La Raison Subreptice
288 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

La Raison Subreptice , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
288 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Ce récit est une histoire vécue, de 1987 à 2002. C’est celle de mon fils, atteint de schizophrénie, et décédé à l’âge de 33 ans après 3 séjours en milieu psychiatrique, un maintien de 13 ans en milieu dit «normal» impliquant l’intervention quotidienne de ses parents, avec tout ce que cette maladie comporte de soins, de sacrifices librement consentis, de violences fréquentes.
Malgré tout cela il a dû être hospitalisé d’office en octobre 2001 et s’est donné la mort en avril 2002, soit 6 mois après, au cours d’une permission.
Tous ces faits sont réels. Les noms des lieux et des intervenants, seuls ont été changés.
Cette maladie est méconnue du grand public, car elle est de celles auxquelles on ne pense pas pour ses propres enfants. Elle n’est nullement médiatisée. Pourtant 500 000 personnes sont atteintes en France par ce mal qui reste mystérieux et fait voler en éclats, nombre de cellules familiales.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 07 novembre 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782332642844
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-64282-0

© Edilivre, 2014
Avant-propos
Ce récit n’est pas une fiction. C’est la relation d’une longue tranche de vie très douloureuse, vécue de 1987 à 2002, par ma famille, impitoyablement broyée et dispersée par la maladie qui a frappé le cadet de la fratrie : la schizophrénie.
Ce mot qui épouvante cache une pathologie dont le mécanisme est encore largement incompris. Il est donc d’autant plus difficile de lui faire face.
Le texte qui suit n’est pas une interminable lamentation, pas plus qu’un long cri de douleur, destiné à solliciter une compassion tardive et inutile. C’est le simple témoignage d’un père qui a vécu pendant quinze ans, à l’intérieur de la maladie.
La maladie resserre généralement les liens familiaux car on connaît le visage de l’ennemi. La schizophrénie éloigne, sépare les groupes les plus unis, tant ses visages sont divers, imprévisibles, effrayants parfois à l’extrême, les moyens de la combattre, d’y faire face, dérisoires, et sans aucun doute, quelques-uns, d’un autre temps.
Peu de gens résistent à la violence qu’elle génère. Seul l’amour pour le malade, une affection illimitée, permettent de tenir debout, jour après jour, parce que c’est l’enfant qu’on a vu naître, s’épanouir durant des années. Dès le début de la maladie, s’inscrit peu à peu en soi, le mot « FIN » Et en fait c’est l’horreur qui s’écrit, interminablement, jour après jour, car il n’y a rien de plus atroce que de voir, peu à peu, dépérir un être cher sur une durée aussi longue.
Ce récit est indubitablement celui d’un échec familial. Mais c’est aussi le constat d’une grande impuissance de la médecine psychiatrique et de son inefficacité.
Le temps a atténué ma rancœur envers elle, mais ma douleur reste entière, comme celle de tout parent qui voit partir son enfant.
Des centaines de milliers de familles sont confrontées à cet ennemi invincible, et subissent, impuissants, dans l’indifférence quasi générale, dans leur chair et leur esprit, l’inéluctable déchéance de l’être cher qui est frappé.
En France on estime à plus de 500 000 le nombre de malades que leurs parents, leurs proches, voient déchoir jour après jour, devant leur affection impuissante.
Le mot qui tue
Une infirmière en blouse blanche, suit à distance respectueuse, le médecin vêtu d’un jean et d’une chemisette bleue. Il n’a nul besoin d’une tenue particulière pour souligner l’importance de sa fonction, et ne semble pas soucieux d’une recherche vestimentaire. Il est jeune, grand, brun, la démarche vive et assurée.
Il règne sur un peuple de malades, sûr de sa raison supérieure que les raisons chancelantes qu’il côtoie, ne font que confirmer et mettre en évidence.
Qui oserait lui contester son pouvoir dans cet asile d’humiliés à la porte duquel toute espérance s’appauvrit ?
Les diplômes lui ont donné une apparente supériorité, un maintien adapté à sa situation, un certificat de compétence inscrite sur parchemin.
Franck n’est hospitalisé que depuis trois jours. J’hésite. Dois-je dire incarcéré ? C’est ainsi que je le ressens. Triste exagération stupide de mon esprit déjà écrasé !
La dame en blanc serre précieusement contre sa poitrine un dossier vert encore peu volumineux : ce sera, je n’en doute pas un instant, la couleur de la désespérance.
Tout à l’heure, mon âme s’est teintée de gris en découvrant ces murs faussement accueillants, ces pelouses rasées de frais, tout ce parc exagérément soigné !
Tout voudrait nous inciter à entrer, mais tout en moi se refuse à franchir la porte du désespoir.
Mais il n’importe déjà plus : j’emporte avec moi ma prison sans barreaux. Les beautés me sont devenues étrangères et les oiseaux de ce printemps sordide ne chantent que des notes funèbres.
DIEU ! S’il te plaît, existe ! Redonne un peu de lumière aux choses et à nos esprits !
Un geste de la main nous invite à nous asseoir : nous descendons un peu plus. Le psychiatre croise ses mains soignées et raffinées sur son bureau. Calme, maître de lui, il veut donner l’impression d’un équilibre et d’une stabilité absolus face à nos deux détresses qu’un maigre souffle finirait de jeter à bas. En nous fixant impitoyablement, sans ambages, sans qu’une phrase ait été formulée ni par lui, ni par nous, comme s’il voulait nous mettre d’emblée à sa merci, il nous lance un mot-projectile : schizophrénie !
Le froid descend en moi. Tout mon corps se pétrifie et devient une interminable attente, alors que le temps s’arrête. La stupeur nous assomme et nous réduit au silence. Je voudrais protester, me révolter, m’agripper à quelque chose.
C’est comme une trombe d’eau, venue de nulle part, qui me submerge, me ballote, me noie. Les mots demeurent en moi. A cet instant je pénètre dans l’horreur, la mort, la jalousie, la solitude : je ne partagerai plus rien avec personne.
– Mais Docteur, pourquoi a-t-il… ?
– Ce n’est qu’un début ! Vous n’avez pas fini d’en voir. Vous me trouvez peut-être dur, mais je n’aime pas dissimuler la vérité.
Et l’espoir en des lendemains meilleurs qui brilleront peut-être ? Qui t’autorise à le voler, à le broyer ? Crois-tu que je ne me nourrisse que de souvenirs ? Et sais-tu la place ignoble que tu viens d’y prendre ? Dieu ! Donne-nous un peu d’avenir !
Au temps lointain de la lumière.
Allegro ! C’est l’hiver. Blancheur et soleil ! Au pied des sapins majestueux d’Auvergne, Franck dévale la pente sur une luge rouge. Il a quatre ans, des promesses de bonheur plein la tête. Sur une bosse, la luge se retourne. Le petit corps emmitouflé roule en soulevant un fin nuage blanc, étincelles de joie que le soleil allume. Mais ce qui brille le plus, c’est son rire aux cent mille perles que j’ai serré sans le savoir dans mon cœur.
J’ai bien fait car son rire s’est éteint.
Dans les murs
La consultation est terminée. Les dernières paroles n’ont été que des murmures et n’ont pas pénétré en moi. Le médecin se lève, satisfait, dominateur. Je ressens une sorte de haine, injustifiée, sans doute passagère. L’infirmière, empressée, servile, ouvre la porte, s’efface, sourire de convenance un peu figé que j’ai envie d’écraser sur son visage trop sain.
Nous franchissons des portes fermées à clé. Ici, la raison insolite, atypique, ne peut pénétrer partout. Certains lieux lui sont interdits, d’autres lui sont réservés, où elle doit se contenter de laisser errer ses fantasmes entre gens de mauvaise compagnie, dans ce champ clos de souffrances que les paroles n’apaisent pas.
L’infirmière nous précède. Le Grand Patron a pris congé, avec une vague compassion professionnelle. Il s’est débarrassé de son terrifiant message, satisfait de la réponse qu’il a lue dans nos yeux effarés. Nous sortons de son territoire où tous les bruits sont feutrés et poursuivons ce qui est devenu une sorte d’errance somnambulique, le long de couloirs sombres au bout desquels j’ai conscience que je ne retrouverai nulle lumière.
Une porte à deux battants se dresse devant nous. Il me semble qu’elle s’est ouverte d’elle-même, pour nous inviter à contempler ce que désormais nous devons faire nôtre et qui fera partie de notre détresse.
Une odeur de graillon me saisit à la gorge et m’informe que nous sommes dans un réfectoire qu’une voix, près de moi, appelle Salle à Manger.
Les mots, ici prennent une autre signification et se teintent de cauchemar. Mes yeux restent obstinément baissés et je voudrais que mon regard transforme tout, avant même d’avoir rien vu.
Un réflexe informatif me contraint enfin à regarder. Une cinquantaine de silhouettes, en majorité jeunes, offrent à mon regard incrédule une effrayante palette de comportements stupéfiants.
Une très belle jeune fille tourne, sur une musique inaudible, les mains sur les yeux, une affolante danse macabre. Je voudrais pouvoir déverser sur elle un torrent de tendresse pour apaiser cette souffrance.
Quelle puissance, quel hasard, quelle malédiction, quelle arme, a infligé à son esprit cette mortelle blessure ?
Partout, des regards fixes, sans lumière, contemplent un monde invisible pour y chercher, peut-être l’amour, la rémission dans une muette et déchirante prière.
Qui peut leur donner l’apaisement ?
D’autres bustes, effondrés sur les tables, absorbent voracement, sans lever la tête, sans autre préoccupation, une nourriture invisible, jalousement cachée entre leurs bras et leur buste, comme pour protéger d’éventuels prédateurs, une ration de survie. D’autres silhouettes vagues et indécises décrivent avec leurs bras, dans l’espace, d’interminables arabesques, effrayante expression corporelle dirigée par on ne sait quel infernal Maître de Ballet emprisonné dans ces corps torturés.
Mais ce qui frappe le plus, ce sont les multiples tremblements, divers, interminables, incessants. Et puis est-il nécessaire de chercher le mot juste pour ce qui ne se décrit pas ? Des mains tremblent, des cuisses s’agitent, à des rythmes incroyables, des têtes vont et viennent, d’avant en arrière, ou de haut en bas, comme celles de pantins disloqués. Et tout se passe dans une indifférence totale et irréelle. Ici, chacun se suffit de sa propre souffrance et celle des autres n’est qu’un vague décor mobile, habituel, dans un endroit ordinaire. D’ailleurs, chacun perçoit-il les êtres et les choses qui l’entourent ?
Nous sommes invités à partager la collation, mais toutes mes fonctions sont bloquées. Probablement, quelque part en moi, trouverai-je inconvenant et incongru de m’occuper de nourriture, de m’occuper de moi, tout simplement.
Notre fils ne nous regarde pas. A cette heure, nous avons pour lui, perdu toute existence. Son regard est noir et fixe, perdu dans un ailleurs où je ne le rejoins pas. Il me semble

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents