La Sublime Porte
252 pages
Français

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La Sublime Porte , livre ebook

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Description

Le bateau approchait de Constantinople. Vicenzo se précipita sur le pont pour ne rien perdre de la vue. Le capitaine, lors de la traversée, lui avait tant vanté ce spectacle, qu’il attendait impatiemment ce moment depuis plusieurs jours. Il était abasourdi par la beauté du paysage. Compte tenu de son jeune âge, il n’avait pas encore voyagé et ne pouvait faire aucune comparaison ; toutefois, cela ne l’empêchait pas d’apprécier ce qu’il avait sous les yeux. Le navire arrivait au soleil couchant, il apercevait les mosquées flanquées de leurs minarets se découpant sous ce ciel rougeoyant. Le bateau filait doucement le long de la pointe rocheuse. Le capitaine s’approcha de la rambarde et s’exclama. - N’est-ce pas surprenant ? - C’est vraiment admirable ! - On navigue actuellement sur le Bosphore, détroit qui conduit vers la mer Noire. - Comment s’appelle ce monument si imposant ? - Là, c’est Sainte Sophie. - Sainte Sophie, c’est une église ! Es-tu certain du nom ? - C’était une ancienne basilique byzantine qui a été transformée en lieu de prières pour les musulmans, et à côté, la grande muraille blanche derrière les fortifications et les arbres, c’est le sérail du sultan. - Un sérail ? Qu’est-ce que c’est ? - Le palais si tu préfères. Derrière, là-bas sur la droite, c’est la nouvelle Mosquée de Soliman. Constantinople est la ville aux sept collines, et, sur chacune d’entre elles, il y a une mosquée. Regarde ! Vicenzo était sous le charme. Ce premier contact avec l’Orient le ravissait, il voulait en connaître davantage sur cette ville, sur ses habitants. Ses attentes étaient à la mesure de ce qu’il allait vivre… Roman suite du Ghetto Nuovo

Informations

Publié par
Date de parution 27 février 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782312008585
Langue Français

Extrait

La Sublime Porte

Eliane Marchal
La Sublime Porte














LES ÉDITIONS DU NET 22, rue Edouard Nieuport 92150 Suresnes
© Les Éditions du Net, 2013 ISBN : 978-2-312-00858-5
Prologue
Venise n’était plus qu’un mince trait entre ciel et mer, à peine entendait-il les cloches sonner la fin de l’Office. Vicenzo scrutait cette ligne à l’horizon jusqu’à ce qu’elle disparût totalement. Il soupira longuement. Tout était fini, écrit et définitivement clos. Il venait de dire adieu à cette ville en ce jour triste et blafard.
Il avait très peu dormi et la fatigue anesthésiait ses émotions. Comment décrire la fébrilité de ces derniers jours, les faux-semblants utilisés, les faux-fuyants qui traduisaient son attitude embarrassée, la décision et l’organisation de l’évasion des siens, le secret indispensable qui devait entourer leur départ ? Ils s’étaient enfuis pendant la nuit comme des voleurs, contraints par les événements. Ils avaient rejoint en barque, sans faire de bruit, leur bateau accosté au quai nord de la ville, loin des regards indiscrets. Vicenzo, qui les avait retrouvés dans la matinée, avait entraîné dans son exode ses parents, sa fiancée et toute sa famille. Quelque vingt personnes étaient parties ce jour-là sans aucun espoir de retour ; les autres l’avaient suivi de leur plein gré et il souhaitait vivement qu’ils ne s’en repentent pas. Dans sa situation et celle de son futur beau-père, abandonner la cité orgueilleuse, sans que les autorités en soient informées, relevait du défi et avait nécessité maintes ruses, de nombreux mensonges et des duplicités de toutes sortes. Maintenant que tout était terminé, l’épuisement l’envahissait. Il devait reprendre des forces. Il rejoignit sa cabine en titubant. Il ne rencontra personne, hormis l’homme de barre et le capitaine. Ils devaient tous dormir. Vicenzo n’avait pu se détendre avant d’être certain que la ville marchande ne tenterait rien pour les rattraper et qu’aucun bateau ne se lancerait à leur poursuite. Rassuré, il pouvait à présent se reposer. À peine s’était-il allongé sur sa couche qu’il sombra dans un profond sommeil.
La journée était bien avancée quand il s’éveilla. Dans le carré, une collation avait été préparée, peut-être à son attention. Il avait faim et se restaura en dégustant chaque bouchée ; quelques instants plus tard, toute sa lassitude s’était évanouie. Le capitaine, qui avait entendu du bruit, passa la tête et lui fit un sourire pour tout discours. Vicenzo le lui rendit, il appréciait les hommes calmes et silencieux comme peuvent l’être les gens de la mer ; aucun mot inutile, aucun bavardage superflu.
– Où sont les autres ? demanda-t-il.
– Je ne sais pas, je ne les ai pas vus ce matin.
– Je suppose qu’ils dorment encore.
– Sans doute.
Après son repas, il monta sur le pont. Un léger vent du nord avait chassé les nuages, balayant les voiles et faisait claquer les gréements, il poussait le navire toujours plus loin, vers le Sud, l’éloignant du danger. Cette fraîcheur vive acheva de le revigorer. Il s’accouda à l’arrière et s’absorba dans la contemplation de la mer, les yeux rivés sur la houle qui se formait, se brisant sur la coque du bateau, roulant et se déroulant en permanence. Ce spectacle sans fin avait un pouvoir fascinant.
Après un temps qu’il lui fut difficile de mesurer, un léger bruissement le sortit de sa rêverie et lui fit tourner la tête. Myriam était là, sérieuse et modeste comme à son habitude. Sa vue attendrit Vicenzo, une impression douce et chaude l’envahit.
– Pardonne-moi de te déranger, mon père désirerait te parler.
– Je te suis.
Au pied de l’échelle se trouvait un espace meublé de sièges adossés à la coque, véritable pièce à vivre en dehors des minuscules cabines. Vide quelques instants auparavant, cet endroit était occupé maintenant par tous les passagers du bateau. Tous l’attendaient, il entra derrière sa fiancée, qui s’esquiva discrètement, le laissant seul face au groupe attentif.
– Es-tu reposé ? s’enquit Meshullan.
– Oui, je te remercie, tout va bien.
– Es-tu disposé à nous expliquer ce que nous pourrons espérer ? Mais peut-être est-ce trop tôt pour aborder le sujet ?
– Non, pas du tout, il faudra effectivement en parler à un moment ou à un autre.
Après un mûr silence, le banquier ajouta, hésitant :
– En fait, je ne sais pas par quoi commencer.
– La question la plus importante est quand même de savoir où nous allons ! insista lourdement Benjamin, le fils aîné de David Meshullan.
Son père lui jeta un regard noir. Vicenzo pensa que, décidément, ce prénom n’était pas porteur d’intelligence ; ce garçon avait le même travers insupportable que son oncle, cette manie d’intervenir à tout propos brutalement dans toute discussion ; d’ailleurs, il était aussi peu sympathique.
– Nous verrons cela en son temps, répliqua froidement son père.
– Vous voulez peut-être que je vous parle un peu de notre destination et des conditions de vie là-bas ? demanda Vicenzo.
Il raconta Constantinople, la situation de la ville, le port, les mosquées, le Bosphore, le sultan, les quartiers des étrangers, la liberté, le commerce, le bruit, les senteurs. On l’interrompit souvent pour l’interroger : « Quelle monnaie ont-ils ? Quelle langue utilise-t-on ? Y a-t-il beaucoup de Juifs ? Comment s’organise le négoce ? Et les femmes sont-elles réellement libres ? La liberté, on lui posa beaucoup de questions sur la liberté. On pouvait vraiment vivre à l’endroit désiré ? Sans contraintes ? Sans autorisation ? » Cette remarque n’était pas vraiment surprenante. Les enfants du banquier n’avaient connu que l’exiguïté et les interdits du ghetto. Comment pouvaient-ils imaginer qu’il existait des pays où ils étaient libres d’agir à leur guise sans restrictions ni entraves ?
Pendant vingt ans et malgré sa fortune, Meshullan n’avait eu droit qu’à un petit logis composé de deux pièces pour lui et sa famille. Il était resté malgré tout, car, étant un représentant éminent de la communauté, il se devait de soutenir les siens. Mais maintenant, après tous ces événements, il en avait définitivement fini avec Venise.

Vicenzo continua son récit. Myriam et sa mère s’étaient rapprochées, elles écoutaient attentivement. Meshullan demanda :
– Je crois que la famille Emden vit toujours à Constantinople ?
– C’est exact, je les ai rencontrés une fois, mon oncle Benjamin les connaît bien.
– J’étais en relation avec Moshé Emden, il y a quelques années. Je pense qu’il pourra me présenter à certaines personnes influentes, enfin, nous verrons cela plus tard. Il est primordial de trouver une habitation. En attendant, es-tu certain que nous pourrons tous loger dans ta maison ? Nous sommes environ une vingtaine avec tes parents.
– Rassure-toi ! La demeure que m’a laissée oncle Samuel est très spacieuse et fort agréable. Tu seras mon hôte jusqu’à ce que tu acquières une résidence digne de toi et de ta famille. Cela ne devrait pas être trop malaisé, car beaucoup d’Européens ont quitté la ville.
Cette dernière remarque inquiéta quelque peu le banquier.
– Y a-t-il des difficultés avec les autorités ?
– Oui et non ! Les relations avec les Génois se sont dégradées et depuis quelque temps, le commerce n’est plus aussi florissant qu’il l’était. Les collecteurs d’impôts ont créé de nouvelles taxes assez contraignantes et certains ont préféré abandonner leur position.
– Tu ne parles que des Génois ! Les conditions ne sont-elles pas analogues pour tous les étrangers ?
Vicenzo sourit.
– Les arcanes de l’administration ottomane n’ont rien à envier à celles des Européens. Je serais bien incapable de t’expliquer clairement leurs différents règlements. Je me suis souvent perdu dans tous ces méandres, mais je pense que tu trouveras sur place des gens en mesure de te répondre.
Le financier se tourna brusquement vers l’entrée et, apostrophant sa femme, s’écria :
– Que se passe-t-il ?
Un conciliabule réunissait plusieurs personnes, dont Myriam, sa mère ainsi que trois autres membres de la famille. Tous ces chuchotements avaient attiré l’attention de Meshullan. Son intervention avait arrêté net les protagonistes. Son épouse avança alors dans la pièce et timidement, mais fermement, déclara :
– Il n’est pas correct qu’une future mariée habite dans la maison de son fiancé.
Levia Meshullan, petite femme brune, avait un ravissant visage, lisse et harmonieux. Ses yeux brillaient d’une flamme sombre et tendre à la fois. Droite et digne, elle était sûre d’avoir raison. Elle prenait très au sérieux son rôle d

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