La Martinique est à nous ou un difficile équilibre
88 pages
Français

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La Martinique est à nous ou un difficile équilibre , livre ebook

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Description

Le 5 février 2009, un mouvement social prend naissance à la Martinique, faisant suite à celui déjà initié à la Guadeloupe en janvier de la même année. Après l’enthousiasme suscité de cette impressionnante adhésion populaire, on finit par noter de stupéfiantes antinomies dans le fonctionnement de ceux qui clament que la "Martinique est à eux".
Colette Césaire tente d'analyser, à travers cet ouvrage, ce qu'elle appelle le "paradoxe martiniquais".

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 07 novembre 2013
Nombre de lectures 1
EAN13 9782332560124
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-56010-0

© Edilivre, 2014
 
 
Guadeloupe, janvier 2009
Le souffle tiède des alizés effleure la cime des cocotiers et les suaves rayons du soleil naissant caressent la crête des vaguelettes agitant une mer turquoise, présage d’une journée idyllique. Mais cette promesse ne sera pas tenue. La révolte couve derrière ce tableau bucolique, et la nouvelle tombe comme un coco sec sur la tête d’un macaque, le laissant à moitié hébété. La colossale grève dont chacun se faisait déjà l’écho a fini par montrer son spectre hideux aux nantis et sa face d’apollon aux revendicateurs. Promoteurs et détracteurs de cette grève se sont mis d’accord sur une seule chose, c’est que ce mois de janvier 2009 ne serait pas un mois où l’on ne s’échangerait que des vœux, mais également et surtout une ritournelle de vocables les plus salaces et outrageants.
Une grève épineuse éclate en Guadeloupe, enfantant de multiples exigences et entraînant une adhésion populaire impressionnante. Le plus grand nombre réclame une baisse des prix, une augmentation du pouvoir d’achat, une meilleure répartition des richesses. De véritables marées humaines envahissent les rues. Une énorme bête cramoisie, virulente en paroles et en gestuelle, déroule son corps rouge vif dans tous les coins et recoins des communes en effervescence. Les hypermarchés sont interdits d’ouverture, les stations d’essence sont prises d’assaut et la débrouillardise refait surface, l’entraide remontre le bout de son nez. Ce vent de solidarité qui s’était raréfié semble vouloir souffler à nouveau. Ce n’est pas encore le mistral qui balaie tout sur son passage : rancœur, désagréments, discorde, mais un alizé, une brise légère qui fait que le voisin partage à nouveau un régime de bananes, deux patates douces, une tête de laitue rabougrie, un peu d’huile pour agrémenter l’ordinaire. Je suis plus attentive à ce mouvement que je ne l’ai jamais été. Je prends un plaisir non dissimulé à voir mes frères guadeloupéens se tourner à nouveau vers la nourriture si longtemps négligée : fruit à pain, patate, igname et toutes espèces de choux refont surface.
Le ti-nain est élevé au rang de la gastronomie locale, on décerne au fruit à pain la palme du légume le plus goûteux. Les papilles longtemps atrophiées, et désormais moribondes, ont droit à la thérapie du « manger local » et sortent enfin du coma. Je jubile car ce retour aux sources vient satisfaire mes aspirations chimériques. Ces velléités de dépendance mutuelle me plaisent, elles correspondent à ma vision sociétale. À la moindre occasion, j’interpelle mes amis sur mon utopie.
 
1
Je me plais à rêver d’une société dans laquelle le partage des richesses serait équitable, le travail rémunéré à sa juste valeur, la redistribution des biens spoliés conclue sans entraves.
Oui, je me sens guadeloupéenne parce que je suis nostalgique d’une époque où la solidarité n’était pas un vain mot. Mais, je suis souvent contrariée dans mes envolées lyriques par des « il faut vivre avec son temps…, les femmes n’ont plus le temps de cuisiner comme avant…, de toute façon, tout est empoisonné… si dans ta jeunesse tu avais trouvé les MD, BK, KF…, tu en aurais profité également. » Certains n’hésitent pas à qualifier mon idéologie de rebattue, de désuète, de surannée… Je reconnais parfois la justesse des arguments avancés, mais je persiste car je crois que mon temps est venu ! Lors d’une de ces conversations passionnées et passionnantes, je suis à bout d’arguments lorsque mes amis m’interpellent sur le chant au travers duquel le peuple semble communier : «  la Gwadloup se ta nou, la Gwadloup se pa ta yo, yo péké fait sa yo lé a dan ti péi an nou  » (la Guadeloupe est nous, elle ne leur appartient pas, ils ne feront pas ce qu’ils veulent chez nous). Qui sont ces « yo » et qui sont ces « nous », me demandent-ils ? Ne perçois-tu pas un léger parfum de xénophobie ? Je suis une chrétienne convaincue et je crois que la terre et ce qu’elle contient appartiennent à Dieu. En outre, je ne sais pas bien identifier ce « yo » car il a une multitude de résonances pour moi. Mon « yo » n’est peut-être pas le même que le leur ; mais si c’est l’un de ceux qui me viennent tout de suite à l’esprit, je crois avoir dépassé cette opposition ridicule entre nous et « yo ». Je n’ai jamais permis à mon histoire d’entraver mon avenir. Cependant, je reste bouche bée, car, j’ai à maintes reprises tenté de détourner l’oreille pour ne pas entendre cette entraînante mélopée, mais bizarrement, elle susurre des paroles trop audibles, elle résonne en moi, elle m’envahit, elle m’oppresse, elle chemine à travers tout mon corps, elle trouve en moi un écho que je tente de réprimer. Je voudrais que les radios ne la diffusent plus et que les télévisions ne la relaient plus. Mais elle est partout, insidieuse, pénétrante «  la Gwadloup se ta nou, la Gwadloup se pa ta yo, yo péké fait sa yo lé a dan ti péi an nou  » plus je me fais violence et plus elle enfle, nourrie par je ne sais quelle sève ancestrale.
2
Je me dois de la dompter, de renforcer sa surveillance comme on ferait avec une bête sauvage, longtemps enfermée, qui, si elle s’échappe, risque de tout détruire sur son passage. Mais, elle est puissante, lancinante, envoûtante, prête à déferler comme de grosses eaux longtemps retenues par une digue. Non la digue ne doit pas se rompre, alors, je la fortifie avec tout ce que je trouve sur mon chemin : les sacs remplis de concept de fraternité, les grosses pierres de la culture, du partage, du vivre ensemble, mais rien n’y fait. Cette dichotomie me rend hypocrite face aux autres. Au détour de mes échanges avec eux, je clame haut et fort ma désapprobation quant à la connotation que je crois percevoir à travers ce chant, tandis qu’à l’intérieur, je crie à tue-tête «  oui, Gwadloup se ta nou  ». Voilà que je m’identifie à eux, que je fais corps avec eux, que je fais miennes leurs revendications, que je partage l’idée selon laquelle il y a une véritable injustice sociale et que certains travailleront toute leur vie uniquement pour payer des factures, sans jamais réellement jouir du labeur de leurs mains.
Le mouvement n’a pas encore gagné la Martinique, mais les paris vont bon train. Certains spéculent sur cette éventualité, d’autres sur la durée d’un tel mouvement chez nous, d’autres encore sur l’adhésion populaire, car paraît-il, les Martiniquais seraient moins solidaires, plus égocentriques, lâches, chacun enclin à défendre ses propres intérêts. Je souris ironiquement à ce qui me semble être de la psychologie à bon marché. Pourtant, plus la rumeur d’une grève similaire à celle de la Guadeloupe enfle, plus je ressens comme une effervescence psychotique. Des raz de marée sur pieds assiègent déjà les supermarchés pourtant accusés d’être les profiteurs, y font des razzias quotidiennes. La peur de manquer tenaille, affole, rend hagards. Les yeux exorbités, les pousseurs de chariots se croisent sans se voir, aveugles et sourds, ils dévalisent les rayons sans un regard pour le consommateur suivant. Les produits jouent aux équilibristes au sommet des chariots, car stocker à tout prix est devenu le maître mot et pour stocker il est nécessaire d’avoir du volume.
 
3
Je suis tout à coup plongée dans une réalité qui m’effraie. Tant que cela se passait en Guadeloupe, je pouvais commenter, analyser, prendre du recul, me donner l’impression d’être un observateur pertinent, mais maintenant que c’est à ma porte je n’y comprends plus rien. Une foule de questions se bousculent dans ma tête : et si nous ne pouvions plus accéder aux grandes surfaces ? Et si nous ne pouvions plus nous rendre dans les stations d’essence ? Si le pain venait à manquer ? Si les produits transformés ne pouvaient plus nous parvenir, si nous ne pouvions plus pratiquer notre exercice physique favori qui consiste à allonger les bras jusqu’à ces rayonnages bien garnis auxquels nous étions habitués, garderions-nous encore notre dignité d’homme ? Le partage et le respect de l’autre seraient-ils encore des valeurs fondatrices de notre société ? Serions-nous capables de faire preuve de suffisamment d’ingéniosité pour trouver à nous nourrir autrement, à consommer différemment ? Et si…, si… si.
Mon questionnement ne va pas rester longtemps sans réponse. La grève nous touche de plein fouet. Les syndicalistes avertissent : les profiteurs vont devoir rendre des comptes. Les grandes surfaces sont sommées de baisser rideaux, les stations d’essence sont rationnées, les radios sont assaillies par des auditeurs anxieux qui réclament que l’information soit continue : « Dites-nous où nous pourrons acheter à manger, dites-nous où nous pourrons nous approvisionner en essence, dites-nous combien de temps va durer cette grève, dites-nous…, dites-nous, dites-nous… finalement, dites-nous si nous ne mourrons pas de faim… Les animateurs radio sont érigés en devins, en “ gadé safè ” » (voyants) et puisque même par temps de crise, la bataille de l’Audimat continue à faire rage, ils rivalisent d’astuces pour être les premiers à dénicher et à diffuser l’adresse de la petite boutique de campagne. « Allez à Dupré au Marin chercher un litre de lait, descendez au Macouba pour le pain, ensuite filez à Ravine Touza à Fort de France prendre les concombres, puis quand vous rentrerez chez vous au Vauclin, vous prendrez des œufs sur le bord de la route. La “ drive ”, cette balade sans but précis, pourrait prêter à sourire, si l’angoisse n’était aussi palpable chez les auditeurs. »
4
Le relais est désormais assuré par les petites boutiques de campagne. Ah, parlons de ces fameuses petites boutiques, ces fameux ex-débi

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