111
pages
Français
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2016
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Ebook
2016
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Publié par
Date de parution
16 septembre 2016
Nombre de lectures
0
EAN13
9782955690529
Langue
Français
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Date de parution
16 septembre 2016
Nombre de lectures
0
EAN13
9782955690529
Langue
Français
Édith Couture Saint-André
Le dernier Noël de Lucifer
ROMAN
PRÉFACE
Ce roman est un feu d’artifice d’humour, antidote idéal contre la grisaille de cette période que nous traversons. À consommer sans modération !
Nicole BRESSY
Auteure de « La sauvagine »
(Éd. Robert Laffont)
Une théorie nouvelle ne triomphe jamais. Ce sont ses adversaires qui finissent par mourir .
Max Planck
1
Lucifer est au chômage technique et je ne sais plus comment faire pour m’en débarrasser.
Elle déprime, s’incruste chez moi, se comporte comme une ado en prise directe avec une tempête hormonale et même Philippe, l’homme le plus patient de la terre, n’a qu’une envie : la voir repartir dans ses pénates, reprendre le chemin de l’enfer qui, selon la maxime populaire, est pavé de bonnes intentions ce dont j’ai de plus en plus tendance à douter.
Au Commissariat de Police il y a quelques jours, Philippe et moi avions été accueillis par un flic en civil, l’air très Russel Crowe avec son blouson de cuir, sa presque barbe, son jeans délavé et ses bottes qui en avaient vu d’autres. Il nous a menés dans une pièce grise et exiguë, au design minimaliste où l’ambiance glauque était savamment entretenue par une fenêtre dont le grillage compact laissait filtrer une lumière qui tombait comme un ultimatum.
Derrière l’unique table, sur l’une des deux chaises, elle perchait, détonnait et fulminait. Tête haute, bouche dédaigneuse et paupières plissées, enchâssée dans une dignité furibonde, elle nous a balayés d’un regard chargé de poison.
Lucifer.
Alias Lucy Fériale.
Lulu pour les intimes, c’est-à-dire moi.
Dans l’instant, je suis passée en mode pétrification. Incapable d’aligner deux pensées cohérentes, scotchée au farfelu de la situation, je cligne des paupières vers le flic espérant de sa part un éclaircissement qui donnera du sens à cette scène ubuesque : Lucifer arrêtée par la police ! J’en ai la tête qui tourne, je ne sais pas comment m’approprier l’instant.
Russel Crowe nous dit :
« Elle affirme qu’elle habite chez vous, qu’elle a perdu son sac à main, ses cartes de crédit, son permis de conduire, etc. »
Philippe, rarement déconnecté de la réalité, tourne la tête vers le flic pour poser sur lui un regard à connotation dubitative.
« Depuis quand arrêtez-vous les femmes sous prétexte qu’elles n’ont pas de sac à main ? »
Puis, songeur, il met ses mains dans ses poches, hoche la tête, ouvre une parenthèse d’homme à homme :
« Et si vous voulez mon avis, ça ne devrait pas exister ces engins-là. Toujours un de ces foutoirs là-dedans ! Si on y mettait un bébé, on serait infoutu de le retrouver avant son septième anniversaire ».
Russel opine du chef, paraît d’accord, soulève des épaules résignées :
« Jamais compris t’façon. Moi, sauf pour mon flingue, tout tient dans une seule des poches de mon blouson ».
Philippe émet un bruit de gorge et ils échangent un sourire très mec, très viril, mi-émus, mi-condescendants, la vaste question de la douteuse utilité du sac à main les réunissant comme des camarades de régiment. Je ne connaissais pas l’avis de Philippe sur l’un de mes accessoires de mode préféré, piste de réflexion pour un prochain sujet de discussion avec ma copine Sandy.
En attendant, le flic n’a toujours pas répondu à la question de Philippe tellement il est occupé à regarder sa détenue, ce que je peux tout à fait comprendre. Maquillée comme une Drag-Queen, Lucy est moulée dans sa robe comme un serpent dans ses écailles et, pour peu qu’elle éternue, on peut s’attendre à ce que ses seins bondissent hors du décolleté comme des ballons gonflés à l’hélium. Ses cheveux, courts et rouges, sont hérissés en pics lustrés façon Statue de la Liberté et il se dégage de sa personne un parfum chargé de poudre, une aura de terrain miné : enter at your own risk.
Philippe est tout aussi obnubilé que le policier mais pour d’autres raisons. Il connaissait l’existence de Lucy mais n’avait jamais eu l’occasion de la voir de près.
En ce qui me concerne, je retrouve une vieille copine. Enfin, quand je dis copine… complice plutôt. Ou bras armé, c’est selon. L’été dernier, grâce à Lucy, j’ai rajeuni de quinze ans en moins de deux mois, suis passée de 60 à 45 ans, récupérant d’un coup d’un seul ma belle vitalité qui, à force de vivre, s’était épuisée, avait déserté mes muscles, mes organes vitaux, mon psychisme et, pire que tout, ma libido.
Certes, au cours de mon processus de rajeunissement, quelques hommes étaient morts. Trois pour être exact. Mais ils le méritaient, faut pas croire. « Donnez-moi trois noms » , m’avait-elle dit. « Je me charge d’eux et vous rajeunirez du nombre d’années qu’ils ont passé à vous pourrir l’existence » .
Mettez-vous à ma place, c’était un deal gagnant-gagnant : elle était en retard sur ses objectifs de Business Unit en nombre d’âmes à récupérer, le Patron, Dieu pour ne pas le nommer, était au bord de perdre patience et moi, j’étais d’accord pour rajeunir même s’il devait y avoir des dommages collatéraux. À la guerre comme à la guerre.
J’ai donné les noms, Lucy s’est acquittée de sa promesse en débarrassant la planète en général et ma vie en particulier de trois hommes dont elle a sans doute récupéré les âmes, sachant que je n’ai jamais cherché à connaître tous les détails, étant très occupée à savourer le fruit croquant, rebondi et juteux de ma victoire sur la vieillesse.
Sauf que.
Il s’est avéré que le fruit en question n’était pas tout à fait sans faille, qu’il y avait un ver dedans : le retour de Lucy, qu’en bonne petite naïve que je serai sans doute toujours, je n’avais pas anticipé.
Il y a pire que de trouver un ver dans le fruit qu’on a croqué : trouver la moitié d’un ver.
Qu’on se le dise.
Dans la lumière grise de la pièce, j’examine le demi-ver. Son mascara a coulé, son rouge à lèvres a migré vers les commissures de sa bouche, ses cheveux ressemblent à un nid d’hirondelles récemment incendié et sa respiration est laborieuse. Je ne l’ai jamais vue dans un tel état de délabrement et, bien malgré moi, je m’inquiète pour sa santé. Allez comprendre.
Il se passe quelque chose d’anormal, toutes proportions d’anomalies gardées, bien entendu, puisqu’il s’agit de Lucifer, Lucifer en garde à vue, Lucifer au maquillage en glissement de terrain, à l’apparence générale débraillée.
Du coup, nous sommes tous les trois suspendus dans un moment contemplatif. Du côté de Philippe, on sent que c’est de la curiosité touristique ; chez le flic, c’est visiblement du désir et il y a de quoi : un visage de madone à la Sandro Botticelli auréolé d’une chevelure flamboyante – même si on admet qu’elle s’est coiffée avec un chalumeau – et un corps à faire se damner le Dalaï-Lama, ça secoue son homme.
Chez moi, c’est de la stupéfaction mêlée d’inquiétude.
Je regarde Russel qui déglutit à répétition, qui frotte sa demi-barbe d’une main large, qui reste muet. Paupières vacillantes de celui qui tente de se sortir d’un sommeil pesant, il respire profond, se reprend comme il le peut pour enfin répondre à Philippe qui, bras croisés sous un regard impatient, attend qu’on lui explique ce qu’on fout là, parce qu’on a autre chose à faire, soigner des malades, acheter des œuvres pour la galerie d’art, remettre en route une vie sociale.
« Elle a été arrêtée pour prostitution ».
D’un bond, Lucy est debout et tout le monde recule d’un pas. Resplendissante de paillettes argentées sur fond de satin rouge, elle hurle.
« Je vous interdis de parler de moi comme si je n’étais pas là ! ‘Elle’ ceci, ‘elle’ cela ! Non, mais ! Je ne suis ni un objet, ni un animal de compagnie que je sache ! »
Outrée, elle pointe un doigt accusateur vers Russel Crowe qui, saisi, recule encore d’un pas et se cogne dans