La géométrie du temps
78 pages
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La géométrie du temps , livre ebook

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Description

Un cri.
Un cri de douleur animale, inhumaine. Un second cri. Un troisième. Puis, le silence. Là, sous les arbres, un soir tranquille au jardin du Palais-Royal. Il s’y précipite, une bague roule à ses pieds dans la pénombre déserte. Il la glisse au petit doigt.
Il vient de sceller un pacte qu’il ne pourra plus rompre. À jamais.
Et si les âmes errantes n’étaient pas des fantômes ?
Être ou ne pas être ? Être et ne pas être…
Amour dure sans fin.

Informations

Publié par
Nombre de lectures 1
EAN13 9782374533216
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0015€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Présentation
Un cri.
Un cri de douleur animale, inhumaine. Un second cri. Un troisième. Puis, le silence. Là, sous les arbres, un soir tranquille au jardin du Palais-Royal. Il s’y précipite, une bague roule à ses pieds dans la pénombre déserte. Il la glisse au petit doigt.
Il vient de sceller un pacte qu’il ne pourra plus rompre. À jamais.
Et si les âmes errantes n’étaient pas des fantômes ?
Être ou ne pas être ? Être et ne pas être…
Amour dure sans fin.
Freddy Woets
La géométrie du Temps
Les Éditions du 38
À David, mon fils.
Le temps scintille et le songe est savoir . Paul Valéry

Only through time time is conque red. T.S. Eliot
7 octobre
L’hiver dernier, il y avait une énorme boule de neige en face du banc. On sentait les petites mains qui l’avaient faite et leur joie. Elle était là, abandonnée, toute pétrie encore de bonheur et de cris. Ce soir d’octobre, en regardant le gravier, je me demande où sont passés ses atomes. Ils sont quelque part pour des milliards d’années encore. Nous sommes mortels, faits d’une matière immortelle. Ça laisse à penser, heureux comme une boule de neige.
Le jardin est désert, les bancs vides comme j’aime quand je viens m’asseoir ici, le soir, la nuit, au Palais-Royal. Toujours au même endroit, sur le même banc. S’il fait encore jour, je regarde le ciel tombant. S’il fait nuit, je regarde les plantes, les haies en buis, les arbustes faiblement éclairés. L’impression d’être dans une histoire ancienne, aux mots murmurés de patine et de bronze assoupi. Alors, je suis heureux.
Un cri.
Un cri de douleur animale, inhumaine. Un second cri. Un troisième. Puis, le silence. Là, sous les arbres. Le silence de l’obscurité et des feuilles qui frissonnent. Rien. Personne ne court, personne ne fuit. Quelqu’un est tombé dans une souffrance sans nom. Vivant ? Mort ?
Je me lance sous les arbres, dans le noir. La lumière de la galerie, derrière ses grilles, frôle faiblement le sol de tronc en tronc. Il n’y a personne. Pas de blessé, pas de corps. Aucun passant non plus. Je vais jusqu’au bout du jardin, fais demi-tour. Il n’y avait qu’un cri. Poussé trois fois. Avant de… Quoi ? C’était une blague. Des gamins. Plus envie de retourner sur mon banc. Fini, fichu. Essoufflé. Je shoote distraitement dans le gravier. Quelque chose roule et scintille et roule et scintille vers la lumière de la galerie. Éclats d’or, petits feux de soleil. Une bague. Une pierre jaune, rectangulaire, bordée de quatre pétales discrets, finement ouvragés, montée sur or. Pas une griffure. Je la glisse au petit doigt de ma main droite et mets la main en poche. Je presse le pas dans la galerie, sans courir. Courir ferait voleur. Rue de Montpensier, place Colette, les voitures, les feux, les gens. Je ne me retourne pas jusqu’aux Tuileries. Je la veux.
Elle enserre mon petit doigt, doucement silencieuse. Je la frôle du pouce, au fond de ma poche, la fais légèrement tourner. Une chaleur délicate me répond. Un pacte se noue.
Je m’appuie contre le parapet du Pont-Royal pour la regarder. Une topaze, une citrine ? Ovale d’octobre, sur or sombre, finesse de la brume. Je l’ôte, l’inspecte. Un atome d’automne sous les étoiles, Pont-Royal. Et si je la jetais dans la Seine ? Un geste, l’oubli. Et si je me jetais dans la Seine ? Un bond, l’oubli. Pensée idiote, défense animale. L’inconnu. Pointe d’angoisse, silence clouté du pont désert. Les feux passent du rouge au vert pour aucune voiture. Je la reglisse à mon doigt. Maintenant, elle me protège. Je sais qu’elle me protège. Qui la portait avant moi ? Quelqu’un qui n’aurait jamais dû la perdre. Sans doute est-ce pour ça qu’elle a crié ? La femme qui l’a perdue… Elle a brisé un pacte ; je le renoue. Si je la perdais dans le noir, le cri me monterait-il ?
Derrière la muraille et ses arbres, le long de la route déserte et de la Seine, les Tuileries sont encloses de leurs grilles. Aucun regard pour les statues si ce n’est les étoiles ; seuls, les arbres et les allées, les reflets incisifs dans les pièces d’eau, un souffle quelque part et les feuilles tombées. Le mystère est comme cette eau très froide, bien plus froide que le gel et qui ne gèle pas, immobile. Il suffit alors d’une poussière et tout se glace. Il suffit d’une feuille qui roule, d’un souffle qu’aucune oreille ne puisse entendre, aucun corps sentir, derrière la muraille et ses arbres, aux Tuileries encloses… Le parapet du pont est rugueux, solide, dans la nuit fractale.
11 octobre
Aujourd’hui, je viens lui rendre visite. L’infirmière me dit qu’il a passé une nuit calme. C’est ce qu’elle dit à chaque fois : « Il a passé une nuit calme. » et chaque fois je réponds : « C‘est bien ! » Je frappe discrètement à la porte, j’attends le temps d’un souffle avant d’entrer. Il est assis dans un fauteuil près de la fenêtre. Il porte une robe de chambre en velours fané, un jeans, un T-shirt. Ses cheveux ras sont comme le givre. Un livre fermé est posé sur ses genoux. Le même, relié de cuir rouge. Doré sur tranche.
Je prends le siège en face du sien et j’attends en silence. Lui, les yeux perdus au loin, ne dit pas un mot, monologue parfois. C’est un magicien et j’ai huit ans. C’est un génie, je suis un apprenti. C’est une statue, je suis un oiseau… Son discours est celui d’un magicien, d’un génie, d’une statue. J’apprends comme un oiseau de huit ans. Je ne puis le définir autrement.
Je viens une, deux fois par semaine, une fois par mois, je peux sauter une saison, mais je viens. C’est plus fort. Masochisme ? Culpabilité ? Expiation d’une qualité exceptionnelle dans un monde conforme ? Je vis avec une théorie mathématique sans aucun rapport avec les mathématiques autorisées ; j’y travaille depuis dix ans. Ma qualité exceptionnelle.
C’est un immense mathématicien ; un génie devenu fou, un matin d’avril. Je l’ai appris par hasard sur le Net. Au début, je ne pensais pas lui rendre visite. Pourquoi viens-je le voir ? Sans doute par instinct. La seule présence de ce mathématicien formidable m’inspire des idées, engendre des intuitions. Le chemin le plus court d’un esprit à un autre n’est jamais la ligne droite. Il ne s’agit pas d’égoïsme. Nous ne sommes que d’humbles serviteurs d’un art qui nous dépasse. Fut-il dépassé ? Ou la lumière fut telle qu’elle fut insupportable ? J’ai étudié attentivement son travail. Il est évident qu’il était sur le point d’une découverte.
Je croise les doigts, la lumière joue sur la pierre de la bague. La fenêtre donne sur des branches d’arbre et l’or d’octobre. La grande cour, les bâtiments en face. Il regarde toujours dans la même direction. Le même point ? Quel détail focalise son esprit ? Il m’est arrivé une fois de me lever, de me mettre derrière lui pour regarder ce qu’il regarde. Les branches, les feuilles, les bâtiments en face. Attend-il qu’un oiseau se pose, qu’une feuille tombe, qu’une fenêtre s’ouvre ou se ferme ? Quelle importance ? Pourquoi vouloir expliquer ? Un peu d’angoisse. Rien à voir avec les mathématiques. Encore que. Les mathématiques très poussées, les miennes, les siennes, ne naissent-elles pas de l’angoisse ? Des milliers de questions révèlent certaines traces, quelques traces sur des milliers de chemins. On ne saura jamais !
Hominidés vivants, singes migrateurs.
L’homme assis en face de moi, cet homme au génie inouï, est devenu fou un matin d’avril.
Le mystère est comme cette eau très froide, bien plus froide que le gel et qui ne gèle pas, immobile. Il suffit alors d’une poussière et tout se glace. Quelques symboles…

– Ce n’est ni une topaze ni une citrine, dit-il sans quitter la fenêtre des yeux.
Hein ?
– Il s’agit d’un corps cristallin dont les propriétés de diffraction sont particulières. Ne me demandez pas son nom, je l’ignore, poursuit-il du même ton calme, détaché.
– Mais… comment ?
– Mon cher ami, ça se voit !
Je fais jouer la pierre dans la lumière, lève la main à la fenêtre ; elle est l’or des feuilles.
– L’or des feuilles et pourtant la sève s’endort. Ne trouvez-vous pas ça remarquable, cher ami ? Tout cet or avant ce long sommeil. Les arbres paient généreusement leur chambre pour l’hiver !
– Tout se paie, m’entends-je répondre.
– En effet. Tout se paie.
Son regard se perd au loin. Je sais qu’il ne dira plus un mot.
11 octobre au soir
Les feuilles tremblent, se taisent, tremblent… La lune immobile bouge si peu, mais bouge et bougeant, enfante une brise ; les feuilles tremblent, se taisent, tremblent… Elles étaient vert violacé, maintenant, elles sont nuit, la lune claironne. Je la regarde, elle est éblouissante sur le jardin englouti. Le contraste est parfait. Je sors la loupe d’horloger, la fiche à mon œil droit, offre la bague à la lumière. Les rayons lunaires la traversent et se brisent en angles inattendus et précis, la pénètrent en profondeur, me reviennent d’or vert, de mer oubliée, d’Ys. Dans le jardin, la lune déplie sa

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