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L'assassinat de Joseph Kessel , livre ebook

76

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Français

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2021

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Durant l'entre-deux-guerres, Paris devient le port d'attache d’immigrants russes ayant fui la révolution bolchevik. Au soir du 19 juin 1926, le célèbre anarchiste ukrainien Nestor Makhno, blessé, affaibli et privé de tout, traque Joseph Kessel pour lui faire la peau. Dans Makhno et sa juive, l’écrivain en effet dépeint le révolutionnaire sous les traits d'un monstre assoiffé de sang et accède à la célébrité en lui volant la dernière chose qui lui reste : sa légende ! C'est dans ces bas-fonds de Pigalle que Makhno, pistolet en poche, se retrouve nez à nez avec Kessel. Et se voit embarqué à boire, écouter des discours, des chants, dans une folle soirée interlope jusque dans une fumerie d’opium où l’on croise... Cocteau et Malraux. Dans un combat où bourreaux et victimes échangent parfois leur rôle, ce ne sont plus deux individus qui s'affrontent pour la gloire et contre l'oubli, mais bien la réalité et la littérature qui se jaugent et se défient à travers eux.
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Publié par

Date de parution

04 octobre 2021

EAN13

9791090175914

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

1 Mo

L’assassinat de Joseph Kessel
D u même auteur
Poésie :
Chants de partout et d’ailleurs , Librairie-Galerie Racine, 2000
 
Romans :
OMICRoN , Ramsay, 2007
Le Réprouvé , L’Éditeur, 2010, réédité aux éditions J’ai lu en 2011
Les Successions , L’Éditeur, 2011
Avec les hommes , Intervalles, 2013
Notre Dame-des-vents , Intervalles, 2014
Libertalia , Intervalles, 2015
Quand nous étions des ombres , Intervalles, 2016
 
Théâtre :
Faire bouillir le chevreau dans le lait de sa mère , coécrit avec Émile Brami et mis en scène par Ivan Morane pour le festival d’Avignon 2012
Mikaël Hirsch

L’assassinat de Joseph Kessel

roman
À Claire Madeline
 

« Vania croyait au Christ. Je n’y crois pas. Quelle différence y a-t-il entre nous ? Je mens, j’espionne, je tue. Vania mentait, espionnait et tuait. Nous vivons tous de tromperie et de sang. »
Le Cheval blême , Boris Savinkov , 1908

« Ces écrivains ont tous le défaut de n’avoir tué personne. »
Les Conquérants , André Malraux , 1928
P REMIÈRE PARTIE
I
Il devait bien y avoir une guerre quelque part, des émeutes, un massacre ou des épidémies, mais avec le recul tout cela n’a pas compté, ou bien s’est affadi. C’était une belle journée, déjà estivale, un samedi. Le 19 juin 1926. Suzanne Lenglen venait-elle de gagner ce qu’on n’appelait pas encore Roland-Garros ? Les journalistes de l’époque seraient bien contrariés d’apprendre que leur travail d’alors n’a servi à rien, puisque personne ne s’en souvient. Les événements rapportés étaient insignifiants, ou le sont devenus avec le temps. Ce qui paraissait important ne l’est plus du tout, qu’on s’attache aujourd’hui à d’autres choses ou bien que les vieux faits-divers aient cessé de nous impressionner à cause d’une surenchère implacable, les horreurs d’aujourd’hui devant se montrer tout à fait inédites par leur ampleur ou leur nouveauté pour attirer un tant soit peu notre attention devenue défaillante. Pourtant, le négligeable ne l’est jamais tout à fait, mais uniquement le fruit d’une paresse ou d’une volonté de regarder ailleurs et les hommes apparemment sans histoire sont seulement ceux que l’on a décidé d’ignorer.
C’est dans une petite voie de Vincennes que la soirée commence, au numéro 146 de la rue Diderot, quand cette commune de la banlieue cossue n’était encore qu’une zone de la banlieue tout court. Entre les ateliers aux rideaux de fer tirés et les manufactures de cycles, tout était noir de charbon et le long sifflement des locomotives à vapeur, reliant la gare de la Bastille à Verneuil-l’Étang, raisonnait à intervalle régulier. Les trains emportaient les noceurs des bords de Marne, la jeunesse éprise de guinguettes et les bourgeois qui, après une semaine à l’étude ou dans les commerces de linge, s’offraient un dimanche de villégiature dans leur pavillon de Boissy-Saint-Léger. Les larges feuilles des platanes déjà roussies par une canicule précoce étaient couvertes de poussière comme la frondaison des palmiers à l’orée des dunes. Car c’était bien un désert que cette bourgade, de ceux où les tribus cheminent sans jamais se croiser, reviennent sur leurs pas et s’égarent pour toujours. Il n’y avait rien dans cet espace servant de tampon entre la ville et la campagne, ni prospérité ni espoir, pas même la promesse d’une source. On y reléguait sous le vent les activités nauséabondes afin de ne pas importuner les propriétaires des usines habitant plus à l’ouest.
Au quatrième étage d’un immeuble en briques rouges, le petit homme pâle et moustachu qui empoignait la balustrade regarda s’éloigner le panache du train. Ses yeux vitreux donnaient l’impression d’avoir abrité une flamme, comme l’incendie pourtant éteint couve encore sous la cendre. Après avoir inspiré une longue bouffée d’air vicié par la chaleur, il relâcha son étreinte, quitta la fenêtre et s’assit enfin à sa table. Galina Kouzmenko, la femme qui l’avait épousé par ambition, était sortie avec leur fille. Elle le haïssait à présent de n’être plus personne, le blâmant d’avoir échoué après tant d’espoirs déçus. Pour une fois, le nouvel appartement était donc vide de reproches et de cris d’enfant. Les meubles dépareillés étaient ceux qu’on avait bien voulu leur donner. On trouvait là deux tréteaux, une planche, un grand lit, trois chaises bancales et une cuisinière à bois. Quelques papiers couverts de notes manuscrites traînaient sur la table ainsi qu’un gros crayon à papier comme en utilisaient les épiciers. Il y avait aussi une boîte de sardines à l’huile entamée, une bouteille de vin rouge presque vide et au milieu de ce fatras infime, un pistolet automatique de type Ruby Durango et cinq balles de calibre 7.65. Les projectiles de laiton brillaient dans le soleil couchant comme du métal précieux. D’un geste accoutumé, Nestor Makhno libéra le chargeur, le fit glisser dans sa main gauche, y introduisit une par une les munitions, puis replaça le tout dans la crosse jusqu’au cliquetis familier. Il tendit ensuite l’arme à bout de bras comme pour menacer une cible invisible, tira pour de faux sur l’oreiller, simula le son d’une déflagration, puis reposa l’engin sur le plateau avant de finir la bouteille de vin au goulot. Sa gueule balafrée de croquemitaine défait se refléta un instant dans le miroir dont il se servait pour se raser. Si Vincennes avait été un port plutôt qu’un lieu de relégation, on l’aurait volontiers pris pour le capitaine Achab, à l’escale entre deux campagnes de pêche à la baleine. C’est Galina qui lui avait fendu la joue d’un coup de sabre au cours de leur séjour en Pologne. Il lui avait reproché ses coucheries incessantes et elle avait tenté de lui trancher la gorge dans son sommeil. Il ressemblait maintenant à un paysan qu’un engin agricole aurait happé par mégarde et dont on aurait tant bien que mal recousu les morceaux. La révolution était une baleine. La révolution était une machine. Makhno était fier de ses blessures, mais de toutes celles qu’il aurait voulu exhiber, la seule qu’on remarquait au premier abord lui avait été lâchement infligée par sa femme. Son corps était couvert de cicatrices. Toutes témoignaient de ses années de combat, plaies causées par des shrapnels ou des coups de couteau. On en dénombrait onze. Des éclats de balle dum-dum s’étaient logés dans son pied droit, l’empêchant de marcher convenablement. On l’avait laissé pour mort plus d’une fois, sur des charrettes, des brancards de fortune au milieu des champs de blé mûr, criblé de mitraille, mais à force d’être trop désirée, la mort n’avait pas voulu de lui, ou bien choisissant de lui refuser une fin héroïque, s’était-elle amusée à le vaincre à petit feu. On meurt pour un rien, d’un refroidissement. On s’étouffe à table le dimanche midi avec un bout de roast-beef trop cuit, ou bien on tombe d’une échelle, d’un cheval et même de sa chaise. Il suffit de si peu pour passer de vie à trépas, mais lui qui avait toujours devancé l’appel, couru vers le danger, fréquenté les prisons du tsar et les champs de bataille, lui qui avait connu mille fois le goût du sang, finirait par mourir de la tuberculose au sanatorium de l’hôpital Tenon. Si ce n’est la mort qui se jouait de lui, alors c’était la vie. Après l’avoir hissé vers les sommets, fait de lui un combattant, un chef de guerre, après avoir associé son nom à la terreur, elle l’avait jeté tout en bas, comme un enfant gâté se débarrasse de son jouet brisé. Lui qui avait tenu le destin de l’Ukraine entre ses mains, qui avait incarné l’espoir de la révolution véritable, et non pas celle des traîtres bolcheviks, n’était plus rien qu’un indigent au corps ravagé. À trente-sept ans, Makhno en paraissait soixante et ses seules distractions étaient maintenant les courses de chevaux et le vin. Il avait aimé les femmes. Il avait connu les femmes et s’était livré à des orgies indescriptibles quand, après la bataille, couvert du sang noirci des propriétaires terriens ou des soldats de l’Armée rouge, ivre de combats et d’alcool, il s’était jeté sur des filles à moitié saoules. Au petit matin, ayant retrouvé ses esprits, il ne comprenait plus ce qui l’avait animé, cette rage qui le prenait parfois au dépourvu et qui s’évanouissait avec la nuit. Il avait inspiré à certains une peur irrationnelle, car l’anarchisme était pour beaucoup synonyme de chaos. Il ne s’agissait pourtant pas de produire une société sans ordre, mais sans domination, rapport de force ou coercition et c’est cette liberté véritable, offerte aux paysans comme aux soldats, qui suscitait l’angoisse. On se trouvait démuni face aux choix, toujours en quête d’un nouveau père après des siècles de domination féodale. Même les plus pauvres voulaient un chef et celui qu’ils appelaient volontiers l’ ataman ne leur apportait rien d’autre qu’une responsabilité dont ils ne voulaient pas. Si Makhno effrayait encore, c’est parce que Lénine se croyait solidement aux commandes d’une révolution toujours menacée. Trotski pensait régner sur une grande armée qui se réduisait en fin de compte à un train. La Makhnovchtchina , quant à elle, avait été une force bien réelle avec ses cinquante mille hommes et le soutien de la population.
*
Né dans une famille de paysans misérables, au sud-est de l’Ukraine, Makhno avait quitté l’école à l’âge de dix ans. Dans l’oblast de Zaporija, l’abolition du servage était restée symbolique. On travaillait à en crever dans le champ d’un autre, redoutant le froid de l’hiver interminable, puis la chaleur des moissons. Il avait été profondément marqué par la révolution manquée de 1905 et avait intégré un groupuscule au sein duquel ses condisciples anarchistes se faisaient appeler Jésus ou bien Zarathoustra. Rapidement, la bande avait décidé d’incendier les récoltes, d’attaquer les fermes des grands propriétaires. Semant ainsi la panique chez les bourgeois, ils avaient fini à la prison d’Ekaterinoslav. Là, dans la cellule des condamnés à mort et avant que sa peine ne fût commuée en travaux forcés à perpétuité, Makhno avait appris l’angoisse de celui qui

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