Dans les littératures francophones du Canada, l’espace – que ce soit la ville, la campagne, la banlieue, la forêt, le Nord – a été depuis longtemps étudié et le temps a lui aussi récemment été traité. En revanche, alors que les travaux de Mikhaïl Bakthine montrent combien l’espace et le temps sont interdépendants, les rapports que les dimensions spatiale et temporelle entretiennent entre elles restent négligés. Les études réunies dans ce collectif visent à combler cette lacune en analysant la représentation de l’espace-temps dans les littératures périphériques du Canada, c’est-à-dire au sein d’œuvres franco-canadiennes qui sont spatialement minoritaires, mais qui répondent aussi, y compris au Québec, à des pratiques d’écriture plus marginales, comme c’est le cas de la science-fiction ainsi que des littératures lesbienne et autochtone. Ce volume comporte les contributions suivantes : Sophie Beaulé (Université Saint Mary’s) Ariane Brun Del Re (Université d’Ottawa) Tara Collington (Université de Waterloo) Julien Defraeye (Université de Waterloo) Isabelle Kirouac-Massicotte (Université de Moncton) Zishad Lak (Université d’Ottawa) Élise Lepage (Université de Waterloo) Mariève Maréchale (Université d’Ottawa) Martine Noël (Université d’Ottawa) François Paré (Université de Waterloo) Mathieu Simard (Université d’Ottawa)
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Extrait
L’espacetempsdans les littératures périphériques du Canada
Sous la direction deAriane Brun del Re Isabelle Kirouac Massicotte et Mathieu Simard
L’ESPACETEMPS DANS LES LITTÉRATURES PÉRIPHÉRIQUES DU CANADA
L’espacetemps dans les littératures périphériques du Canada
SOUS LA DIRECTION DE
Ariane Brun del Re Isabelle Kirouac Massicotte Mathieu Simard
Les Éditions David remercient le Conseil des arts du Canada, le Secteur franco-ontarien du Conseil des arts de l’Ontario, la Ville d’Ottawa ainsi que le gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada.
C B A C L'espace-temps dans les littératures péripériques du Canada / sous la direction d'Ariane Brun del Re, Isabelle Kirouac Massicotte et Matieu Simard. (Voix savantes ; 4) Publié en formats imprimé(s) et électronique(s). ISBN 98--8959-6- (couverture souple). — ISBN 98--8959-645-5 (PDF)
. Littérature canadienne-française — Ontario — Histoire et critique. . Littérature québécoise — Histoire et critique. . Littérature acadienne — Histoire et critique. 4. Espace et temps dans la littérature. I. Brun del Re, Ariane, directeur de publication II. Kirouac Massicotte, Isabelle, directeur de publication III. Simard, Matieu, 989-, directeur de Publication IV. Collection : Voix savantes ; 4
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L’espacetemps et la périphérie
Ariane Brun del Re Université d’Ottawa Isabelle Kirouac Massicotte Université de Moncton Mathieu Simard Université d’Ottawa
réunies dans cet ouvrage collectif sur la représentation L de l’espace-temps dans les littératures péripériques du Canada découlent d’un atelier organisé au printemps 5 dans le cadre des colloques de l’Association des professeurs de français des universités et collèges canadiens et de l’Association des littératures canadiennes et québécoise. Une remarque de Robert Yergeau a servi d’amorce à notre réflexion. En , dans un article sur le poète et artiste visuel Gilles Lacombe, Yergeau soulignait que, si bien des œuvres franco-ontariennes avaient été « ricement étudiées selon l’axe spatial », ces mêmes œuvres ne l’avaient jamais été « uniquement en fonction de la temporalité ». Cette observation nous semblait valoir, à quelques
. Le présent ouvrage a pu être publié grâce au soutien financier de nos partenaires. Nous tenons à remercier le Département de français, le Bureau du vice-recteur aux études, le Bureau du vice-recteur à la recerce et l’Association des étudiants diplômés de l’Université d’Ottawa, de même que la section 66 du Syndicat canadien de la fonction publique. . Robert Yergeau, « Questions de temps : regards sur un recueil de poèmes o de Gilles Lacombe »,Francoponies d’Amérique9, , p. 4, disponible en, n ligne : <ttps://www.erudit.org/fr/revues/fa/-n9-fa89/54ar.pdf>.
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nuances près, tant pour la littérature franco-ontarienne que pour les autres littératures francopones du Canada. L’espace — que ce soit la ville, la campagne, la banlieue, la forêt, le Nord — n’a cessé d’occuper les spécialistes des littératures franco- pones du Canada. Outre la « fortune » qu’a connue, comme le souligne Lucie Hotte, le concept d’espace en critique littéraire franco-4 ontarienne, notons les travaux de Daniel Cartier , de Cristiane 5 6 Laaie , de Benoit Doyon-Gosselin , d’Ariane Brun del Re , de Francis 8 9 Langevin et d’Élise Lepage . Ces cerceurs emboîtent le pas aux écrivains, nombreux à vouloir explorer, décrire ou nommer le territoire qui s’offre à eux. Un survol des titres qui composent les littératures francopones du Canada, en particulier les parutions des dernières décennies, permet de prendre rapidement la mesure de leur commun intérêt pour l’espace . Ces œuvres viennent appuyer les propos de
. Voir Lucie Hotte, « Fortune et légitimité du concept d’espace en critique littéraire franco-ontarienne », dans Robert Viau (dir.),La Création littéraire dans le contexte de l’exiguïté, Beauport (Québec), Publications MNH, coll. « Écrits de la francité », , p. 5-5. 4. Voir notamment Daniel Cartier (dir.),Le(s) Nord(s) imaginaire(s), Montréal, Imaginaire/Nord, coll. « Droit au pôle », 8, 5 p. 5. Voir notamment Cristiane Laaie,Ces mondes brefs. Pour une géo-critique de la nouvelle québécoise contemporaine, Québec, L’Instant même, 9, 456 p. 6. Voir notamment Benoit Doyon-Gosselin,Pour une erméneutique de l’espace : l’œuvre romanesque de J.R. Léveillé et France Daigle, Québec, Nota bene, coll. « Terre américaine », , 8 p. . Voir notamment Ariane Brun del Re,Portrait de villes littéraires : Monc-ton et Ottawa, mémoire de maîtrise, Montréal, Université McGill, , 4 p. 8. Voir notamment Francis Langevin, « La régionalité dans les fictions québécoises d’aujourd’ui. L’exemple deSur la 132de Gabriel Anctil »,Temps o zéro6, , disponible en ligne : <ttp://tempszero.contemporain.info/, n document96>. 9. Voir notamment Élise Lepage,Géograpie des confins : espace et écriture cez Pierre Morency, Pierre Nepveu et Louis Hamelin, Ottawa, Éditions David, coll. « Voix savantes », 6, 8 p. . Songeons à des titres commeCri de terre(9) de Raymond Guy LeBlanc,Mourir à Scoudouc(94) d’Herménégilde Ciasson ouMoncton mantra (99) de Gérald Leblanc en Acadie. ÀRue Descambault(955) de Gabrielle Roy, Je m’en vais à Régina(96) de Roger Auger ouLe Soleil du lac qui se couce() de J. R. Léveillé dans l’Ouest. ÀSudbury(98) de Patrice Desbiens,Les Murs de nos villages(98) de Jean Marc Dalpé,Frenc Town(994) de Micel Ouellette
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François Paré selon lesquels « les petites littératures tendent à glorifier l’espace ». Le temps, en revance, reviendrait aux grandes littératures, qui auraient le privilège de pouvoir s’inscrire dans « ce qu’on pourrait appeler un discours de l’éternité ». Sans vouloir réduire l’intérêt des littératures francopones du Canada pour les questions spatiales, la mise en garde de Yergeau demeure d’actualité : « Il ne faut pas dialectiser l’espace au détri-ment du temps ou vice versa, ni brandir l’espace comme symbole de résistance contre le temps . » De récentes recerces sur le temps et le cronotope dans les littératures francopones du Canada ont contribué à corriger le déséquilibre à la faveur des études spatiales relevé par Yergeau, en particulier pour les littératures minoritaires, où ce déséquilibre se faisait le plus sentir. Songeons, par exemple, aux 4 travaux d’Emir Delic sur le rapport du sujet minoritaire au temps ou 5 à ceux d’Isabelle Kirouac Massicotte sur le cronotope minier dans les littératures nord-ontarienne et abitibienne. Malgré ces avancées, plusieurs questions nous abitaient encore. Si la recerce avait glorifié l’espace à l’image de son objet d’étude, com-ment savoir, alors, le traitement que les œuvres réservaient vraiment au temps ? Ou plus précisément, à la conjonction de ces deux dimensions ?
ouLa Côte de Sablesous le titre (99, Visions de Jude) de Daniel Poliquin en Ontario. La tendance se dégage aussi au Québec ; citonsTrente arpents(98) de Ringuet,Au pied de la pente douce(944) de Roger Lemelin,Kamouraska(9) d’Anne Hébert,Sainte-Carmen de la Mainde Micel Tremblay, (96) Arvida () de Samuel Arcibald ou les récents collectifsCartograpies I : Couronne Sud(6) etCartograpies II : Couronnes Nord()pour ne nommer que ceux-là. . François Paré,Les littératures de l’exiguïté, préface de Robert Major, Ottawa, Le Nordir, coll. « Bibliotèque canadienne-française », [99], p. 5. .Ibid., p. 6. Comme pour donner raison à Paré, la majorité des études littéraires sur le temps que nous avons trouvées portait sur des écrivains français canonisés, comme Balzac, Zola, Proust ou Colette. . R. Yergeau,op. cit., p. 44. 4. Voir Emir Delic,Narrations de soi aux confins du temps. Essai d’une er-méneutique de la minoritarité, tèse de doctorat, Ottawa, Université d’Ottawa, , p. 5. Voir Isabelle Kirouac Massicotte,Des mines littéraires : l’imaginaire minier dans les littératures de l’Abitibi et du Nord de l’Ontario, Sudbury, Prise de parole, coll. « Agora », à paraître.
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La primauté de l’espace sur le temps dont parle Paré est-elle toujours d’actualité pour ces littératures ? Si elles accordent aujourd’ui une plus grande importance au temps, peut-on en conclure qu’elles se per-çoivent désormais comme étant moins précaires ? C’est pour explorer ces questions que nous avons conçu cet ouvrage collectif, et l’atelier qui l’a précédé, en proposant à nos collaborateurs de prêter une attention toute particulière aux rapports que les dimensions spatiale et tempo-relle entretiennent entre elles. En effet, grâce aux travaux de Mikaïl Baktine, déterminants pour les études qui composent cet ouvrage, on sait combien l’espace et le temps sont interdépendants. Par la notion de cronotope, qu’il emprunte à la téorie de la relativité d’Einstein pour désigner « l’indis-6 solubilité de l’espace et du temps », Baktine fournit justement une porte d’entrée pour étudier « la corrélation essentielle des rapports spatio-temporels, telle qu’elle a été assimilée par la littérature ». Or, parmi les principaux travaux de Baktine, il n’est pas anodin de consta-ter que ceux sur le cronotope ont connu moins d’engouement au Canada francopone. Les spécialistes d’ici ont plutôt retenu ses autres notions, comme le carnavalesque, la polyponie, le plurilinguisme ou le dialogisme. C’est le cas du Cercle Baktine qui s’est formé autour 8 d’André Belleau ; des sociocriticiens de l’École de Montréal, com-posée notamment de Marc Angenot, de Gilles Marcotte et de Régine 9 Robin ; et des cerceurs comme Lise Gauvin, Rainier Grutman, Caterine Leclerc et Matieu Simard , qui se sont pencés sur la
6. Mikaïl Baktine,Estétique et téorie du roman, traduit du russe par Daria Olivier, préface de Micel Aucouturier, Paris, Gallimard, coll. « Biblio-tèque des idées », 98, p. . .Ibid. 8. Voir notamment André Belleau,Notre Rabelais, Montréal, Boréal, coll. « Papiers collés », 99, p. 9. À ce sujet, voir Pierre Popovic, « Situation de la sociocritique — L’École o de Montréal »,Spirale, n , 8, p. 6. . Voir notamment Lise Gauvin, « Introduction », dans L. Gauvin (dir.), Les Langues du roman : du plurilinguisme comme stratégie textuelle, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, coll. « Espace littéraire », 999, 6 p. ; e Rainier Grutman,Des langues qui résonnent : l’étérolinguisme au siècle québécois, Saint-Laurent, Fides, coll. « Nouvelles études québécoises », 99, p. ; Caterine Leclerc,? Coabitation du françaisDes langues en partage