Le Quant-à-soi
296 pages
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Le Quant-à-soi , livre ebook

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Description

Élevée dans un climat matriarcal chaleureux, la narratrice subit cependant une précarité financière qui la fragilise.
Sa sensibilité ne trouve pas d'écho et de refuge chez un père qui lui paraît lointain et se heurte, plus tard, à une froideur maritale qui continue de la détruire et la conduit au bord de l'irréparable.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 12 juin 2014
Nombre de lectures 0
EAN13 9782332657855
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright













Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-65783-1

© Edilivre, 2014
1
Ma grand-mère maternelle est décédée peu de temps après la naissance de ma fille Fanny. Elle avait quatre-vingt-neuf ans.
« Assez vieille pour faire une morte », aurait-elle assuré avec l’air assassin qu’elle prenait pour entériner, avec la même boutade, le trépas d’une de ses congénères.
Elle s’était petit à petit ratatinée, amaigrie.
Son souffle était devenu plus rapide mais, en ce 1 er avril de l’année 1969, rien ne l’aurait empêchée de se déplacer jusqu’à la clinique pour voir son arrière-petite-fille.
… Elle est venue à pied avec maman. Elle veut être la première à se pencher sur la tête minuscule qui repose dans la nacelle blanche. Le temps est magnifique. Un soleil de juillet explose dans la cour de la maternité. Des feuilles à peine entr’ouvertes, à peine colorées étoffent d’un vert pâle les bras noirs des érables. Sous les fleurs étoilées des abeilles fredonnent. Les pétales blancs et roses de quelques fruitiers ont eu la politesse de s’attendre pour éclore.
Des sifflets de merles, des parfums de prières s’échappent des bruits touffus. On voit passer, depuis la fenêtre de la chambre grande ouverte, des femmes en robes légères qui se promènent en mangeant des glaces.
Fanny est née dans un souffle tranquille.
Deux heures seulement se sont écoulées entre le premier pincement ressenti et son cri perçant de nouveau-né.
C’est dire si je lui suis reconnaissante, moi qui ai souffert mille morts pour Matthieu, son aîné de dix-sept mois tiré avec les forceps.
– Comme elle est jolie, ta petite ! s’extasie ma grand-mère. Je suis si heureuse d’être encore là pour la connaître. Elle est toute fine, pas plus grosse que tu ne l’étais au premier jour. Tu ne pesais que deux kilos sept.
– C’était la guerre ! Maman n’a eu que des bigarreaux à manger ce jour-là. J’ai été nourrie au lait de cerises.
– C’est vrai. Il y avait deux cerisiers énormes dans la cour de la maternité Boucicaut. Le 3 juin, ils étaient remplis de billes déjà bien rouges.
– Tu comprends pourquoi ces fruits sont mes préférés. Tu te souviens du splendide œdème de Quincke que j’ai fait vers six ou huit ans ? J’avais dû manger des tonnes de merises !
– Je n’ai rien oublié, tu sais, rien de ce que tu as pu dire ou faire !
Tandis qu’elle me sourit avec tendresse, deux petites larmes qu’elle ne cherche pas à effacer coulent lentement sur ses joues de pomme ridée…
Elles en avaient vu bien d’autres, ces joues que j’ai tant aimées ! Les drames ne les avaient pas épargnées.
Pourtant, en dépit de l’osmose que nous avons vécue, je me rends compte que je sais peu de choses de ma grand-mère, de sa jeunesse, de ses parents qui habitaient Louhans, des Bressans, des ventres jaunes, comme elle disait.
Longtemps, sa vie m’a paru avoir commencé en même temps que la mienne et je regrette de ne pas l’avoir davantage questionnée sur son passé.
Je m’en suis tenue aux anecdotes véhiculées dans ma famille, à ce qu’elle-même a bien voulu me dire, les dernières années surtout, quand j’allais la voir dans la petite pièce humide et sale qui lui servait de logis.
Je me demande encore comment maman avait pu accepter qu’elle finît sa vie dans cette chambre misérable. Cette dernière avait pourtant l’avantage d’être située en plein centre-ville de Chalon-sur-Saône, au rez-de-chaussée d’une superbe propriété longtemps occupée par l’Evêché, juste à côté de la cathédrale Saint-Vincent. Elle jouissait, par-dessus le marché, d’une fenêtre ouverte sur une grande cour ombragée par des marronniers.
Ma grand-mère n’avait jamais connu le luxe. L’ancien relais de diligence qu’elle avait occupé pendant une vingtaine d’années sur la voie romaine de Saint-Rémy, à deux kilomètres de Chalon-sur-Saône, était agreste et vétuste.
Plus ou moins contrainte de l’abandonner après la mort de mon grand-père, elle avait été hébergée pendant deux années dans la chambre de mon frère embarqué pour la guerre en Algérie. Maman lui avait ensuite trouvé une mansarde dans les combles d’un immeuble médiéval sur la place de la cathédrale, au-dessus de la pâtisserie Pacaud.
Ce perchoir, auquel on accédait par un escalier étroit en colimaçon, était dénué de toutes commodités mais, vaste et salubre, il était doté d’une jolie lucarne par laquelle on pouvait regarder les gens aller et venir sur le parvis de l’église. Chaque dimanche le marché s’animait, bruyant et coloré.
À cette époque, je montais voir ma grand-mère en courant. Je voulais éviter l’ivrogne du second étage à la tenue maculée. Il houspillait sans vergogne sa compagne, une pauvresse édentée, hilare, surnommée la Philo.
Ce n’était pas un mauvais larron, il se souciait de ma grand-mère. Il m’aimait bien aussi et s’amusait à me surprendre au détour d’une marche.
Sa tête surgissait dans le couloir ténébreux comme une gargouille grimaçante.
– Eh ! la pitchoun ! criait-il de sa voix rocailleuse. On va voir la mémé ? J’ai vidé sa poubelle ce matin. Ses rhumatismes se réveillent.
La situation n’avait rien de désopilant et c’était avec une légère peur au ventre que je montais l’eau, pompée à la borne juste devant la pâtisserie, pour éviter cette corvée à ma grand-mère de plus en plus essoufflée.
Si cette chambre était haut perchée, au moins elle ne sentait pas le moisi.
– Tout compte fait, m’étais-je indignée quand elle avait emménagé dans le taudis de la cour de l’Evêché, mémé n’est guère mieux logée qu’avant dans son pigeonnier !
Maman avait protesté :
– Tu es dure ! J’ai fait ce que j’ai pu ! On ne trouve pas facilement un logement. Du reste, ta grand-mère ne peut plus monter les escaliers. Elle n’a pas le choix ! Et puis, si les cabinets sont toujours à l’extérieur dans le couloir, ils sont au même niveau que sa chambre. Elle n’a plus à descendre.
– C’est vrai, avais-je reconnu. Elle dispose aussi d’un robinet d’eau froide, mais sur quel évier éculé et crasseux !
À Saint-Rémy, l’eau courante était arrivée bien après ma naissance. Le relais était alimenté par l’eau claire et fraîche qui dégoulinait du seau tiré du vieux puits à la margelle moustachue.
Les jours d’été, quand la chaleur devenait trop étouffante, ma grand-mère remplissait de grandes lessiveuses avec cette eau qu’elle mettait à chauffer au soleil.
Ma sœur Chantal et moi nous pouvions, à l’heure voluptueuse du bain, éclabousser l’herbe assoiffée. Des gerbes de rires insouciants accompagnaient les étincelles humides, ruisselantes de lumière.
Ma grand-mère avait eu recours à ces bassines en fer improvisées en baignoires quand le lit de la Thalie, qui serpentait derrière les peupliers au bas du grand verger, était devenu maudit.
Un jour, le garde-champêtre avait annoncé à la ronde qu’il était dorénavant interdit de se baigner dans la Thalie.
– Pour quelle raison ? avait demandé ma grand-mère.
– On l’a découverte engrossée de munitions qui datent du bombardement de 1944. Jusqu’à présent, mère Broux, vous avez eu de la chance ; vous et les vôtres auriez pu être déchiquetés par l’explosion d’une grenade !
La funeste nouvelle m’avait privée d’un grand bonheur et inféré l’idée d’une malédiction qui s’était un jour concrétisée.
… Des chuchotements subits, joints à une agitation accablée, feutrée, sont venus alourdir un ciel d’un bleu estival.
– Vous vous rendez compte ! Pauvre Louis ! se lamente la mère Boirot, propriétaire de la petite maison qui fait face au relais de l’autre côté de la voie romaine.
– Eh oui, le pauvre ! renchérit ma grand-mère. C’était un beau gaillard pourtant ! Il venait de rentrer le foin et il a plongé… en sueur.
La voisine se penche pour murmurer :
– Il avait encore les doigts agrippés aux herbes de la berge quand on l’a trouvé ! C’est la mère Guillet, l’infirmière qui habite près de l’épicerie, qui me l’a dit.
– Ah, ces jeunes ! soupire son interlocutrice, ils n’écoutent rien. Pourtant, ce Louis, je l’ai souvent mis en garde contre les risques d’explosion. Il riait de mon inquiétude, le malheureux !
La voisine conclut, fataliste :
– Vous voyez, mère Broux, il a fait une hydrocution ! La Thalie, c’était son destin !
Assises à côté des lilas sur le banc en pierre adossé au mur de la chambre funéraire, mitoyenne de notre habitation, ma sœur et moi observons, silencieuses, le défilé du voisinage venu rendre un dernier hommage au défunt.
Nous tentons d’imaginer, derrière les rideaux de la porte-fenêtre à moitié vitrée, le grand corps raidi et cireux allongé sous la lueur jaune et vacillante des candélabres. Un remugle inconnu, imprégné d’encens, traverse par bouffées l’air rare et étouffant…
Beaucoup d’événements moins dramatiques et la plupart heureux ont marqué ma jeunesse à Saint-Rémy. Pourtant, dans les dernières années de sa vie, ma grand-mère ne parlait plus guère du relais. On aurait dit qu’elle l’avait chassé de sa mémoire. Elle remontait bien plus loin dans le temps quand elle me faisait des confidences :
– À ton âge, TioTio, et même avant, j’étais bonne à tout faire dans des familles bourgeoises.
– Tu étais bien payée ?
– Tu veux rire, mon salaire était dérisoire. L’hiver, je devais casser la glace au lavoir pour laver le linge !
– Ma pauvre mémé, tu devais avoir les mains pleines de crevasses ?
– Et encore, les crevasses, ça n’était rien. Le pire, c’était l’humiliation. Mes patrons laissaient traîner quelques pièces sur la cheminée ou sur le buffet pour me mettre à l’épreuve.
– Toi, si travailleuse, d’une probité exemplaire ! Quelle honte !
– Quand j’ai connu mon premier mari, ma vie a bien changé. C’était un homme courageux, honnête et bon, tu ne peux pas t’imaginer ! Il était très adroit et fabriquait des

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