L Espérance en sursis
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L'Espérance en sursis , livre ebook

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Description

Au sortir de la Libération, Arlette Gravier se débat difficilement avec les séquelles de sa déportation, Arnaud Larribe rêve de fonder un cabinet d’architecte et de profiter des affaires qui reprennent, Damien Rubot, militant communiste, croit dur comme fer à une révolution sociale toute proche. Leurs vies baignent dans la France de la reconstruction : celle du bonheur proche, de la télévision naissante, des nouvelles voitures, de la démocratisation de la culture ; la guerre d’Algérie va apporter un bémol à ce tableau idyllique et déplacer quelque peu l’échéance de leurs espérances.

« D’autres, plus réalistes ou plus cyniques, c’est selon, crurent voir en cette fin d'année 1962 un autre présage : celui du début d’une période au cours de laquelle la France déposait enfin les armes et allait entamer une phase de renaissance, en abandonnant l’art de la guerre près de quinze ans après ses voisins... L’espérance de tous n’était pas ajournée, ni vraiment démentie. L’Histoire lui avait accordé un sursis. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 13 mai 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782334146432
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-334-14641-8

© Edilivre, 2016
Prologue
En ce début de l’été 1945, Arlette Gravier connut rapidement des difficultés significatives de réadaptation à la vie civile, à une vie normale. Mais qu’était-ce donc qu’une vie normale pour elle, pour ces millions de déportés, de prisonniers de guerres, de captifs de toute nature, internés, déplacés, qualifiés d’une façon générique « d’absents » par les pouvoirs publics. Absents du sol français ? Absents, sevrés de la présence de leurs proches durant de longs mois ou d’interminables années… Absents de la vie du pays, et déjà peut-être oubliés ?
Arlette Gravier, après son passage en avril mai 1945 au Lutétia, lieu où se déroulait l’accueil des déportés de retour des camps, retourna chez elle, à Boulogne, où l’attendait René Bertin, ce compagnon rencontré durant l’Occupation : il avait pourvu à tout, s’était acquitté des formalités, et avait pu échapper aux nazis et à la Gestapo car son existence et celle d’Arlette Gravier présentaient une étanchéité absolue durant cette période. Il n’avait laissé aucune trace matérielle dans sa vie, aucun indice permettant de penser qu’elle le connût. Il était là, devant l’entrée du Lutétia, comme si sa présence et son amour pour Arlette s’imposaient depuis toujours comme une évidence humaine.
Pourtant, ce qui avait surpris Arlette Gravier, et le mot est faible, c’était d’avoir vu Arnaud Larribe, qui accompagnait René Bertin. Comment était-ce possible ? Ce bourgeois collaborationniste qui se pavanait dans les restaurants du marché noir avec Anne Laroche, une de ses amantes, misérable petite prostituée juste bonne à profiter sans scrupule des libéralités d’un bourgeois en mal de plaisirs faciles, avait rejoint la Résistance dans le même réseau qu’elle !
C’était Libération Nord , dirigé par Christian Pineau, ayant lui aussi connu la captivité et la déportation. Arnaud Larribe lui avait expliqué, très succinctement, pourquoi il avait rejoint ce réseau. C’était difficile à admettre intellectuellement pour Arlette Gravier, très encline avant la guerre, à classer les individus selon leurs options idéologiques et à leur accorder une valeur morale selon leur situation sur le spectre politique… Justement, Arnaud Larribe avait procédé à de profondes révisions en la matière. Après avoir cru que le Maréchal Pétain pouvait protéger la France des rigueurs de l’occupant, Arnaud Larribe avait déchanté, et après s’être entretenu avec des amis architectes, s’était décidé à entrer en contact avec un réseau. Arnaud Larribe savait, plus ou moins confusément, que cette période allait durablement bouleverser les rapports humains, les mémoires, les visions du monde jusqu’alors véhiculées et justifiées par la majeure partie des Français. Il voulait réussir, fonder un cabinet d’architecte, participer à la recréation de ce monde qui commençait à s’extraire des ruines, à retrouver un semblant d’organisation, à se rouvrir si douloureusement, si précautionneusement aux forces de vie.
La situation de Damien Rubot était beaucoup plus évidente, presque enviable. Cet homme, ouvrier d’usine, ardent militant syndical et politique, s’était déjà frotté aux rugosités de l’histoire en 1936, durant les années du Front populaire, tout comme Arlette Gravier. Ces événements constituèrent pour eux leur baptême, leur brevet de militantisme, la confirmation de la justesse de leurs idées, de la noblesse de leurs engagements respectifs. Damien Rubot, en tant que militant communiste et ancien FTP, ne doutait plus guère ; il voyait approcher à très brève échéance les prodromes d’une révolution sociale qui allait, enfin, emporter les restes décadents de la société bourgeoise. Oui, la bourgeoisie avait failli, livré l’appareil productif à l’occupant nazi, avait honteusement collaboré. La France prolétarienne, au contraire, avait payé de son sang et de ses larmes son tribut à la libération du pays. Le grand parti communiste français, le sien, était l’une des composantes essentielles de la France libérée. Des lois nouvelles seraient votées, sûrement, le sort de la classe ouvrière serait amélioré. C’était impossible dans son esprit, et dans celui de millions d’individus partageant ses idées, d’envisager une seule seconde que le parti laisserait passer cette opportunité historique de transformer le pays.
Ce dernier, dès les premiers jours ayant suivi l’annonce de la capitulation des armées du Reich, commençait à panser ses blessures, à se réorganiser, à envisager sa reconstruction. Il s’éveillait d’un cauchemar qui avait duré cinq ans. Celui-ci avait bouleversé les notions de bien et de mal, provoqué des dégâts matériels considérables, entraîné la fuite de réfugiés innombrables, redessiné les frontières, provoqué la mort de plusieurs dizaines de millions d’êtres humains. Arlette Gravier, Arnaud Larribe, Damien Rubot, Karim Djadel ; acteurs de cette histoire à un titre ou à un autre étaient inclus dans ce décor, prêts à entrer en scène une nouvelle fois. Il leur restait à définir le texte de leur propre rôle. Ce n’était assurément pas une tâche aisée. Cette difficulté revêtait un caractère encore plus aigu pour Karim Djadel. Son parcours avait correspondu grosso modo à celui d’un immigré de la révolution industrielle, celle qui nécessitait une abondante main-d’œuvre, peu qualifiée, chichement payée et mécaniquement refoulée aux lisières de la société, en raison de ses mœurs supposées trop différentes de celles des citoyens d’origine européenne, et surtout de la volonté des cercles dirigeants qui gouvernaient la France, de ne pas intégrer cette frange de la population au reste de la nation. Par volonté inégalitaire ? Par absence d’une logique d’intégration ? Par inconséquence ? Karim Djadel avait longtemps hésité, s’était posé d’une manière presque lancinante ces questions sur la véritable intention des dirigeants français à l’égard de sa communauté. Il avait adhéré à l’Étoile Nord-Africaine avant-guerre, admiré Messali Hadj, ce chef jugé parfaitement charismatique qui promettait de rendre au peuple algérien ce dont il était privé, d’après lui, depuis cent ans : sa dignité et sa liberté, le respect de sa culture.
Karim Djadel avait entrevu un immense espoir, pendant la guerre dans l’armée d’Afrique, dirigée par de Lattre ; il y avait entr’aperçu une possible fraternité d’armes, un partage de la souffrance, un sacrifice fait au nom d’une cause commune : la lutte contre le nazisme. Il avait cruellement déchanté après le 8 mai 1945, jour de joie en métropole, jour d’affliction pour les Algériens qui voyaient plusieurs dizaines de milliers des leurs massacrés par la troupe. Ce n’était donc pas possible de changer les choses pacifiquement. La France serait chassée par les armes, par l’insurrection du peuple algérien contre le second empire colonial du monde. C’est pourquoi Karim Djadel, peu de temps après sa démobilisation, n’était pas retourné à l’usine mais avait rejoint la clandestinité dans sa Kabylie natale dans les derniers mois de l’année 1945.
Cette année 1945, d’ores et déjà, marquait de son empreinte l’histoire du pays. Des amis avaient relaté à Arlette Gravier les conditions d’organisation du premier vote des femmes : il avait eu lieu le 29 avril 1945 à l’occasion des élections municipales, et avait été rendu possible par l’ordonnance du 5 octobre 1944 qui accordait le droit de vote aux femmes pour la première fois dans l’histoire du pays. Trop occupée les formalités et examens qui l’absorbaient depuis son retour des camps, Arlette Gravier n’avait pu prendre part à ce scrutin. Ce n’était que partie remise, elle comptait bien faire fructifier tous ces acquis à très bref délai, d’autant plus que l’histoire manifestait toute l’ironie dont elle est souvent coutumière : le gouvernement provisoire avait signé le 4 octobre 1945 une ordonnance créant la Sécurité Sociale obligatoire pour tous les salariés. Un retard de plusieurs dizaines d’années comblé sur l’Allemagne, L’Angleterre, les États-Unis… C’était une résurgence, une continuité, un prolongement des conquêtes sociales du Front populaire. L’histoire était d’autant plus extravagante qu’elle avait conduit les partis politiques à gouverner ensemble : les communistes, les socialistes, et les démocrates chrétiens du MRP gouvernaient ensemble la France : Arlette Gravier, Arnaud Larribe, Damien Rubot exerçant de concert le pouvoir ! Ils croyaient rêver… René Bertin avait fait part à sa compagne des événements survenus peu de temps avant son retour : il avait choisi les domaines qui tenaient le plus à cœur à Arlette : la culture, l’organisation de l’information. Ainsi apprit-elle par sa bouche que Carné avait mis en scène un film qui commençait à avoir beaucoup de succès ; c’était Les enfants du paradis, dans lequel apparaissaient des comédiens qui étaient chers à Arlette Gravier et à René Bertin : Arletty, Pierre Brasseur, Jean-Louis Barrault ; ils iraient le voir dès que possible.
« Tu vas être aussi comblée par une autre avancée, affirma René Bertin, lors des nombreux échanges et dialogues tenus entre eux deux, comme pour rattraper au plus vite ce temps maudit de la captivité, remplir ce vide de l’absence.
– Dis-moi, René, ça concerne la vie publique ?
– Elle nous était précieuse pendant l’occupation.
– La radio ?
– Exactement, ma chérie, la radio a été nationalisée, au mois de mars, l’organisme s’appelle la Radiodiffusion française.
– Comme pour supprimer tout danger de guerre des ondes, et c’était aussi une guerre, celle-là, parmi tant d’autres, une guerre civile radiophonique. »
Mais tous deux savaient combien la situation du pays, immédiate et matérielle, était dé

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