La Trace d Yvonain
143 pages
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Description

Au cours du mois de juin 1914, Mathilde et Matthieu, deux paysans beaucerons, donnent l’hospitalité à un inconnu de passage qui répond au nom d’Yvonain Le Quellec. Peu après le départ de leur hôte, leur fils Quentin décède de la peste. Une rapide enquête leur apprend alors que le dit Yvonain se nomme en réalité Yvan Quelovitch et qu’il s’est échappé d’une quarantaine imposée à son bateau dans le port du Havre. Le destin du couple et de "l’assassin" de Quentin, ne vont, dès lors, cesser de s’entrecroiser au gré des nombreuses péripéties que les évènements imposent à leurs vies respectives, avec comme toile de fond la première guerre mondiale. Marie-Hélène Micouin-Lefesvre nous offre un roman historique captivant, fascinant de réalisme car se reposant sur des faits véridiques. Ce récit poignant, à l’échelle d’une vie, évite tout manichéisme grâce à des personnages qui recèlent une grande profondeur de sentiments et une complexité psychologique convaincante. La grande et la petite histoire s’entremêlent pour forger les destins d’une génération emportée contre son gré dans une guerre qui la dépasse. Les trajectoires des différents personnages nous font voyager à travers l’Europe du début du siècle, et brossent un tableau réaliste des milieux qu’ils traversent, des microcosmes qu’ils fréquentent.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 10 octobre 2011
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748368833
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La Trace d'Yvonain
Marie-Hélène Micouin-Lefesvre
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
La Trace d'Yvonain
 
 
 
 
Chapitre I
 
 
 
17 juin 1914 (mercredi) Le deuil
C’est la mi-juin ; déjà, la campagne beauceronne annonce les senteurs de l’été, avec ses champs de blé qui s’étirent vers l’horizon et sa lumière qui présage une forte chaleur. Pas le moindre soupçon d’air, pas le plus petit souffle de vent ne viendrait apaiser les ardeurs du soleil.
La campagne respire péniblement ; les chiens, la langue tirée pour chercher la fraîcheur, halètent, les chevaux ont de l’écume au bord des nasaux ; un chat roux, tapi dans les hautes herbes, tente de se camoufler au ras de la terre ; dans les arbres, pas un oiseau ne chante.
L’immense plaine s’étale de tous côtés sous le soleil implacable… Est-ce l’orage qui menace, la saison serait-elle prise d’un accès de folie ? On se croirait à la mi-août !
Les blés ne sont pas encore mûrs, et l’atmosphère semble avoir déjà la fièvre du grand été.
 
Au milieu de cette vaste plaine, on distingue une petite colline où niche un village aux allures défensives, seul vestige évoquant les rivalités des seigneurs d’autrefois.
C’est Mainvilliers, avec son église, sa vieille tour brisée et ses remparts crénelés d’où pendent les longues chevelures d’un lierre accroché à la pierre délabrée.
Dans la vallée, les eaux de l’Eure, qui descendent depuis Chartres, sillonnent le paysage en faisant mille détours et gambades avant d’aller se perdre au loin, dans les crevasses qui craquellent la terre calcaire de la Beauce.
Sur la route qui longe cette rivière avance une jeune femme : Mathilde, dont la famille, originaire de la région, possède une ferme, à quelques lieues de là.
Elle presse l’allure, et, prenant soin de ne pas laisser traîner sa longue robe noire dans la poussière, relève les pans de sa jupe d’une main tandis que, de l’autre, elle serre un bouquet de fleurs comme on peut tenir un cadeau précieux.
Le clapotis de l’eau fait écho au bruit de ses pas.
Elle se hâte.
Le dos courbé, les yeux obstinément fixés sur le sol. Aurait-elle un rendez-vous dont l’urgence lui ferait oublier la beauté du lieu ? Ses yeux ne voient rien, qu’importe, elle connaît le chemin, depuis son enfance, jusque dans les moindres détails : elle sait l’emplacement des flaques d’eau qui, toujours, persistent après la pluie dans les mêmes creux, les pièges que font les ornières creusées par les roues, les racines d’arbres qui torturent le sol de leurs renflements noueux, les courbes et les lignes droites.
Sous le soleil éclatant, les eaux sauvages de la rivière se parent de teintes variées, en imitant les bigarrures des ailes de papillons, vont et viennent dans les ondulations du terrain et, mutines, finissent par se cacher sous un pont de bois. À la sortie du village, elles s’en iront cabrioler en une dernière cascade, saluant, dans une jolie pirouette, les herbes sauvages dressées sur les berges où des coquelicots tels de gracieuses danseuses en tutu rouge font une farandole sur le tapis de verdure…
Dans ce décor, la lumière estivale jongle avec les mille nuances de jaune et de doré qui, après avoir éclaté au grand jour, s’en viennent mourir, dans une infinité de tons, parmi les zones secrètes de l’ombre.
En temps ordinaires, Mathilde aime cette immense plaine où les arbres, groupés en bouquets, ressemblent à des académiciens en conversation dans leur costume vert, où les champs respirent la richesse et les bâtiments de fermes, une certaine douceur de vie.
Du petit pont, son regard file librement, ne rencontrant que la ligne ondulante des longues tiges de blé, annonciatrices d’une belle récolte – avant de distinguer, au loin, vers le nord, les deux flèches de la cathédrale de Chartres.
À cette heure de la journée, les cloches de l’édifice plusieurs fois centenaire sonnent à toute volée l’angélus de midi.
Mais aujourd’hui, Mathilde ne les entend pas. D’ailleurs, qu’importe l’heure de la prière, elle a tant de griefs à l’encontre de ce dieu d’inclémence qu’elle ne peut joindre les mains que pour exécrer le sort qu’elle subit.
Dans le ciel intensément bleu de ce mois de juin, le soleil a déjà parcouru la moitié de sa course ; il couvre l’atmosphère d’une chape qui sent déjà la touffeur, l’orage et la sueur.
Dans les foyers, les anciens, qui savent scruter les cieux, racontent que l’été à venir sera particulièrement chaud et qu’il faut se préparer peut-être à souffrir de températures particulièrement élevées. Ne les entend-on pas ressasser entre eux des prophéties de laboureurs, toujours prêts à envisager un avenir de malheur ?
 
« Les oiseaux volent bas, et cependant, l’orage ne vient pas. La terre est sèche, elle souffre et se fendille déjà. Mais non, les nuages qui voyagent tout en haut finiront bien par crever pour faire boire nos champs ! Les saisons ne sont plus ce qu’elles étaient ! Ne sentez-vous pas cette bizarrerie dans le vent du matin ? Ah ! Quelle époque ! Les hommes sont devenus des mécréants, faut pas s’étonner qu’ils attirent la colère de Dieu et de ses saints ! »
 
Mathilde laisse dire. Elle est submergée par un si grand chagrin qu’elle reste indifférente à des considérations qui, pourtant, ont toujours fait partie de son monde rural.
 
Pour l’heure, elle poursuit obstinément sa route, cette route qu’elle connaît depuis sa plus tendre enfance et sur laquelle, aujourd’hui, elle souhaiterait un peu de fraîcheur.
Instinctivement, elle lève la tête pour suivre des yeux un vol de corbeaux qui tournent et retournent, dans une sinistre ronde, à la recherche du grain perdu. Mathilde n’aime pas ces formes noires, voleuses, qui croassent au-dessus des champs sans être effrayées par le moindre épouvantail, à peine apeurées par un coup de fusil.
Il lui semble encore entendre les vociférations de son père : « C’est la peste, ces oiseaux de malheur ! »
 
Elle a un haut-le-cœur et voudrait hurler : « Oh ! Père, comment pouvais-tu dire ça ? »
 
Une crispation au creux de l’estomac… un sentiment étrange et douloureux dans tous ses membres. Dans ses veines, elle sent son sang se glace, elle le sent, tandis que ses poumons semblent sur le point d’éclater, au contact de cet air brûlant !
Elle doit avancer, lutter, respirer lentement, s’arrêter de temps à autre, s’essuyer le visage et peut-être aussi les yeux, où de grosses larmes viennent lui embuer la vue.
Elle frissonne et cependant, n’en peut plus de cette chaleur qui la met au supplice ; d’instinct, elle ramène son fichu sur ses épaules, pour chasser le malaise qui l’envahit.
Des gouttes de sueur perlent doucement le long de ses joues, qu’elle essuie d’un geste las.
Comment avoir le courage de survivre à cet été qui s’annonce si lourd ? Elle est vide de tout désir, elle se sent prisonnière de cette main invisible qui tire les ficelles de sa vie, elle se sent marionnette battant des jambes dans une sorte de gigue qu’elle ne peut contrôler.
La vie lui est devenue si pesante, déchirante, elle la traîne tel un boulet, depuis quelque temps ; le malheur, tapi dans un coin, s’est subitement abattu sur la frêle créature qui n’a plus de force pour résister.
Elle qui aimait danser avance, désormais, à petits pas de vieille femme.
Allons ! encore un peu de courage.
Bientôt, elle arrivera au pied de ces grands arbres qui veillent depuis si longtemps au confort du passant ; elle pourra s’y arrêter et reprendre sa respiration, en s’attardant quelques instants sous les branches feuillues de ces vieux peupliers qui tremblotent au moindre courant d’air et qui portent si bien leur nom : riverains de longtemps, ces trembles dessinent sur le sol d’irréelles dentelures qui folâtrent entre les silhouettes étirées de leurs troncs. Mathilde, enfant, se plaisait à y voir des fantômes, s’amusant à imaginer une invraisemblable armée de géants immobiles qui auraient abandonné, quelque part dans l’air parfumé, toute velléité guerrière. Elle aimait sauter à cloche-pied sur ces formes virtuelles et sombres qui étalaient là, sur la route, leurs lignes tranquilles, familières, reposantes.
À présent, la jeune femme s’engage dans la grande montée, ultime étape avant d’atteindre l’église du village.
Au loin, le battant de la cloche de Chartres s’est immobilisé, comme en signe de silence respectueux devant son chagrin.
Tout est redevenu calme, seul résonne toujours le bruit de ses pas sur le sol.
La femme, tel un automate, gravit la côte, à demi courbée dans son univers de grisaille, insensible au charme de ce paysage qu’elle ne voit même plus, sous ses paupières gonflées de pleurs. La douleur de son âme la rend aveugle.
 
Pauvre, pauvre femme, jeune « veuve » de son enfant mort il y a quelques jours à peine, dans une tragédie de fièvre, de vomissements, de spasmes, de délire !
L’interminable route qui grimpe surplombe maintenant les étendues de blés encore verts, pour terminer enfin sa course dans un jardin très calme aux allures monastiques. Personne, dans ce lieu de retraite sinistrement silencieux, seul un chat au pelage sale s’en vient ronronner en se frottant contre les jambes de la visiteuse. C’est l’heure méridienne qui distille une odeur de sommeil tandis qu’elle avance, secouée de sanglots.
Elle se noie dans cette immense souffrance qui vient de lui broyer le cœur, lui versant dans la bouche le goût amer de la mort. Ainsi se dirige-t-elle, le visage à demi caché par un fichu de couleur sombre, ve

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