai pas toujours les yeux fermés. De ma place, j’ai une vue imprenable sur une vaste pièce ouverte située au premier étage à laquelle on accède par des marches de marbre lustrées. Elle est parquetée, par endroits couverte de tapis, ceinte d’une bibliothèque en bois de palissandre, masquant du sol au plafond ses trois pans verticaux, dont les rayonnages sont encombrés d’un fourbi sans nom : des milliers de livres (des fictions, des essais, des anthologies, des recueils, des biographies, des mémoires, infinies étendues de savoir et de rêve) ; en bonne place, la copie d’une peinture néerlandaise ; en retrait, un cadre sous-verre truffé de photos en noir et blanc (d’Amsterdam à New York en passant par des dizaines d’autres cités, un échantillon de paysages urbains) ; dans l’angle le plus ouvert, des gravures (des esquisses de mines, de souterrains modernes, de ports tirés d’on ne sait quels bas-fonds) ; en équilibre fragile, trois petites images accolées froissées par la promiscuité dont elles sont les victimes ; répartis en plusieurs endroits, des objets saugrenus, insolites, inattendus, extravagants (une locomotive miniature en métal, une minuscule maquette de maison biscornue en céramique, et bien d’autres babioles). C’est un bric-à-brac où s’invite inlassablement la poussière si particulière de la terre campagnarde, et aussi, une provocation – mieux, un défi – à qui voudrait y faire le ménage sans rien casser. À bâbord, la pièce est percée à hauteur de visage : un œil-de-bœuf démesuré embrasse des villages et des routes qui s’entrecroisent au loin. À tribord, une imposante porte-fenêtre conduit à une terrasse aux balustrades en pierre de taille qui surplombe une campagne vallonnée. Par la porte du fond ouverte sur une chambre, je peux apercevoir, juste au-dessous d’une fenêtre à guillotine, une affiche bleutée où s’envolent des acrobates et une aquarelle où virevoltent des chapeaux de clown.
Je veille. Au moment où je vous parle – car oui, je vous parle ! –, je veille. Dehors, la nuit est d’anarchie. Des rideaux de pluie battante se sont accrochés d’autorité à l’œil-de-bœuf, le ligotent, l’étranglent ; il est sur le point de suffoquer tandis que le crépitement des cordes sur les tuiles est devenu assourdissant. Je m’en moque : chez nous, la quiétude a depuis longtemps pris ses aises, tant il y fait chaud et doux. L’homme simple dont je partage le quotidien est rivé au bureau installé au milieu de la salle ouverte, un meuble brun clair dont la lumière d’une lampe d’angle accentue les filets de bois foncés, avec, sur la droite de l’ordinateur posé dessus, fichée sur un discret support métallique, la photo sépia d’un bistrot à l’ancienne. Ses mains sont posées à plat sur le plateau, juste à côté d’une pièce rare : un oignon marqueté de couleur marron et crème qu’il a rapporté du Périgord ; son œuf de Fabergé à lui. Ses mains, plus il avance en âge, plus elles lui deviennent étrangères ; leurs peaux se fripent un peu trop à son goût, leurs veines deviennent saillantes. De plus, son index autrefois cassé net n’a jamais retrouvé sa rectitude originelle, il est plus courbé qu’il le devrait ; quelquefois, c’est un vrai poids mort qui se pose délicatement sur le majeur, jusqu’à toucher l’annulaire. Quand il frappe sur son clavier, il ne s’en sert pas. Au début. Puis, quand il en a soupé de le ménager, il se met à l’utiliser comme le ferait n’importe qui, mais avec davantage d’acharnement ; sa vaillance est stupide et son obstination insensée : immanquablement, son maudit index finit par lui faire atrocement mal. C’est à cet instant-là, en général, qu’il arrête ses pianotages éprouvants et décide de regarder un film. Comme il le fait maintenant. Le fond d’écran qui hurle ses appels à prendre le large (un port sous le soleil, un casino et des voiliers, du côté de l’Atlantique) a cédé la place à une espèce de thriller américain a à l’intrigue emberlificotée : pour l’essentiel, l’interrogatoire de Roger « Verbal » Kint, un malfaiteur a priori insignifiant. En s’inspirant de noms et d’objets qu’il peut repérer autour de lui dans le bureau où il est retenu, il invente une histoire abracadabrante ; un bijou de manipulation qui lui permettra d’échapper à la police .
Échapper à sa vie languide, c’est ce dont mon compagnon rêve quand son esprit bat la campagne. Un jour, à regret bien sûr – mais comment exister vraiment si on ne sacrifie rien ? –, cesser d’écouter avec ravissement les musiques nocturnes qu’inspirent les crépuscules. Un jour, renoncer à me choyer et franchir le pas de la porte-fenêtre, traverser la terrasse, dévaler les escaliers d’angle qui conduisent aux jardins en contrebas, ouvrir la grille d’honneur et s’enfuir vers des espaces dont on ne distingue rien à cette heure, mais qui palpitent : des plaines, des forêts domaniales et des cours d’eau cintrés de murailles rocailleuses. Un jour.
Je ne crois pas à son courage. Lui et moi, nous sommes de la même pâte, trop attachés à notre confort ; et pourtant, une folie semblable à la sienne me traverse par instants. Je me berce alors d’illusion : je me convainc que j’aurais aimé vivre dans un parc ; que j’aurais apprécié d’être monumental, de côtoyer des matières d’ardoise, de bronze, de fer, des figures d’oiseaux, des corps de titans, des muses cachées dans des bosquets que les lianes des plantes qui les enlacent amusent ; que j’aurais adoré être de ces rondes beautés impudiques, de ces naïades verdies à la surface des étangs offertes aux promeneurs. Cela ne dure pas. Je suis trop soulagé d’être à l’abri du soleil, de la pluie et du vent qui rongent les matières, des animaux bruyants qui souillent les chairs empierrées. Que ferais-je, que serais-je dans ces jardins ? Rien, ma place est ici dans l’écrin de notre modeste demeure, au calme comme à Rome le tombeau de l’évanescente Bienheureuse Ludovica Albertoni b .
J’abuse en convoquant Rome. Ma coiffe renversée de presque porcelaine – comme une atteinte au bon ordre des choses –, mon visage faussement angélique au-dessous, la verticalité cul par-dessus tête de la vierge qui prolonge mon menton, tout souligne, à qui veut bien y prêter attention, que la religion n’est pas la tasse de thé du propriétaire. Lui et moi

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