L école laisse des souvenirs; la vie laisse des cicatrices
49 pages
Français

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L'école laisse des souvenirs; la vie laisse des cicatrices , livre ebook

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Description

Si, En ouvrant les yeux sur la vie J'avais su d'avance ce qu'elle est Ma vie Serait devenue un gâchis.

Informations

Publié par
Date de parution 05 mai 2015
Nombre de lectures 12
EAN13 9791029002908
Langue Français

Extrait

L’école laisse des souvenirs
La vie laisse des cicatrices

Tony Engel
L’école laisse des souvenirs
La vie laisse des cicatrices
Essai







Les Éditions Chapitre.com 123, boulevard de Grenelle 75 015 Paris
Du même auteur



Rien ne va jamais comme on voulait. LEN, 2013.



















© Les Éditions Chapitre.com, 2015 ISBN : 979-10-290-0283-0
Tout ce que nous savons
Nous l’avons inventé

Mais les dieux nous écoutent
Et gardent le silence

Ils sont tout à côté
Séparés par l’absence

Tournant autour de nous
Tels de grands oiseaux fous

Quand le vent sulfureux
De leurs ailes nous frôle

Nous vacillons soudain
Flamme atteinte par la flamme

Et nous nous consumons
En un flot de symboles

Qui nous fait oublier
Tout ce que nous savons



Marcel Béalu.

1
Un début à tout
Ah ! Que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !
Charles Baudelaire .


Il y a très longtemps.
Au-dehors, une crise économique venait d’éclater, qui allait faciliter le passage d’une guerre mondiale à l’autre. Ignorant tout cela, bien à l’abri dans le cocon familial, j’ai eu le temps d’ouvrir les yeux sur la vie, de me réconcilier avec elle, de vouloir ensuite explorer le monde du dehors, d’apprendre à me méfier de ses apparences pour en découvrir les écueils, les faiblesses et les avantages, de commencer ainsi -sans trop m’en rendre compte encore- à me construire un monde intérieur.
Après avoir longtemps fait du bruit bien loin à l’Est, cette nouvelle guerre est arrivée, pendant la nuit, sans même réveiller mon village si paisible en ce nouveau printemps. Les apparences n’avaient pas changé, mais pour le regard, rien n’était plus comme d’habitude. Avant même d’être comprise comme un signe : -ce qui arrive va durer, mais n’est rien face à ce qui se passera encore après ces remous !- la guerre était déjà plus loin, vers l’ouest, traînant derrière elle des soldats qui marchaient d’un pas régulier, en doubles files interminables, là où l’herbe longe le bord des routes que le macadam n’avait pas encore envahies.
Seuls les chemins de traverse appartenaient encore au village, que la route venait de couper en deux. À intervalles réguliers, ces files de soldats encadraient des chariots, tous semblables, tirés par des chevaux plus élégants, plus alertes que ceux de chez nous. Le bruit saccadé, mais comme trébuchant parfois, des sabots se mêlait aux cris brefs des oiseaux. Ce jour-là, après la traite du matin, aucune charrette, traînée par le chien de la ferme, ne s’en allait vers la laiterie. La guerre avait occupé l’espace et le temps.
Vers midi, la longue marche des soldats s’arrête. Après des commandements à peine audibles, ils se dispersent lentement dans les prairies environnantes et, alignés par groupes de dix environ, déposent leurs armes, leurs sacs à dos couverts d’une peau de vache, puis se mettent à manger des tranches d’un pain très noir. Au bout d’une demi-heure ils se remettent en files au bord de la route et repartent vers l’ouest.

Ces soldats étaient encore dans leur patrie : mon village faisait partie de cette terre qui avait été enlevée à leurs parents vingt ans auparavant, après l’autre guerre. Pour avoir longtemps espéré ce qui venait d’arriver, le village les accueillait en amis, mais ils restaient indifférents à ce qui se passait autour d’eux. Sans doute savaient-ils -mieux que nous, gamins qui, sans trop chercher à comprendre, regardions des uniformes plutôt que des visages- ce qu’est vraiment cette guerre qu’ils allaient rejoindre.
Dans le village, seuls les plus jeunes, qui ne connaissaient du passé que les souvenirs de leurs parents, manifestaient, entre eux, une joie bruyante et superficielle. Quelques-uns, plus rares, savaient depuis longtemps que cela allait arriver ; restés dans l’ombre, ils y avaient même parfois aidé, et prenaient maintenant des airs graves, comme pour montrer qu’ils portaient, eux aussi, une part du prestige qu’une mère-patrie retrouvée faisait rayonner ; il me faudra longtemps pour comprendre que cette fierté devait se montrer, afin de masquer la servitude volontaire, l’autre face de cette même médaille.
Les plus âgés -surtout les vétérans de la guerre précédente- retrouvaient leur patrie ; ils n’avaient vécu les conséquences sociales et politiques de leur ancienne défaite que de loin, et n’avaient pas été malheureux ; sans avoir l’impression d’être délivrés d’une servitude, ils pouvaient renouer avec leurs jeunes années ; cela leur suffisait.
Bien rares étaient ceux qui avaient regardé au-delà des apparences : cette patrie n’était plus vraiment celle qu’ils avaient connue jeunes. Prise en otage par un pouvoir qu’ils ne voyaient encore que de loin, elle ne venait pas leur apporter la liberté, ni le retour à des traditions rassurantes. Soucieuse d’effacer son absence des vingt dernières années, elle mettait en place, chez nous, les fondements de cette autre violence, sournoise, qui avait, depuis des années déjà, investi son quotidien.
Un pouvoir invisible et omniprésent venait de surgir : il allait décider, sans avoir à dire pourquoi. Ceux qui, dorénavant, détenaient ce pouvoir portaient le plus souvent un uniforme brun clair (nous étions habitués au bleu du facteur et du garde-champêtre) et adoptaient des comportements militaires.
Jusque-là, nous n’avions pas vécu dans l’abondance, mais, depuis l’instant où la guerre avait effleuré le village, il y avait des choses qu’on ne pouvait plus acheter. Instauré du jour au lendemain, le rationnement, à peine perçu comme humiliant, apparaissait plutôt inévitable : le prix à payer pour la gloire future d’un avenir millénaire.

Désormais, on décidera pour nous de tout ce dont nous aurions besoin pour vivre, de tout ce à quoi il faudra désormais consacrer notre vie. Je saurai bien plus tard pourquoi ces soldats, debout dans nos prairies, mangeant en silence, avant de s’en aller au loin, où la guerre aura besoin d’eux, me fascinaient tant. Jeunes aux visages fermés, à peine sortis de l’adolescence, ils savaient bien qu’ils n’étaient déjà plus les premiers à devoir en payer -d’avance évidemment- le prix des lendemains prometteurs.

Les traditions familiales ne laissaient aucun doute : il fallait, ou bien accepter la soumission à ce qui prétendait tout changer jusque dans les pensées, ou alors s’en aller, retrouver l’ancienne patrie, là où le conquérant restait un ennemi, et où la pensée seule -mais à condition de rester muette- restait libre. Pour mes parents, le choix inéluctable, mais évident, entre le Bien et le Mal obligeait à partir était. Le Mal, c’était concret : cette présence étrangère, humiliante, dont il fallait bien supporter les contraintes matérielles, inattendues, de plus en plus urgentes. Le Bien, c’était théorique : les réponses, simplistes, mais définitives, fournies par leurs traditions familiales, renforcées par la religion, qui devaient donner le courage de rester fidèle à une vraie patrie, gardienne de valeurs éternelles.
Incapable de comprendre ces motivations, je ne voyais que ce qu’il a fallu quitter : un village dont je commençais à découvrir les secrets, et surtout mon dernier cadeau de Noël, trop encombrant pour le déménagement. Du jour au lendemain, la langue maternelle, celle de la petite enfance en famille et dans les rues, celle que l’école du village avait rendue autonome en lui donnant le pouvoir de découvrir un sens au monde extérieur, et la possibilité de survivre par l’écriture, était maintenant celle de l’ennemi. Elle a dû céder la place à une autre langue, celle de ce coin de la patrie où je devais dorénavant trouver refuge. Surgissant d’emblée dans ma vie sous une forme savante, il a fallu apprendre, en même temps, -et sans trop tarder- à la parler, l’écrire et la lire dans les livres.
Un ennemi puissant, inquiétant, venait de m’arracher au vécu de mon enfance. Il fallait refuser tout compromis avec lui, mais j’étais trop jeune, trop lié encore à mon patois maternel pour chercher à comprendre ce que signifiait vraiment cette rupture qui m

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