L homme aux romans policiers
235 pages
Français

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L'homme aux romans policiers , livre ebook

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Description

Juliette Pary (1903-1950)



"Jim Joy, auteur de romans policiers, contemplait sombrement son thé, ses toasts beurrés, ses œufs au lard, son porridge, son roastbeef froid, son grappe-fruit et sa marmelade d’orange ; en un mot, son premier déjeuner léger.


– Jimmy, vos œufs au lard vont refroidir, dit doucement May.


– Mes œufs au lard ! Elle me parle de mes œufs au lard quand je pense, à mon roman policier !


– Un peu de porridge, Jimmy ? C’est très bon pour les intellectuels surmenés !


– Vous ne vous rendez pas compte des affres tragiques de ma situation, May ! Je me débats dans les tourments de la création, et vous m’offrez une tartine au lieu d’un titre et des Quaker Oats à la place d’une intrigue !


– Vraiment, Jimmy, je ne comprends pas votre agitation. Vous avez eu beaucoup de succès, jusqu’ici...


– C’est bien cela qui me tourmente ! Cessez de beurrer des toasts, May, et je vous dirai la vérité, à vous, à vous seule. J’ai eu beaucoup de succès, mais pourquoi ? Parce qu’aucun de mes livres n’était de moi ! Rassurez-vous, c’est moi qui les ai écrits ; mais selon des formules toutes faites. J’ai utilisé des recettes à succès, et le public m’a applaudi ! J’ai fait trois romans policiers : le premier à la manière d’Edgar Wallace, le second à la manière d’Agatha Christie, le troisième à la manière de Philips Oppenheim. Je suis un imitateur-né, j’ai saisi les trucs et les ficelles du métier, et sans plagier les maîtres, j’ai réussi à me modeler sur eux. Mes trois romans se sont vendus comme leur modèle, et mon éditeur m’en demande un quatrième."



Quand un auteur de romans policiers à succès joue au détective...

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 6
EAN13 9782374638713
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L ’homme aux romans policiers
 
 
Juliette Pary
 
 
Mars 2021
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-871-3
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 870
I
Le rival d’Edgar Wallace
 
Jim Joy, auteur de romans policiers, contemplait sombrement son thé, ses toasts beurrés, ses œufs au lard, son porridge, son roastbeef froid, son grappe-fruit et sa marmelade d’orange ; en un mot, son premier déjeuner léger.
–  Jimmy, vos œufs au lard vont refroidir, dit doucement May.
–  Mes œufs au lard ! Elle me parle de mes œufs au lard quand je pense, à mon roman policier !
–  Un peu de porridge, Jimmy ? C’est très bon pour les intellectuels surmenés !
–  Vous ne vous rendez pas compte des affres tragiques de ma situation, May ! Je me débats dans les tourments de la création, et vous m’offrez une tartine au lieu d’un titre et des Quaker Oats à la place d’une intrigue !
–  Vraiment, Jimmy, je ne comprends pas votre agitation. Vous avez eu beaucoup de succès, jusqu’ici...
–  C’est bien cela qui me tourmente ! Cessez de beurrer des toasts, May, et je vous dirai la vérité, à vous, à vous seule. J’ai eu beaucoup de succès, mais pourquoi ? Parce qu’aucun de mes livres n’était de moi ! Rassurez-vous, c’est moi qui les ai écrits ; mais selon des formules toutes faites. J’ai utilisé des recettes à succès, et le public m’a applaudi ! J’ai fait trois romans policiers : le premier à la manière d’Edgar Wallace, le second à la manière d’Agatha Christie, le troisième à la manière de Philips Oppenheim. Je suis un imitateur-né, j’ai saisi les trucs et les ficelles du métier, et sans plagier les maîtres, j’ai réussi à me modeler sur eux. Mes trois romans se sont vendus comme leur modèle, et mon éditeur m’en demande un quatrième.
–  Mais, Jimmy, puisque vous avez un don d’adaptation si parfait, pourquoi n’imiteriez-vous pas les grands classiques ?
–  Parce que je voudrais être lu, chère enfant. Les lycéens même ne lisent plus les classiques, ils se contentent de les apprendre par cœur. Leur délectation, ce sont les grands maîtres ès-art policier dont j’ai fait mes modèles. Je pourrais évidemment continuer selon la même formule et encaisser de gentils petits revenus. J’ai une presse formidable et je suis traduit dans toutes les langues. Mais l’ambition me ronge, je voudrais faire un roman policier qui soit vraiment de moi ! Des aventures... Mais lesquelles ? Je les ai toutes mises dans mes trois romans ! J’ai tout utilisé, tout, la poursuite en avion, l’accident de chemin de fer, l’incendie, le naufrage, les mines d’or de la Rhodésie, les sociétés secrètes, les documents politiques d’une importance mondiale égarés ou volés ; six à huit assassinats par volume, l’égorgement, l’étranglement, l’empoisonnement par les flèches rapportées des Indes, le détective au regard d’acier et aux muscles de bronze, la jeune fille noble et pure qui passe intacte à travers les pires dangers, la femme fatale, le génie criminel dont la présence invisible et sinistre vous glace d’un souffle de mort pendant trois cents pages, et qui se trouve être, à la fin, membre de la Chambre des Lords ; les cachettes ingénieuses, les écritures chiffrées, les petits liftiers lecteurs de Nat Pinkerton, qui sauvent la situation au dernier moment ; les narcotiques, le chloroforme – mon héroïne a été chloroformée tant de fois que le plus robuste gaillard y aurait succombé... Le péril jaune, les fanatiques chinois, les étrangleurs sacrés, les serpents, les supplices ; les déguisements, les évasions, les lettres truquées ; la série d’assassinats mystérieux qui s’abat sur Londres... À propos, May, avez-vous remarqué que dans quatre-vingt-dix-neuf romans policiers sur cent, une série de crimes mystérieux s’abat sur Londres ? On croirait vraiment que la moitié des grands industriels, des lords et des hommes célèbres londoniens sont journellement assassinés, et que chacune des boutiques de Whitechapel est le repaire d’un sombre bandit ! Pauvre Londres qui ne s’en doute même pas !
–  Je vous assure, Jimmy, que si vous vous consacriez à un autre genre de littérature...
–  Assez, May ! Ne touchez pas au roman policier ! Vous seriez lapidée par la foule et conspuée par l’élite... N’oubliez pas que le roman policier tient sa tradition d’Edgar Poe, que le président Hoover en lit un tous les soirs avant de s’endormir, que Maurice Leblanc est le beau-frère de Maeterlinck... Mais à quoi bon multiplier les preuves pour défendre une cause gagnée depuis longtemps ! Il ne s’agit pas pour moi de lire un roman policier ou de ne pas le lire, de l’écrire ou de ne pas l’écrire, il s’agit de le vivre ! Je me demande avec angoisse – ne souriez pas, May, avec une angoisse profonde – si les Williams, les Van Dyne, les Ferguson, ont vraiment connu leurs héros ? Voilà des années que je cherche, et je ne rencontre ni le jeune millionnaire américain, viril et généreux, qui signe en souriant des chèques de cent mille dollars, ni notre gentleman national, silencieux, tenace et flegmatique, pilier du Secret Service, ni l’Oriental mystérieux, doué de pouvoirs magiques, qui incarne le péril jaune, ni aucun des types indispensables à un bon roman d’aventures ! Des types, May, des types ! La moitié de mes droits d’auteur pour des types ! Où sont-ils, l’Homme à la tête sanglante, l’Homme sans tête, l’Homme sans visage, l’Homme chauve, l’Homme aux cent masques, l’Homme aux mille bras, l’Homme au projecteur, l’Homme au complet marron, l’Homme au complet gris, l’Homme sans complet ? Où est-elle, la Femme fatale ?
–  Jimmy, vous me faites peur ! Pourquoi suis-je condamnée, moi, la créature la plus pusillanime de la terre, à avoir un mari officier de police et un beau-frère auteur de romans policiers ?
–  Parlez-m’en, de votre mari officier de police ! Le plus grand crime qu’il ait jamais mis à ma disposition, c’est le vol des trois poules de la coquetière, l’hiver dernier ! Que diable ! Un peu d’aventures dans tout cela, un peu de frissons, un peu de sang !
–  Oh ! Jim, pourquoi du sang ? interrompit May avec un reproche douloureux. Pourquoi, mon Dieu, cette curiosité sanguinaire ? Pourquoi me faire vivre dans cette atmosphère de crimes ? J’en ai vu, moi, du sang...
Sa voix douce se brisa sur un sanglot. Jim se mordit les lèvres et caressa gauchement sa tête blonde.
–  Je suis une brute, May. Pardonnez-moi. Ne pleurez pas, petite sœur. Comment ai-je pu oublier...
En effet, comment avait-il pu oublier que trois ans auparavant, May avait vu un crime réel ? La vieille miss Leigh, tante et tutrice de May, avait été assassinée dans la nuit par un maraudeur pour quelques misérables dizaines de livres...
Il y a quelque vingt ans, Dorothy-May, sœur, cadette de miss Marian Leigh, surmontant la timidité innée chez les femmes de cette famille – et de cette époque – avait suivi de l’autre côté de l’océan Washington Quaker. Appuyée sur le bras vigoureux de Wash, elle se contentait de regarder son mari sans jamais lever les yeux vers les gratte-ciel, qui lui donnaient le vertige. Bien qu’Américain, Wash n’avait pas fait fortune. Et quand sa femme et lui avaient péri dans un accident de chemin de fer, leur fille, âgée de dix-sept ans, était restée à New-York sans un seul cent. Miss Marian Leigh avait immédiatement appelé auprès d’elle son unique nièce, qui portait le nom de sa mère et avait hérité du manque de tempérament maternel. Née en Amérique, May avait le type et le cœur anglais. La mort tragique de ses parents avait accru jusqu’à la phobie sa crainte innée de la trépidation des grandes villes, des inventions modernes, des machines diaboliques de notre temps. Elle se plaisait infiniment dans le petit cottage de Farnham, voisin de Guildford, où le pasteur aux cheveux blancs avait jadis marié ses parents, et où miss Leigh, sa tante, la comblait de caresses, de tasses de thé, de gâteries et de récits du bon vieux temps. La jeune fille avait joui de ce repos. Mais...
Jim Joy regarda sa belle-sœur ; elle avait une expression qu

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