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Publié par | L'Harmattan |
Date de parution | 01 mars 2008 |
Nombre de lectures | 74 |
EAN13 | 9782296194212 |
Langue | Français |
Poids de l'ouvrage | 2 Mo |
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Extrait
Johanna LAAKSO
Études finno-ougriennes, vol. 39
LES CONGRÈS DES FINNO-OUGRISTES :
UNE INSTITUTION À LA CROISÉE DES CHEMINS ?
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Le congrèsinternational desfinno-ougristes, principal
événementinternational dansle domaine desétudesfinno-ougriennes, a été organisé pourla
première foisilya prèsde cinquante ans, à l’époque de la guerre froide,
dans un monde oùla communication entre leschercheursde partetd’autre
du rideaude fern’étaitpossibleque dansle cadre d’une institution
prestigieuse etbénéficiantd’une protection officielle. C’étaitl’époque
desinstitutions scientifiquesnationales: larecherche ensciencesdulangage n’était
pasencore dominée parla linguistique générale de langue anglaise, etle
fossé entre la linguistique etlesétudeslittéraires(ouculturelles) n’étaitpas
aussi largequ’aujourd’hui. Aucoursdesdernièresdécennies, lasituation a
radicalementchangé. De nouveauxdéfis sontapparusdufaitde la chute de
l’Unionsoviétique, de la mondialisation etdesproblèmesethnopolitiquesde
la nouvelle Russie. Laquestion la plusimportante est toutefoisdesavoir
commentlescongrèsparviendrontàrépondre auxdéfis scientifiques.
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LES ORIGINES DANS LE MONDE DE LA GUERRE FROIDE
Lorsque, en 1960, les chercheurs en finno-ougristique de part et
d’autre du rideau de fer se réunirent à Budapest pour la première
grande rencontre internationale de la discipline, rares étaient ceux qui
auraient pu prédire que les congrès deviendraient une pratique
régulière. De ce premier congrès des finno-ougristes on garde plutôt le
souvenir(peut-êtreparceque ceux quise leremémorentaujourd’hui
étaientencore jeunesà l’époque)d’une expérience extraordinairement
vivifiante,unique enson genre.Lesfinno-ougristesoccidentaux
avaientdû pendantdesdécennies se contenterde livres pourétudier
leslanguesfinno-ougriennesde Russie, etle faitderencontrerdes
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locuteursde ceslangues,surtoutdesfigureslégendairesde la
discipline comme V.I.Lytkin ouE.E.Rombandeeva, étaitcomparable à
larencontre d’un Cicéron en chaireten os pour un latiniste.L’Estonie
setrouvaitdepuis seize ans, mêmepour sescousinsfinlandais,
derrièreunrideaude fer presque infranchissable, et surtoutla
finnoougristique estonienne incarnéeparPaul Ariste était toutjuste entrain
deseremettre lentementde la guerre, de laterreuretde la fuite
massive desélites.LesHongroisétaientégalementderrière lerideaude
fer:sipeudetempsaprès 1956,unsimplevoyagesubventionnévers
la Finlandeparaissaitaux yeuxdesjeunesfinno-ougristesde Hongrie
unrêvetoutà faitirréaliste.
Si l’on garde de cepremiercongrèsdesfinno-ougristes unsouvenir
nostalgique, c’estaussiparceque larelative modestie de l’événement
lui donnait un côté chaleureuxetévidemmentintime.L’accentétait
mislà oùil devraitl’être dans toutcongrès,surlarencontre et
l’échange.Dèsle départ se faisaitcependantégalement sentir, derrière
l’organisation,une fonctionsymboliquesurleplan des
politiquesculturelle etétrangère.Lepetitgroupe international desorganisateursne
représentait pas seulementl’élitescientifique de la discipline, il avait
probablementaussi des rapportsétroitsavec lescerclesdesdécideurs
politiques.C’estainsique l’académicien Kustaa Vilkuna,qui avait
pris partà l’organisation entant quereprésentantde la Finlande,
faisaitnotoirement partie du proche entourage du présidentKekkonen.
Parmi lesorganisateurs, beaucoupcomprenaient sansdouteque l’un
desobjectifsducongrèsétaitbel etbienpolitique :
ils’agissaitdepercerdes trousdanslerideaude fer.
« L’idéal finno-ougrien »(heimoaate)de l’entre-deux-guerres,
l’aspiration àune étroite collaboration culturelle etàunsentimentde
solidarité notammententre la Finlande, l’Estonie etla Hongrie, était,
pourdes raisons politiques, misà l’indexcomme «antisoviétique ».
Le but premierde l’idéal finno-ougrien n’était pasdes’opposerà
l’URSS, mais ses partisansn’en avaient pasmoinsmisen lumière la
façon dont, derrière «l’internationalisme marxistde cee »pays,se
dissimulaientenréalité le nationalismepro-russe etl’oppression des
minorités.Même lepouvoir soviétique avaitindirectement reconnu
cesfrictions politiqueslorsque, dansdes procès pourl’exemple
organisésdansle contexte de laterreur stalinienne desannées trente, des
intellectuelsfinno-ougriensfurentaccusésd’intrigues politiquesavec
LES CONGRÈS DES FINNO-OUGRISTES
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deslocuteursoccidentauxde languesapparentées .Bienque les
victimesde cetteterreur— à l’instarde
Lytkin,précédemmentmentionné,qui,parchance etgrâce àsasantérobuste,survécutà des peines
d’emprisonnementetd’exil — eussentétéréhabilitéesetles«
outrances» du stalinismereconnuesavec embarras, il n’était plus
possible deretrouverl’idéal finno-ougriensousla formequi,pendant
l’entre-deux-guerres, avaitdonné l’inspiration nécessaire à
l’organisation de congrèsculturelsetéducatifsfinno-ougriens.Fonder un
congrès surl’identité finno-ougrienne n’était possibleque dans un
cadre étroitement scientifique,sanslien avec lapolitique linguistique
etculturelle.
Tousceux qui connaissaientla logique à double fond du régime
socialiste comprenaientcependantcequereprésentaitla chance
offertepar un congrès scientifique.Letrououvertdanslerideaude fer
pourrait servirà chacun à mettre en avant ses propres traitsculturels
nationaux.Les participants seraientdonc là nonseulemententant que
spécialistesde la discipline etde leur thème derecherche, maisaussi
entant que membresde « délégations» de leur paysoude leurnation,
ils représenteraientnonseulementlatraditionuniversitaire de leur
pays, maisaussi leur peuple etleurculture, etcela futen grandepartie
reconnu parlesÉtatsorganisateurs«socialistes»,quipouvaient
utiliserlescongrès pouroffrir unevitrine à leur politique desnationalités.
Larecherche en finno-ougristique étaitlaplusflorissante dansles
paysoùelles’étaitdéveloppée en liaison avec les
philologiesnationales, c’est-à-dire en Finlande, en Estonie eten Hongrie, notamment
e
parceque le fosséquis’étaitcreusé aucoursduXXsiècle entre les
étudesde langue etde culture, entre la linguistique etlaphilologie,
n’avait pas, dansces pays, euletempsde devenir trop profond.Ainsi
s’établitcomme fondementorganisationnel descongrès unprincipe de
quotas quise basait surletriangle Hongrie-Finlande-URSS et sur un
groupe connexe etfluctuantd’« autres
pays»,représentépardeschercheurs peunombreuxmais prestigieux,parmi lesquels, dansla
géné
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Voirnotammentl’article d’Eva Toulouze, « Le“danger”finno-ougrien
en Russie(1928-1932): les signesavant-coureursdes répressions
staliniennes»,parudansletome38 desÉtudesfinno-ougriennes. (N.D.L.R.)
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ration des premiersorganisateurs, figuraient parexemple Aurélien
Sauvageot, Björn CollinderetWolfgang Steinitz.
Comme laphilologie finno-ougrienne étaitencore, en Finlande, en
Estonie eten Hongrie, considérée dans une certaine mesure comme
relevantd’un ensemble baptisé «sciencesnationales», et qu’ailleurs
l’étude de languesexotiquesnepouvait pas, neserait-cequepourdes
raisonsfinancières, être dissociée d’autresformesderecherchesurles
peuplesenquestion, lesfondements scientifiquesdescongrèsdes
finno-ougristesontcouvert un largespectre.Dèsle départ, lescongrès
ontcomporté, enplusde la linguistique, des
sectionsdistinctesconsacréesà l’archéologie, à larecherche historique, à l’anthropologie, à
l’ethnologie etmême à l’étude deslittératurescontemporaines.Cette
hétérogénéité a commencé aufil desdécenniesà constituer
unproblème ou toutaumoins un défi.De la même façon, l’institution a été
confrontée égalementàplusieursautresdéfis.
UN ÉVÉNEMENT MÉDIATIQUE D’IMPORTANCE
Lepremiercongrèsdesfinno-ougristesinauguraunetradition de
congrès sesuccédant touslescinqans.Les villesd’accueil étaient
choisies parmi lescapitalesetles villes universitairesdu triangle des
«paysfinno-ougriens» : en1965 ce futHelsinki, en1970Tallinn,qui
appartenaitalorsà l’URSS(il nepouvaitêtrequestion de
lavilleuniversitaire de Tartu, fermée auxétrangers), en1975 à