Le jour point et pourtant ne se lève pas
132 pages
Français

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Le jour point et pourtant ne se lève pas , livre ebook

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Description

Dans ce recueil de nouvelles, vous vous promènerez en pantoufles dans Berlin avec un livre à la main, vous connaîtrez les affres de la création littéraire ou le drame de l’incommunicabilité dans la famille et la société. À chaque promenade, Guillaume Chaumet nous invite à le suivre sur le chemin des grands écrivains et donne une dimension universelle à leurs idées, leur souffrance et surtout leur amour de la littérature.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 05 avril 2022
Nombre de lectures 0
EAN13 9782414575909
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
Immeuble Le Cargo, 157 boulevard Mac Donald – 75019 Paris
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-414-57591-6

© Edilivre, 2022
Préliminaire
Je pense de façon excessive. Mon cerveau tourne à 5000 tours / minute sans laisser de place au repos. Les cris et les voix stridentes des furies hurlent dans cette pauvre tête où je peux à peine marcher. Je m’y déplace lentement en enjambant les centaines de livres qui m’ont nourri pendant près de trois ans sans pause aucune, nuit et jour, du matin au soir. Le feu qui y brûle se consume en cramant la peau de mon corps, laissant intacte la machine pensante. Ce brasier est mon foyer. J’y couche et y vis. J’entends des voix : celles d’Anna Karénine, de Tchitchikov, de Vronski, d’Aliocha, de FerminaDaza ? Peu importe, ils sont tous là à me regarder, me contempler, je les vois et écoute le récit de l’enfance du staretz Zossima. Le Grand Inquisiteur fait son apparition, je m’incline et, naturellement, je tourne la page, Marina Tsvétaeva s’y trouve aux côtés du Diable.
Tel un pur esprit, durant ces années de vie monacale où je n’étais qu’un rat de bibliothèque, je changeais de peau après chaque récit, nouvelle, roman ou essai : le texte faisait office de corps à chaque fois nouveau et celui-ci, caméléon fort prononcé, me disait en définitive que je finirais par n’être qu’un tissu de peau morte. Je ne m’en formalisais pas pour autant et restais dans les hauteurs et les cimes de l’intelligible raison. Comme me disait Hegel dans La raison dans l’Histoire , la substance de mon Esprit est la liberté : libre ! Je suis un être foncièrement libre ! Libre de crever d’indigestion de textes ! Libre de mourir de l’âme plutôt que du corps !
Je suis un homme de lettres et le resterai toute ma vie, si courte soit-elle, par-delà le bien, le mal et la mort. La souffrance n’a jamais entravé ma boulimie intellectuelle ; le bonheur que me procure la dégustation d’un mémorialiste tel que le Cardinal de Retz n’a d’égal que la jouissance d’Anaïs Nin dans des draps immaculés.
Ma cervelle fond sous l’effet de la chaleur mais se régénère immédiatement en avalant derechef quelques cinq cent pages d’un pavé où le prince André Bolkonski gît, se vidant de son sang, communiant avec moi dans la veine palpitante de ma tempe. Je jouis. L’Enfer est dans mon crâne, les furies continuent de hurler mais cela ne m’empêche pas de dévorer la prose proustienne de Richard Millet.
En trois ans et maintenant plus je n’ai eu de cesse de penser la pensée, de lire la plume d’écrivains consacrés ou ignorés, d’écrire le microcosme de mondes intérieurs ayant atteint la vérité. Je ne suis point fatigué, n’ai eu aucun égard pour ma monture bien que je veuille et désire ardemment courir sur le chemin des mots, les sentiers des idées et faire de la topologie des énoncés, de la typologie des propositions et de la dialectique des phrases mon domaine de prédilection. Les torches de la caverne dans laquelle j’évolue éclairent le fond de mes orbites oculaires où se reflètent nettement les lettres de l’univers et principalement l’aleph borgésien. Cette grotte avec de profondes cavités souterraines recèle Platon et ses disciples ainsi que l’entourage dépravé d’Ivan Pétrovitch. Les ayant longuement fréquentées, ces figures de l’humanité prennent aujourd’hui un caractère profondément dramatique dans la mesure où elles continuent à me tutoyer à l’aide d’un langage que je perçois comme persécuteur. Je ne peux ni ne veux m’en libérer. Sacher-Masoch me serre la main tous les jours, enveloppé dans son manteau de fourrure car chez moi, même si les âmes n’arrêtent pas de brûler, le froid sibérien ne fait que perdurer.
En dépit de cela je lis le journal tous les jours et ai l’impression d’être fou. Oui, fou. La machine pensante ne déraille pas, bien au contraire elle tourne très bien, trop bien, trop vite, à tel point que je me sens obligé de mettre un frein à la lecture des catégories kantiennes. Que dois-je faire ? Quitter au plus vite Königsberg ? La désespérance qui m’envahit me glace. Je ne bouge plus. Une forme de démence métaphysique, un pessimisme bien plus important que celui de Schopenhauer me font rentrer en moi-même, être en soi , permettant ainsi ma propre réalisation sans me soucier de l’inconvénient d’être né. Dans l’obscurité de ma position spirituelle, je vois l’œil et l’esprit de Nadja. Elle me prend sans doute pour un dieu et me regarde comme si j’étais le soleil. Il ne fait pas si froid et noir que cela dans ma tête d’intellectuel. Dieu souffrant, dieu rayonnant, je me dégage progressivement de l’attitude négativiste sur laquelle j’étais – faut-il le dire ? – replié . Sorti définitivement de la terrible absoluité, je me retrouve dans une nouvelle forme de perfection ayant cette fois-ci délaissé la prostration. J’exulte ! Pourquoi pas ? Les flots hégéliens de l’Histoire m’emmènent sur des cimes inabordables pour le commun des mortels.
Courant maintenant à vitesse réduite, je jette violemment au loin le romancier Troyat et l’académicien Déon dont la substance intellectuelle n’a eu pour effet que de déplorer le sort vraiment trop étroit de leur esprit. Mes contemporains m’ennuient. Quoique…
Avec les premiers romans de Milovanoff j’ai retrouvé la magie des lieux de mon enfance, tandis que l’entomologiste de l’âme humaine, Antonia S. Byatt, m’a entrainé dans des labyrinthes où je me suis perdu avec délices. Je ne veux pas oublier, non plus, la dérangeante Linda Lê ; je retrouve chez elle l’exil et les multiples incarnations de ma propre vie.
Ceci étant dit, il faudrait que je me plonge dans un profond sommeil, histoire d’écouter la sagesse de Montaigne puis à nouveau…
A suivre ou pas…
Allemagne **31
Il faisait encore nuit quand Ralph mit le pied droit dans sa pantoufle de cuir déchirée bleue marine. Il avança à tâtons jusqu’à la commode de bois violet d’où émanait une certaine fraîcheur. La main gauche sur le marbre du meuble, il actionna l’interrupteur et la lumière se fit aussitôt dans l’immense vestibule où les livres se chevauchaient par centaines sur des tapis orientaux dont les couleurs vives miroitaient par endroits, telles une mer faiblement agitée.
Ralph écarquilla les yeux. Il vit les étoiles du ciel jaillissant en un éclair blanchâtre et grumeleux au-dessus de la défunte bibliothèque. Les murs en liège laissaient voir des traces jaunes, sales et rectangulaires aux travers desquelles on eût pu fantasmer un tableau de Vanelle représentant le rivage d’un port portugais où seuls une barque échouée et un chien galeux vomissaient une gouache détrempée. Ralph passa la main sur son visage encore embrumé par les peuples fantomatiques de la nuit. Il tira sa vareuse blanc cassé prise au piège entre un amas de livres concernant la sociologie italienne et le pied d’une chaise. Instinctivement, il la posa sur ses épaules et en fit un nœud autour du cou. Naviguant en slip dans cette vaste étendue de bouquins et de textes, il cherchait de quoi chausser son pied nu. Après avoir cherché pendant plus de dix minutes, il tomba nez à nez avec Le Pied gauche d’Auguste Lamoncel et y dénicha une botte de pêcheur : remerciant le ciel, il se signa et décida de partir à l’aventure.
Berlin semblait vide au lendemain de la guerre civile qui avait ravagé des milliers de quartiers. Les arbres, déracinés ou en proie à une chute certaine ; les rues, éventrées et impraticables ; les bâtiments, défoncés ou tout simplement rasés, plus rien n’indiquait que nous étions à Berlin ; tout n’était que cendres et fumées. Les moineaux se transformaient en rapaces et l’eau des fontaines prenait la couleur du sang. L’homme s’était fait monstre.
Ralph, un livre à la main, enjambait les corps et les débris de cette ville déshumanisée qui entrait dans l’histoire de la guerre pour la septième fois depuis le jour de son baptême. Le jour pointait quand Ralph se mit à lire à voix haute, tout en marchant, un passage de son livre :
« Les Indiens de l’Oklahoma résistaient avec force et courage aux blancs-becs dont le seul but était de maîtriser toute la portion ouest de la route qu’avait récemment empruntée le chef des rebelles cheyennes. La lutte était incessante et les pertes humaines des deux côtés inimaginables. Le sergent Jim Shearl reçut un couteau entre les omoplates (…) »
Ralph interrompit le cours de sa lecture lorsqu’il s’aperçut qu’il avait perdu sa pantoufle. Il fit demi-tour, cherchant de-ci de-là un coin de ciel bleu marine au milieu de ce charnier fumant. Il finit par la retrouver dans un ruisseau qui charriait des membres humains déchiquetés dont un pied à trois orteils sur lequel était enfilée la fameuse pantoufle couleur d’été. Une fois rechaussé, Ralph continua son chemin et lut un nouveau passage de son livre :
« Frais et dispos, Julien s’en alla retrouver sa douce qui habitait le long des quais. Sur la route, il se mit en quête de mots justes et révélateurs de ce qu’il éprouvait pour elle : Vénus, Astarté, Aphrodite, Cupidon… «  Merde ! J’ai marché dans la merde.  » Julien ne s’en fit pas outre mesure et poursuivit son chemin à travers la jungle parisienne et ses habitants qui ressemblaient fort à la faune amazonienne. Araignées monstrueuses, serpents géants et insectes en tout genre, tout le monde était là pour empêcher le passage de Julien qui avait peine à se mouvoir dans cet endroit sauvage qui le séparait des bras d’une Astarté, bientôt ruisselante de bonheur (…). »
Le ciel de Berlin, cendré et troué, était en accord avec les allures apocalyptiques qui régnaient au sol. La mort gisait dans les flaques d’eau et de sang. Un magma de cadavres innocents et coupables baignait dans le liquide pultacé qui émergeait des bouches d’égout. Les rats guettaient les débuts

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