Incertitudes
216 pages
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Incertitudes , livre ebook

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Description

Les treize récits imaginaires qui figurent dans ce recueil évoquent des espaces marginaux où s’estompent les contours du réel. Histoire de Bartholomé, qui se plaît à remettre ironiquement en cause la société, mais perdra le seul combat important de sa vie : son amour pour Sonia. Récit d'initiation du héros « d’Une âme corrompue », dont l'idéalisme se mue fatalement en cynisme. Drame d'Anna, victime d'une mystérieuse crise d’angoisse lors d’un voyage au Mexique, ou quête identitaire du tragi-comique Lemoncel, dont la conscience se dédouble chaque nuit.
Tous ces récits ou nouvelles, souvent teintés d'humour, invitent le lecteur à prendre part à des fictions sur le temps en fuite et sur la relativité des vérités admises.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 28 mars 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414037148
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-03712-4

© Edilivre, 2017
Tequila
Avant de commencer ce récit, une angoisse profonde m’étreint, comme si j’allais ouvrir la porte d’une pièce close depuis des années et remplie des émotions les plus vives de mon passé.
Enfin, je m’y décide et aussitôt de noirs souvenirs m’assaillent, comme une nuée de rapaces affamés, désormais libérés. Impossible d’échapper à leurs becs acérés…
En ce temps là – mais qu’est-ce que l’écoulement inexorable des secondes fugitives, des imperceptibles durées, des vides mortels de l’existence ? – je venais d’épouser Anna. A la sortie de la petite église, les cloches sonnaient, sonnaient, et par le porche grand ouvert une lumière céleste se répandait sur le visage radieux de mon aimée, qui me semblait beau comme le mystère de la vie. Devant nous, s’ouvrait l’avenir, immense, sans limites.
Une fois accomplis les rites cérémoniels, une fois défoulées par le rire ou les larmes les émotions trop longtemps contenues, une fois épanchés les cœurs lourds de tendresse, la joyeuse fête commença. De longues heures de ripailles, de beuveries, de fausses confidences et d’émois de circonstance.
Noyé dans une ambiance musicale assourdissante, je tentais de répondre aux propos que me tenaient des personnes le plus souvent inconnues, mais qui semblaient très bien me connaître par l’abondance de souvenirs qu’elles s’entêtaient à me remettre en mémoire. Bribes de phrases peu compréhensibles ou péniblement reconstituées, flottant dans le vacarme des haut-parleurs et formant une sorte de dialogue mimé de malentendants. Peu importait, du reste, le sens de ces propos qui, d’un interlocuteur à l’autre, traitaient toujours des mêmes thèmes : les souvenirs heureux, l’émotion de la cérémonie, la beauté de la mariée, le couple parfait…
La main dans la main, de l’air le plus convenable qui soit, Anna et moi écoutions sagement ces gentils admirateurs, nous efforçant de paraître attentifs. J’eus peut-être plus d’échanges avec de proches parents éloignés et de vagues relations pendant ces deux jours que durant tout le reste de mon existence. A la longue, le conformisme de ces conversations avortées finit par me donner la nausée. J’avais hâte de me trouver seul avec Anna.
Notre voyage de noces se déroula dans le sud du Mexique. Ce périple – nous l’espérions de toute notre âme – devait être l’occasion de vivre des aventures inoubliables. Nous avions arrêté un plan pour sillonner en tous sens le Yucatán, en nous contraignant à ne jamais rester plus de deux nuits dans la même ville. Plutôt endurer mille tracas que de passer un morne séjour près d’une plage, dans de grands hôtels trop confortables remplis de touristes ordinaires, sans rien connaître des villages typiques et de l’exubérance de la vie locale.
Dès notre arrivée, nous louâmes une grosse voiture américaine de couleur vert pastel, aux pneus à flancs blancs. Son moteur produisait un ronronnement rassurant et nous filions comme dans un rêve à travers les paysages du Yucatán, protégés de la vive luminosité par les vitres teintées de notre limousine.
Le rêve dura peu. La chaleur devint de plus en plus accablante, le voyage chaque jour plus épuisant.
Nous commencions très tôt nos visites, afin de profiter de la tiédeur de la matinée, et regagnions notre hôtel vers deux heures de l’après-midi. Jusqu’au soir, nous restions dans notre chambre à attendre la fin de la canicule, en buvant des boissons fraîches et en nous douchant le plus souvent possible. Anna collait contre ma peau son corps doux et chaud, mouillé de sueur, et je l’étreignais dans une ivresse de désir. Bientôt, nous sombrions dans une somnolence lourde pleine de rêves étranges et colorés, dont nous émergions hébétés, impatients de voir tomber la nuit.
Cependant, même les nuits devenaient étouffantes et nous restions longtemps éveillés, étendus l’un près de l’autre, scrutant les ombres de la chambre, à l’écoute des bruits insolites de la ville tropicale. Anna, très fatiguée, commençait à se plaindre de migraines.
Un midi, à la sortie d’une vieille église que nous avions visitée par curiosité, et aussi pour trouver un peu de fraîcheur, nous fûmes comme happés, en poussant la lourde porte de l’édifice, par une masse d’air torride. Je me remémorai à cet instant notre petite église nuptiale et l’atmosphère légère d’une journée de fête printanière. Ici, la pierre était brûlante, la clarté éblouissante et dure.
Tandis que nous descendions les marches menant à la petite place en contrebas, les cloches de l’église se mirent à sonner à toute volée, dans un vacarme assourdissant. La masse d’air chaud stagnant sur la place sembla faire écho à ce tintamarre, qui vibra longtemps à nos oreilles. Je ressentis une sorte d’étourdissement.
Au pied des marches, une vieille femme que, dans ma torpeur, je n’avais pas encore aperçue, se tenait immobile en plein soleil, apparemment insensible à la chaleur. La tête enveloppée d’un châle noir, la main tendue, elle attendait l’aumône des rares passants. Anna lui donna quelques pièces et voulut s’éloigner, mais la vieille femme la retint fermement par le bras. Son maigre visage contracté ressemblait à une pomme flétrie et ses petits yeux noirs nous fixaient d’un regard perçant.
« Attendez, Señora, attendez ! cria-t-elle d’une voix rauque qui nous surprit, je vais vous prédire l’avenir, venez, venez ! ».
Anna hésita et tourna vers moi un regard interrogatif. Je la savais maladivement émotive, exagérément superstitieuse. Devinant ses craintes, je lui adressai un sourire confiant. La vieille saisit, de ses mains sales et brunes, le fin poignet de la jeune femme et nous entraîna dans une maison, ou plutôt une masure, distante d’une centaine de mètres.
Nous entrâmes dans une pièce sombre, au sol de terre battue, meublée seulement d’une table de bois vermoulu, d’un lit de fer et de deux chaises. La vieille nous invita à nous asseoir et tira le rideau de l’unique fenêtre, plongeant la pièce dans une obscurité quasi-totale. Elle parut se concentrer quelques instants et posa ses mains décharnées sur les tempes d’Anna, en lui demandant de fermer les yeux et de se détendre. Soudain, elle se mit à débiter sur un ton monocorde des mots sonores, dans ce qui me sembla être un dialecte indien, puis elle se tut et un étrange silence nous enveloppa, qui, dans ce local sombre et exigu, me parut anormalement long, comme si la vie elle-même s’était ralentie. Je distinguais dans la pénombre la silhouette recroquevillée de la vieille, immobile, les mains tendues, et une anxiété incompréhensible naissait en moi, en même temps que je prenais conscience des battements de mon cœur.
Je finis par perdre patience. « Partons ! », m’écriai-je, mais la vieille retint à nouveau le bras de ma compagne.
« Attendez, jolie señora, attendez, je vois un mauvais esprit qui flotte autour de vous » s’écria-t-elle d’une voix forte.
Mal à l’aise, j’enrageais de ne pouvoir vaincre la stupide superstition qui semblait clouer Anna à sa chaise. J’étais moi-même en proie à une vive curiosité, comme si un besoin primaire d’irrationalité me dominait, témoignant peut-être de la présence en mon âme d’un inconscient relié aux temps les plus lointains de ma culture. Enfin, je décidai de passer outre et d’entraîner Anna hors de cette antre. « Viens ! » m’écriai-je. « N’écoute pas cette folle ! » et nous nous enfuîmes après avoir déposé un billet de banque sur la table de la vieille.
Le visage d’Anna montrait une extrême pâleur et ses mains tremblaient. Nous entrâmes dans un bar d’où émanaient les accords d’une vieille rengaine latino-américaine. Je commandai à un Indien basané deux verres de tequila. Anne vida son verre et retrouva aussitôt le sourire. Sa pâleur disparut. Égayés par la tequila, nous sortîmes bras dessus-bras dessous du bar, en riant de cet incident. « Je ne suis qu’une incorrigible petite bourgeoise craintive ! » s’exclama-t-elle. « Ce pays me… ».
Elle ne termina pas sa phrase et s’immobilisa brusquement. Sur le trottoir, devant le bar, la vieille guettait sa proie. « Je vous l’assure, señora, un mauvais esprit est sur votre tête. Vous devez prier, vous préparer… » dit-elle en espagnol avec son fort accent de paysanne. Anna n’en écouta pas davantage et se mit à courir au hasard dans les rues de la ville, tandis que je m’essoufflais à la suivre. A bonne distance du bar, elle cessa sa course, le visage hagard.
Je ne savais pas Anna vulnérable à ce point et cet accès de panique me déconcerta. Elle me supplia de quitter la ville sans délai. Patiemment, j’essayai de la convaincre que la rencontre d’une pauvre voyante qui s’entête à gagner quelques sous ne doit pas être prise au sérieux. Mais elle ne voulait pas me comprendre ; la peur s’était emparée d’elle, une peur physique, incontrôlable.
Un peu plus tard, en traversant la ville, j’aperçus la vieille, toujours immobile sur le parvis de l’église. Elle nous reconnut et regarda avec insistance notre véhicule s’éloigner et quitter la petite ville. Anna, épuisée, dormait.
Les paysages défilaient sous mes yeux comme dans un rêve éveillé. Je ne parvenais pas à dissiper une vague angoisse. Étais-je donc si influençable, moi qui me targuais de fuir le confort bourgeois et de vivre des aventures inoubliables ?
La nuit nous surprit, mais je continuai obstinément ma route pour atteindre l’étape prévue. Nous traversions des villages endormis. Un calme parfait enveloppait les maisons paysannes plongées dans les ténèbres et, je ne sais par quel paradoxe, ce calme, loin de me rassurer, me semblait inquiétant, comme si le silence et la nuit nous étaient hostiles.
J’avais prévu de rejoindre au

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