L éducation d une handicapée sentimentale
117 pages
Français

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L'éducation d'une handicapée sentimentale , livre ebook

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Description

Ce n'est pas une autobiographie. Ce sont des portraits. Ce ne sont pas des portraits très fiables puisque c'est moi qui les peins. On va dire que c'est un pamphlet familial. Pour les grands et les petits. Une satire collégiale. Pour les petits cyniques en herbe. Mais sinon à part ça, ma famille est formidable et je vais plutôt pas mal, merci.

Informations

Publié par
Date de parution 11 juillet 2013
Nombre de lectures 5
EAN13 9782312012162
Langue Français

Extrait

L’éducation d’une handicapée sentimentale
Virginie T.
L’éducation d’une handicapée sentimentale








LES ÉDITIONS DU NET 22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
© Les Éditions du Net, 2013 ISBN : 978-2-312-01216-2
Maman. Parce que toutes les belles histoires commencent comme cela non ?
Bonjour, je m’appelle Virginie T., née un beau jour de 1985, presque trois ans après mon grand frère, Nicolas, dans une famille bancale. J’ai perdu ma virginité sentimentale à trois ans. L’amour dure trois ans d’ailleurs, aurait dit le penseur chevelu de Neuilly.

Cette réflexion sur ma vie, mon œuvre, à un âge où l’on devrait regarder devant soi plutôt que derrière, c’est d’abord une réflexion sur ce que les parents, à fortiori les miens, m’ont offert de meilleur dans ma vie. Leur abandon.
Et nous avons réussi l’exploit de la collection. Trois, pour être exacte. Par notre mère. Par notre mère adoptive. Et par notre père. Pas pour les mêmes raisons, bien évidemment. Et surtout pas parce que notre tête ne leur revenait pas. J’estime, peut être à l’instar de tous ces penseurs qui s’agitent à conceptualiser la résilience, que l’abandon, finalement, est une porte de secours intéressante que des parents incompétents peuvent emprunter tôt ou tard, afin sans doute de permettre à leur progéniture d’évoluer sans repères biaisés.

Ma mère m’a accessoirement fait cadeau de son visage. J’ignore si c’est pour prolonger le souvenir. Ou pour continuer à m’emmerder lorsqu’en grandissant, cela devenait si évident. Dans mon miroir, je la vois ; je détestais que l’on me confonde avec elle, jusqu’à ce que je migre loin de toute cette mascarade. Fort heureusement, elle n’avait ni le visage, ni le physique ingrat. Par contre, elle m’a fait cadeau d’un doigt ingrat, si bien qu’à chaque fois que j’ouvre ma main et/ou ne parviens pas à attraper un objet correctement, je pense à elle.

D’aussi loin que mes souvenirs me le permettent, j’ai toujours détesté ma mère. Bon, tout à fait entre nous, une fois qu’elle nous avait abandonnés, nous ne l’appelions plus « maman », mais « l’autre ». Pas ce grand Autre lacanien, un petit « autre », d’origine contrôlée et plutôt méprisant.
Je n’ai pas en mémoire de traces particulièrement plaisantes, ni même déplaisantes, d’ailleurs. A cause de mon âge, évidemment. Et à aucun moment je n’estime que l’autre ne m’ait jamais aimée ni détestée (ni Nicolas). Je n’en sais rien. Et je m’en fous, à vrai dire. Le seul reliquat de souvenir sympathique fut lorsque nous chantions à tue-tête sur True blue de Madonna, elle, qui passait l’aspirateur dans l’appart, moi qui restait plantée devant la radio. Voilà.

Nicolas, lui, a partagé plus de moments privilégiés avec l’autre, Œdipe oblige. Fallait le voir, ce charismatique gaillard chanter « Les chevaliers du Zodiaque » à sa maman, fier et souriant.
Moi ? J’observais, mutique ou presque. Je zone déjà dans ma propre famille, précocement.

Papa, lui, il est là, bien sûr, il existe, mais il n’est pas tellement là. Son boulot de fossoyeur municipal lui prend le plus clair de son temps et de son énergie. Nous jouions beaucoup ensemble, et d’ailleurs plus qu’avec l’autre. Je l’aimais bien parce qu’il a des grands yeux bleus transparents qui se ferment au moindre rayon de soleil. Comme moi. Et puis c’est mon papa : grand, fort et moustachu. Le pauvre avait des cornes qui touchaient les nuages. Déjà, paraît-il, avant le mariage.

Heureusement que j’ai hérité de ses beaux yeux,
Sinon, un test de paternité aurait été fort judicieux.

Bon. Revenons au propos de ce chapitre diffus, confus, et peut être que, si les romans ou autres nouvelles s’écrivent dans un certain ordre, c’est que, la loi chronologique prévaut et aide à la bonne compréhension. Du reste, je ne souhaite pas être soumise à la dictature de la chronologie. Je m’en fiche. Le lecteur fournira le travail intellectuel suffisant pour rassembler mes morceaux.
Donc, l’autre. Elle travaille de temps en temps dans un hôtel du patelin (le seul et unique en fait) pour, officiellement, faire des ménages. Officiellement. Parce que partout où l’on va, on dit, très officieusement, qu’elle « fait des extras ». Ça, je l’ai toujours refoulé jusqu’à ce qu’on me pose clairement la question « Qu’entendez-vous par extra ? ». J’entends par là donc qu’elle faisait des extras. Je n’arrive pas à poser l’autre hypothèse. Je peux bien entendre que ma mère puisse nous avoir abandonné, je peux bien dire que j’ai vu ma mère inviter quelqu’un d’autre que mon papa dans son lit. Je peux dire aussi que c’était un être en même temps détestable et touchant dans une ambivalence que j’assume pleinement. Je ne développerai pas ce que j’entends par extra. Mais en m’auto-justifiant sur trois lignes, vous aurez compris ce que j’entends par « extra ». D’ailleurs elle s’est fait virer pour ça.
C’est une femme qui, par ailleurs, semblait plutôt gentille, mais absolument pas maternante. Comme cet instinct que toute femme posséderait, au conditionnel, et à condition d’y croire très fort, comme dans les plus mauvais films fantastiques de ma génération. Je prenais un malin plaisir à l’embêter sur tous les registres possibles et imaginables. J’étais une teigne, une peste, une fille qu’on abandonnerait bien au moins offrant. Je m’amusais à singer son air précieux malgré ses origines prolétaires en me bouchant le nez ; un bel « Absolument », faussement gracieux, la dernière syllabe tirée à l’infinie. Je n’attendais qu’une chose : qu’elle parte de l’appartement faire je-ne-sais-quoi pour m’amuser avec son maquillage, ses vêtements, fouiller dans ses affaires. La tranquillité, en somme.
Bon, j’ai effectivement fait une ou deux erreurs de jugement, notamment lorsque j’ai confondu la bombe lacrymogène avec son parfum. J’aurais très probablement fait cette connerie en sachant lire. Cela me rendait fière, parce que la culpabilité de l’autre est belle, et la victimisation encore plus. Je crois que je la détestais tellement qu’un jour j’ai dit à ma grand-mère la bouche en cœur que maman avait un mec moche et bouclé qui ressemblait à un rat dans son lit… enfin, dans le lit de papa. Mamie a dit la bouche en cœur à papa que sa femme le trompait. Papa n’a rien dit la bouche en cœur à maman mais lui a collé la plus grosse baffe qu’un mec d’un mètre quatre-vingt-dix et une centaine de kilos de muscle de celui-qui-creuse-des-tombes-toute-la-journée ait pu mettre à une petite nana d’un mètre soixante-et-je-ne-sais-pas-combien-de-kilos-mais-au-moins-la-moitié-moins.

Les voisins ont parlé de « traumatisme ». Si un traumatisme c’est Rambo qui se souvient du Viêt-Nam à chaque fois qu’il voit un bambou, non. Si un traumatisme c’est un souvenir plus précis que les autres, qui reste bien ancré dans la tête pour des siècles et des siècles, oui.
J’avais trois ans.
Ca gueule un peu, nous nous avancions timidement vers ce qui ressemble à un mauvais théâtre de boulevard. Mon père reproche donc à son épouse de le tromper, qui plus est avec le neveu de la voisine, au physique ingrat. Et là, Véronique – puisque c’est son nom (au fait), lâche un nasillard « Et alooooooooooooooors ? » à papa qui sort de ses gonds. Je ne sais pas si c’est juste après ce « Et alors ? », insupportable, ou s’ils se sont engueulés encore un peu, mais elle lui a craché à la figure. Et elle a bien visé. Et c’est parti tout seul. Cette volée, qui rappelle le dernier coup à Street Fighter , lorsque le joueur qui se prend l’attaque fatale traverse l’écran, au ralenti, et pousse le cri de la défaite. Ben là, maman, c’était Chun-Li mise K.O par Zanglief, danse de la joie du vainqueur non comprise. L’autre traversa mon écran visuel, le salon, ce qui était déjà une bien belle performance. Je ne me souviens de plus rien après, le trou noir, si ce n’est les rideaux jaunis derrière lesquels je me suis cachée. Je crois que Nicolas partit dans la chambre. Et mon père partit ailleurs, d’ailleurs. Chez sa mère.

Maman demanda le divorce par

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