De sueur et de ciel
95 pages
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De sueur et de ciel , livre ebook

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Description

Londres, 1959.
Tom, vingt-et-un ans, est l’enfant-pansement d’une mère narcissique. Assis sur les quais de la Tamise, sa plume à la main, il rêve à un autre monde, loin des dictats de l’Angleterre puritaine des années cinquante et des injonctions sournoises de celle qui regrette de l’avoir enfanté. Mais prendre le large n’est jamais aisé, surtout quand on ne vous a appris qu’à vous taire et vous conformer. Un soir cependant, la vie frappe une nouvelle fois et Tom n’a plus d’autre choix que de lever les voiles. Son voyage le conduira jusqu’à New-York, dans les rues de Greenwich Village, là où les maisons sont rouges, où les clochards sont célestes, et où battent les rythmes de mélodies révolutionnaires...

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 06 novembre 2021
Nombre de lectures 0
EAN13 9782493078193
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

DE SUEUR
ET DE CIEL
 
 
 
 
 
Leah Blumberg

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.
N° ISBN 9782493078193
Éditions l’Abeille bleue — 38 rue Dunois 75013 Paris
Collection l’Historienne
Retrouvez toutes nos parutions sur : https://editions-abeillebleue.fr
© Illustration couverture par Coraline Domont - C’COM Lille

« Le rivage est plus sûr, mais j’aime me battre avec les flots. »
Emily Dickinson
 
CHAPITRE 1
Poplar
 
Redoutez les existences sans rêves et sans souvenirs. C’est l’hiver que se préparent les fleurs, c’est dans la nuit que naissent les étoiles, et c’est à la sueur que l’on écrit ses plus belles aventures sous le ciel…
 
Mars 1959.

T
om Collins venait de fêter ses vingt-et-un ans. Le bel âge, lui assuraient les journaux, la radio, son reflet dans le miroir… Même la première télévision du quartier s’y était mise. Mais Tom le savait : sa vie, il l’avait ratée. Une histoire vieille comme le monde…
Tom était né à Poplar, dans l’East End londonien. Sa mère était lavandière, son père employé de la petite mairie de quartier. Dix ans, voilà ce qu’il avait fallu au couple pour avoir un enfant. Et pourtant, ce bébé, elle en avait crevé, Suzan Collins. Devenir une femme aussi respectable que respectée, telle était la promesse à laquelle la mère de Tom s’était raccrochée toutes ses jeunes années quand ses camarades la raillaient sur ses taches de rousseur ou son accent irlandais. À ces petites sottes qui lui promettaient une vie sur le trottoir, elle leur avait juré : fille d’immigrés ou non, elle trouverait le plus beau des mariages, entretiendrait la plus coquette des maisons et deviendrait la mère comblée de pas moins de sept ou huit bambins. L’année de ses dix-neuf ans, elle avait épousé Desmond Collins, cadet d’une des rares familles aisées à habiter Poplar. Desmond était un homme grand, plutôt bien fait, et dont tout le voisinage avait assuré à Suzan la gentillesse et les douces manières. Que cette dernière s’était félicitée d’avoir su attirer l’œil de cet homme-là ! Il ne lui avait ensuite pas fallu beaucoup de temps pour comprendre pourquoi aucune de ses consœurs n’en avait voulu. Du haut de ses vingt-cinq ans, le jeune marié se trouvait déjà las. Ni désir, ni rêve, ni projet… Seul un souhait subsistait dans cet esprit égaré : celui de ne pas être dérangé. Face à cet être plus mort que vivant, Suzan s’était frotté les mains. Voilà quelqu’un qui ne se mettrait pas en travers de ses ambitions. Le contrat que les deux époux signèrent fut simple : Monsieur assurerait l’image du mari parfait, Madame s’occuperait du reste.
Mais la vie ne prend pas toujours la tournure qu’on lui attend. Les mois avaient défilé, puis les années, sans que le ventre de Suzan s’arrondisse. Les commérages avaient repris de bon train à Poplar. « Ventre sec ! » lui avait un jour crié Helen Gatling à la tête de sa ribambelle de bambins. « Toi qui voulais jouer à la plus fine avec ton beau mari et ta maisonnette aux volets bien peints, eh bien, regarde où tu en es ! » Suzan s’était sentie frémir ce jour-là. Sa maison était belle, propre, impeccablement aménagée grâce à l’argent de la famille Collins. Celle-ci s’était montrée généreuse, trop heureuse d’avoir enfin trouvé quelqu’un pour s’alourdir du petit dernier. À tous ces cancans, Suzan n’avait jamais rien répondu toutefois. Ces mégères avaient raison, une femme sans enfant, c’était une fleur sans pétale.
Et puis un jour, le miracle s’était produit. Mrs Collins rendait son petit-déjeuner, enchaînait les allers-retours à la cabane au fond du jardin et observait sa poitrine jusque-là si farouche s’épaissir dans son corsage. Et ce ventre, Dieu qu’il était beau ! D’une rondeur exquise, d’une douceur sans pareille, d’une couleur rosée qui lui évoquait déjà les meilleurs desserts qu’elle préparerait à l’enfant. « Une fille, Seigneur. Faites que ce soit une petite fille », priait-elle tous les soirs devant la cheminée. Puis elle fermait les yeux et imaginait une fillette gambader sur les carreaux de terre cuite de la terrasse. Elle serait vêtue d’une robe de mousseline, chaussée de mocassins vernis, coiffée de deux longues tresses blondes qui voletteraient de chaque côté de son visage. Celui-ci serait gai, arborerait un petit nez de poupée, des joues rondes comme celles d’un chérubin, des yeux bleus comme les plus beaux ciels d’été… Et ce sourire ! Des petites dents blanches parfaitement alignées et des lèvres comme deux boutons de rose… Rose, voilà le nom qu’elle lui donnerait. Ainsi, sa merveille de fille saurait sûrement rendre la joie de vivre à Desmond que l’annonce de la grossesse avait laissé de marbre. Leur petite, Suzan le savait, réussirait partout où elle-même avait échoué. Comment pourrait-il en être autrement puisqu’elle aurait la chance de grandir dans un foyer stable et aimant ? Quand cette pensée s’emparait d’elle, Suzan massait délicatement l’arrondi de son ventre de la même caresse avec laquelle on rassure un enfant blessé. Rose ne connaîtrait ni le froid, ni la faim, ni la misère, ni les ravages dont l’alcool est capable au sein d’un foyer. Non, elle se rendrait paisiblement à l’école, mènerait des études, rencontrerait à coup sûr un homme formidable, aurait à son tour des enfants… Quelle vie rêvée ! Des larmes de bonheur coulaient alors sur les joues de la future mère. C’était certain, dès l’instant où ce bébé paraîtrait, il serait tout.
Mais lorsque par la pluvieuse matinée du 20 février 1938, l’accoucheuse du quartier lui avait tendu Tom, Suzan n’avait pu réprimer une moue déconcertée. L’image de la petite blonde aux joues rebondies et aux yeux azur venait de se faire salement chasser par la réalité d’un nourrisson chétif et braillard. Les deux billes du nouveau-né avaient bel et bien la couleur du ciel londonien… dans ses pires jours de grisaille ! Au sommet du petit crâne encore couvert de vernix, les quelques mèches éparses semblaient annoncer qu’entre le blond vénitien de Suzan et la chevelure noir corbeau de Desmond, Tom avait déjà fait son choix. Celui de ne pas se mouler dans les attentes de sa mère.
Les premières semaines, la jeune accouchée avait ravalé sa frustration. On se moquait d’elle et de cet enfant si malingre dont on racontait qu’elle l’avait dérobé dans un hospice. Dans les pubs, les cafés ou au lavoir, cela avait d’ailleurs figuré le principal sujet de conversation. Tom Collins était l’enfant de son père, cela ne faisait aucun doute, mais la mère Suzan et son ventre sec l’avaient-ils réellement porté ? Elle pour qui cela avait été si difficile de tomber en cloque ! Et puis elle serait bien du genre à cacher un coussin sous son corsage. Alors peut-être que le couple infertile avait trouvé un arrangement avec une mauvaise fille du coin ? Un bébé contre quelques repas chauds… À l’écoute de ces médisances, l’Irlandaise avait froncé les sourcils et serré les poings. Rirait bien qui rirait la dernière. Cet enfant n’était peut-être pas le plus beau, mais des marmots, elle en aurait d’autres…
***
Tom battait des pieds, assis sur les quais de la Tamise, un carnet de feuilles jaunies à la main. Les côtes se trouvaient à plus de quarante kilomètres, mais l’air marin porté par les péniches charriait un parfum salé à ses narines. Celui de l’aventure, du voyage, des terres lointaines… Les paupières closes, Tom écoutait le vent faire claquer les voiles des quelques bateaux de pêche endormis aux côtés des monstres aux gigantesques cheminées. Parfois, il s’amusait à penser que cette mélodie était l’écho des musiques de ceux qui vivaient de l’autre côté de l’océan. Celles-ci auraient voyagé avec le vent… Il jeta ses yeux gris à l’horizon, vers le point où le fleuve disparaissait derrière les tenements de l’Île aux Chiens. Les eaux de la Tamise se déversaient dans la Manche puis rejoindraient l’Atlantique. Quelle direction prendraient-elles ensuite ? Stagneraient-elles pour toujours au fond des abysses ? Tom préférait s’imaginer que l’eau était pareille aux vents. Elle se faufilait partout où il y avait de la place, sans jamais cesser sa course. Que les hommes étaient vaniteux de vouloir retenir son périple au moyen de barrages ou autre machination, il n’y avait assurément pas plus libre qu’une goutte d’eau. Tiens, en voilà une sur son épaule. Puis une autre. Tom rangea son petit cahier dans la poche de sa veste et remonta la capuche de cette dernière. Déjà deux heures qu’il était assis à rêver devant le port. Mais il se faisait tard et si même la pluie printanière l’y pressait, c’était qu’il ne pouvait plus se défiler, il était temps de rentrer à Poplar.
— Bonsoir Maman, bonsoir Papa, récita-t-il après avoir poussé la porte de la maisonnette de Broomfield Street.
Il essuya minutieusement ses mocassins sur le paillasson de l’entrée. Gare à lui s’il souillait le carrelage que sa mère passait tant de temps à faire briller. Car il en avait bien conscience, il viendrait un jour où la prétendue patience de Suzan Collins rencontrerait ses limites et où elle le renverrait d’où il venait, lui, cet enfant qui avait passé ses vingt-et-une dernières années à devenir l’exact inverse de ce qu’elle avait espéré.
Et pourtant, nul n’aurait osé affirmer le contraire, Tom avait essayé.
Quand Suzan invitait les femmes du quartier pour le thé, Tom avait toujours soigneusement appliqué les manières les plus doucereuses qu’elle lui avait enseignées, doublées d’un sourire aussi large que forcé. Au catéchisme, le Père Bradford racontait à qui voulait l’entendre qu’il n’avait jamais accueilli de bambin aussi bien élevé et qu’il était fort dommage que les autres petits diables ne prennent pas plus exemple sur le fils Collins. Dans la classe de Mrs Franklin, Tom fut, si ce n’était le meilleur élève, au moins le plus studieux. Il fallait d

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