L oeuvre de mort
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L'oeuvre de mort , livre ebook

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Description

Maurice Leblanc (1864-1941)



"Au bruit des pas et dès les premiers mots échangés dans la pièce voisine, Marc Hélienne s’aperçut que toute retraite lui était coupée. Sauf la porte de communication, nulle issue ne l’autorisait à sortir.


Un geste de colère l’apaisa. D’ailleurs la moindre imprudence l’eût trahi, ce à quoi il ne voulait point se risquer. Il resterait donc immobile jusqu’à ce que cessât l’odieux emprisonnement auquel sa maîtresse le condamnait.


Aussitôt il lui sembla que quelque chose s’arrêtait brusquement en lui et autour de lui. Bien des fois, depuis Le jour où dix ans auparavant il refusait de suivre son père en Normandie, Marc Hélienne avait deviné que sa vie s’en allait d’un mouvement égal vers un horizon indistinct. Il se refusait à toute velléité d’examen et fermait les yeux devant les paysages nouveaux. Mais il éprouvait, précise et douloureuse, la sensation d’une descente continue.


Et soudain cette chute s’interrompait.


Le cours des faits et des actes aboutissait là, entre les quatre murs de sa prison."



Marc Hélienne, jeune provincial à Paris, ne cesse de se torturer l'esprit afin de comprendre son devenir. N'arrivant à rien, il vit aux crochets d'une femme qui se vend pour le nourrir. Insatisfait, il retourne chez son père, un ancien bijoutier avare, qu'il n'a pas vu depuis 10 ans : un père qui n'a aucun sentiment ou intéret quelconque pour son fils...

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Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782374639086
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’œuvre de mort
 
 
Maurice Leblanc
 
 
Mai 2021
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-908-6
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 907
PREMIÈRE PARTIE
 
I
 
Au bruit des pas et dès les premiers mots échangés dans la pièce voisine, Marc Hélienne s’aperçut que toute retraite lui était coupée. Sauf la porte de communication, nulle issue ne l’autorisait à sortir.
Un geste de colère l’apaisa. D’ailleurs la moindre imprudence l’eût trahi, ce à quoi il ne voulait point se risquer. Il resterait donc immobile jusqu’à ce que cessât l’odieux emprisonnement auquel sa maîtresse le condamnait.
Aussitôt il lui sembla que quelque chose s’arrêtait brusquement en lui et autour de lui. Bien des fois, depuis Le jour où dix ans auparavant il refusait de suivre son père en Normandie, Marc Hélienne avait deviné que sa vie s’en allait d’un mouvement égal vers un horizon indistinct. Il se refusait à toute velléité d’examen et fermait les yeux devant les paysages nouveaux. Mais il éprouvait, précise et douloureuse, la sensation d’une descente continue.
Et soudain cette chute s’interrompait.
Le cours des faits et des actes aboutissait là, entre les quatre murs de sa prison. Il se retrouvait lié de tous les membres, incapable de bouger. De tels cas émeuvent le cerveau, et l’on réfléchit malgré soi. Il s’y disposait quand une vive souffrance lui brûla l’estomac. Il avait faim. Cela le fit rire. Il se dit :
–  Je ne manque ni d’intelligence, ni d’instruction, ni d’adresse. Mais depuis trente heures, je manque de pain. C’est assez comique.
Comment les événements l’avaient-ils amené à cette extrémité, il ne le savait pas trop ; encore moins comment il avait pu consentir à ce que Juliette s’en allât à la recherche d’un homme, et comment elle osait s’enfermer avec cet homme dans la chambre contiguë :
–  J’ai faim, et ma maîtresse se prostitue pour que je n’aie plus faim ; voilà le résultat de dix années.
Dix années de lutte ! Il ne se souciait point d’en évoquer les détails, mais elles lui apparaissaient comme une époque de combats farouches et de tentatives opiniâtres. Il gardait cette courbature qu’inflige un fardeau trop pesant. C’eût été bon de se redresser et d’aspirer librement de l’air pur.
Combien différait son entrée en campagne, lorsqu’il s’installait à Paris dans une mansarde, seul logis propre à ceux qui ont résolu de conquérir la capitale ! Tout lui souriait. Il possédait quelques centaines de francs, de nobles rêves et une ambition convenable. Durant dix mois, la tête hors de sa lucarne, il ruminait des plans. Sous ses yeux s’étendait la grande ville, ce qu’il appelait son champ de bataille, en réalité une douzaine de toits et un horizon de cheminées. Il les contemplait orgueilleuse ment, comme des choses à lui. La victoire était certaine. Mais par quels moyens la gagner ?
Il oscillait alors entre diverses vocations. Serait-il écrivain ? métier sublime ! l’écrivain triture l’esprit d’autrui, sème les idées fécondes et plaît aux femmes. Orateur ? quelle force ! entraîner les masses vers un but qu’elles ignorent, et que soi-même on ne connaît point. Avocat ? Pourquoi non ? l’exercice est plaisant de défendre le coupable et d’accuser l’innocent.
Il subit l’affre de l’hésitation.
Le sort l’en délivra. Ses derniers sous dépensés, Hélienne s’avisa que le devoir le plus impérieux de l’homme consiste à se nourrir, et ce devoir dont l’accomplissement est quotidien lui enjoignit d’ajourner ses prétentions et d’accepter les moindres besognes. Il les accepta.
Les rudes épreuves commençaient. Elles furent brutales et le débarrassèrent, comme de vêtements importuns, de toute délicatesse et de toute dignité. Au bout de quatre ans il était à nu, sans plus de ces petites honnêtetés qui amortissent le premier choc des tentations. Il lui restait, suprême soutien, l’ambition respectable de manger à son appétit.
il s’accrocha donc à tous les métiers, moins avec l’espoir d’y réussir et de se cantonner dans une spécialité qu’avec l’acharnement d’un ventre vide. Son cerveau fut chargé de subvenir aux exigences de son estomac.
Tout ce passé, en somme, lui représentait une infinie succession de repas douteux. Chaque matin, le problème revenait aussi angoissant. Et il arriva parfois que Marc ne put le résoudre.
–  Est-ce bête, murmura-t-il, éprouvant un tiraillement douloureux, est-ce bête d’avoir faim !
Il ne comprenait pas que cela eût été ni que cela fût encore. La chose lui semblait, incroyable et un peu absurde même. À ses yeux, le mal de la faim était l’apanage exclusif des indigents, des pauvres bougres qui grelottent sous leurs haillons et demandent l’aumône. Mais qu’un monsieur, pourvu de diplômes et paré d’une redingote, en fût réduit à cette extrémité, le fait était anormal, à la fois monstrueux et comique, en tout cas fort injuste.
Des années se prolongea cette chasse au morceau de pain. Il s’y livrait en brute, sans révolte pourtant, soutenu par la certitude secrète qu’il échapperait un jour à la misère. Un événement surgirait, libérateur, un miracle au besoin. Le présent n’était qu’un cauchemar.
La vision fugitive de ce bonheur l’apaisait. Il ne souhaitait que de se conserver en vue d’une époque plus clémente. Mais il ne voulait point réfléchir. La méditation est aux infortunés une conseillère funeste. N’avait-il pas remarqué que toutes ses songeries s’enchaînaient en raisonnements malsains, pour aboutir presque toujours à la même conclusion, l’idée du vol ?
Donc il ne fallait pas songer, et par peur d’un isolement qui l’y eût contraint, il se munissait de la première femme venue. Il eut des maîtresses à la semaine et au mois. Elles l’abandonnaient. Il en ramassait d’autres. Leur niveau baissa, ses dégoûts aussi. Un jour une fille de rue, Juliette, s’amourachait de lui. Il vécut chez elle. Aujourd’hui, elle se prostituait.
Ainsi qu’un somnambule qui se réveillerait hors de son logis, Hélienne s’étonna de se trouver en une telle situation. De menues faiblesses l’y avaient insensiblement amené, et les transitions d’un acte à l’autre étaient si imperceptibles qu’il n’avait pas remarqué l’infamie croissante de ces actes. Le premier provoquait le second, qui lui-même en nécessitait un troisième. Le dernier valait-il qu’on s’émût davantage ?
Par ce motif que nos sens s’affectent souvent à notre insu, on reste auprès d’une lampe qui file ou d’une charogne décomposée, sans qu’il en résulte d’autre sensation qu’un malaise indéfinissable. Et ce n’est que tout à coup, en voyant la fumée ou la bête morte, que nous sentons la vilaine odeur. De même Marc, sans que sa conscience en fût nettement avertie, avait vécu de façon malpropre. Maintenant qu’il s’en rendait compte, il en souffrait.
C’était un écœurement. L’aspect subit de sa vie, en dehors de tout jugement et de toute théorie banale, lui donnait des nausées. Cette impression devint si pénible qu’il articula :
–  Il faut que ça finisse, il le faut.
Et il fallait aussi qu’il sortît de cette chambre. Son impétueux désir de changer d’existence se confondait avec le besoin immédiat de rompre son stupide emprisonnement. Sa lâcheté l’avait déposé là en une sorte de fosse où il était privé d’air et de lumière, entouré de choses sales, réduit au froid et à la faim. S’en évader, ne serait-ce pas reprendre sa place au soleil, manger selon son appétit, se vêtir selon la saison, respirer selon le vœu de ses poumons ?
Il ne le pouvait pas. Les mêmes obstacles s’opposaient à ce qu’il se délivrât. de sa vie abominable et à ce qu’il franchît le seuil de cette pièce. Son passé de hontes lui barrait le chemin du bonheur, comme l’homme, à côté, lui interdisait la fuite. Et peu à peu, en son égarement, ces deux obstacles n’en formaient plus qu’un, t

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