Le verre de houblon
132 pages
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Le verre de houblon , livre ebook

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Description

Elle - femme sans nom - cent noms ? Séduisante, mère d'un enfant sourd, elle fracasse les murs du handicap pour promouvoir l'intégration. Au prix fort. Celui d'un alcoolisme camouflé et nié. Et puis c'est la bascule, un soir de viol. Le passé surgit par vagues de réminiscences sournoises. Elle part en quête de vérité. Quête chimérique. Elle déraisonne et dévoile son désir : assassiner sa génitrice. Elle ourdit alors un meurtre d'où sortira un secret de famille. Celui qui prélude à l'alcoolisme et au handicap.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 29 mai 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782332517371
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright




Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-64897-6

© Edilivre, 2013
Dédicaces


A mon fils : mon délice, ma détresse, mon deuil et mon espoir.
A Elizabeth Borionne
Citations


– Je suis parce que tu me regardes –
Nicolas de Cues
– J’ai invoqué mes dieux mais j’ai expérimenté qu’ils n’ont rien fait pour me secourir –
Clovis
Allongée dans mon lit, je regarde par la fenêtre, je respire, comme tout le monde. Cet air chaud caresse ma trachée, mes narines. Je le goûte. Il me pénètre. Je l’absorbe. Il me grise.
Pourtant il s’est arrêté un après-midi quelconque de septembre.
L’infirmière pousse la porte. Elle vérifie les perfusions. Le goutte-à-goutte préfigure mon destin. Il lave mon sang. Il garde mon souffle.
Elle griffonne quelque chose sur son carnet et m’adresse un simple sourire. Mes sens sont suffisamment éveillés pour qualifier de jolie et apaisante cette présence féminine. La quiétude transpire de cet instant.
C’est drôle. Je bois à la vie, moi qui ai assassiné ma mère.
1
« Quel est ton signe préféré ? » a demandé Antoine, entre deux gorgées de soda. Accoudé à la table du salon, il soufflait dans sa paille et s’amusait des bulles qui gonflaient dans le verre. Il s’est arrêté et m’a fixée un peu surpris par la lenteur de ma réponse. J’ai dit : « merci », avec ce petit geste sensuel qui emmenait ma main des lèvres à l’espace ouvert devant moi. Un peu comme un baiser que je lui envoyais. C’était le premier geste de la Langue des Signes que j’avais appris. Le premier que j’avais utilisé avec Antoine. Ce – merci – était plein de poésie, offrant à l’interlocuteur au-delà de la courtoisie sociale, une gratitude plus marquée, aux franges de l’intimité.
Mon fils connaissait admirablement la transmission de l’âme des mots par le geste. D’une surdité sévère, découverte accidentellement à l’âge de deux ans, il avait développé en dix années la magie de la langue des signes et acquis une bonne pratique de la Langue Parlée Complétée 1 .
Antoine a doucement agrippé mon épaule qu’il tapotait de ses paumes. Le regard anxieux, il a forcé mon attention par ses gestes encore plein de candeur qui faisaient danser l’espace.
« Cesse d’utiliser les signes, Antoine, je n’arrive pas à te comprendre, ça va trop vite ».
Je mentais. Mal, mais je mentais. J’adorais le ballet de ses mains et cette grâce infinie qu’elles dégageaient. C’était l’espace qui se mouvait autour de lui et non son corps qui brassait l’air.
J’ai dit : « Parle moi et fais les gestes du LPC ».
J’ai retenu une grimace à l’observation de cette petite bouche qui se déformait sous l’assaut de sons rauques parfaitement inharmonieux.
Ses doigts se sont agités, plus chargés d’hésitation que de chorégraphie.
« Le féminin, Antoine, tu as oublié l’accord : regarde et répète : mes chaussures, où je les ai mi ses  ? ».
D’un air contrit, Antoine a fait mine de bouder. Je n’ai pas bougé.
Ma sévérité empêchait parfois la communication. J’attendais quelque chose qui ressemblait à de la perfection, et qui n’était cependant rien d’autre qu’un outil aiguisé pour l’intégration. La société dépasserait ma sévérité pour accueillir Antoine dans une prompte méchanceté si je ne le contraignais pas à l’effort. Et faire de mon fils un assisté était synonyme de honte.
J’avais passé des heures à pleurer sur son sort, puis à la bibliothèque pour apprendre ce qu’était cet étrange monde des – sourds et malentendant –. J’avais rencontré les associations, passé des soirées entières avec des parents confrontés aux mêmes douleurs, aux mêmes obligations de choix. Fallait-il une intégration dans une école classique, ou une école spécialisée coupée de notre monde… de moi ? Le temps de mes recherches prenait sur les temps de partage avec Antoine. J’avais donc dans l’urgence accepté des cours de Langue des Signes, que nous partagions depuis l’annonce de son handicap. Antoine y avait adhéré rapidement, pire, il s’était montré doué pour une discipline qu’il n’avait jamais abandonnée depuis. Ni moi non plus.
J’acceptais ce compromis. Plus tard j’exigeais de l’institut qui accompagnait mon fils dans son parcours d’enfant handicapé, de ne plus recourir qu’au LPC. J’avais découvert ce nouveau langage par les séminaires qu’organisaient les associations. L’institut assumait dorénavant toutes les rééducations avec ce moyen d’échange et j’intégrais mon fils dans une maternelle ordinaire.
Ce fut alors une nouvelle période de larmes. L’école refusait Antoine. Sa surdité sévère angoissait. Il fallait se battre, rencontrer les gens des diverses instances de l’éducation nationale, du monde du handicap, informer les institutrices, intervenir auprès de l’inspection académique. Bien épaulés par l’orthophoniste et l’éducatrice de l’institut, nous sommes enfin tous parvenus à un accord. Le projet individuel d’intégration allait être signé, le médecin scolaire assurerait les compléments d’informations.
Trois années de maternelles parfaitement réussies. Beaucoup de travail à la maison.
Enfin l’école primaire, avec un soutien particulier en lecture et en écriture, une heure de devoirs supplémentaires le soir, et un récapitulatif des apprentissages le week-end. Un redoublement au Cours élémentaire 1, puis un parcours sans faute jusqu’à cette fin de CM2.
Antoine avait du mérite. Un mérite qu’il ne puisse comprendre ou analyser. Je m’efforçais d’encourager son travail sans jamais m’extasier, pour le pousser sans cesse un peu plus loin. J’avais peur de devenir compatissante. Cela risquait de le freiner dans ses volontés d’apprendre. Cela risquait de rompre une spirale qui ressemblait à la réussite.
Antoine boudait toujours.
J’ai attendu encore. Les minutes commençaient à se compter. S’il tardait trop à répéter, il serait en retard à son cours de judo, moment sacré et récréatif de la semaine. J’ai crispé les mâchoires, déchirée à l’idée de le priver de son plus grand plaisir. Le salut de sa personne dans un monde d’entendants passait par le deuil d’une maman trop maternante. Supplice que j’assumais avec difficulté.
« Vous êtes trop présente dans la vie de votre fils, m’avait dit un psychiatre à l’époque, vous faites trop de choses. L’enfant va vous prendre pour une mère surpuissante et se sentira, lui, impuissant face à la vie ». Je n’avais pas remis les pieds dans son cabinet. J’avais été mauvaise épouse car je ne m’étais pas entendu avec mon mari, je devenais mauvaise mère car je m’occupais trop de mon fils malentendant. Le père d’Antoine, sensible aux efforts à fournir, avait cessé tout contact avec son fils hors week-ends furtifs, pour me laisser le soin entier de l’éducation. Nous nous étions mariés par hasard, puis avions divorcé par sagesse, quatre mois après la naissance de notre fils.
Le silence me crispait et me demandait de terribles efforts pour ne pas bousculer Antoine.
Enfin, je me suis surprise à apprécier cette raucité vocale, insupportable de prime abord, lorsque Antoine a tenté de hurler dans mes oreilles, aidée de ses doigts maladroits : « je les ai mi… seeeeees où ? ».
Je me suis alors ruée sous son lit, soulagée par le contentement que produisaient ces borborygmes enfantins. En souriant de plaisir, j’ai jeté les chaussures à ses pieds : « trente secondes jeune homme top chrono ». Il lui en a fallu quinze pour les enfiler et quatorze pour attraper son sac de judo.
J’ai dit : « On fait la course jusqu’à la voiture ? » Antoine courait déjà, riant de toutes ses dents blanches. Il a dévalé les escaliers, bousculé sans même s’en rendre compte les quelques voisins qui ont dû se contenter d’excuses brèves entre deux foulées.
Le parking m’inquiétait, Antoine y courait toujours comme un fou et ne prêtait pas attention aux voitures. Je devais donc le suivre de très près pour le retenir au cas où… Çà me vaudrait quelques regards noirs et des remarques quant au manque de savoir-vivre de mon fils lors de la prochaine réunion de copropriété.
« Il est sourd ? Ha bon ! Oui mais quand même ». Je n’avais pas de temps pour informer les copropriétaires des implications de la surdité et du statut de femme seule. D’ailleurs, ça leur était égal. J’ai réussi à frapper la portière de ma célèbre Punto blanche, cabossée à l’avant et limite insalubre au-dedans, en même temps que mon fils.
Il a signé : « Gagné pour moi et sans tricher ». J’ai dit : « grimpe, vite ».
Les portières ont claqué. Mon esprit et mon corps n’avaient pas le temps de se détendre dans le lagon de ce bonheur instantané. Il fallait penser et penser vite : assurance voiture à régler (date limite dépassée), vaccin du chien à assurer avant le 15 (dans trois jours), téléphone urgent à la baby-sitter (j’ai une réunion lundi, c’est-à-dire après – demain).
J’ai attrapé mon téléphone. Antoine a gloussé, mes oreilles exercées traduisaient : « maman a empoigné son épée de super héros et appelle la terre entière ». Mon fils était tout puissant en voiture. Il pouvait dire, crier, déformer ses mots à volonté. Il les mâchait, les salivait, les concassait puis les crachait sans que je puisse l’interrompre. Assis à l’arrière de la voiture, il ne pouvait pas lire sur mes lèvres. Je devenais une maman – simple enfin – le temps d’un stop et trois feux rouges.
J’ai déposé le petit prince des satires devant son club de judo. Depuis cinq ans, il s’adonnait aux joies du tatami. Ses professeurs enseignaient en rétablissant les positions avec les gestes. Le langage n’était pas nécessaire ce qui conférait à Antoine le statut d’enfant prodigue dans la discipline. Beaucoup d’attention, un travail gestuel accru, et une grâce infinie. Pas un son pour écorcher les oreilles, pas une maman pour rectifier les mots.
Fort de son pouvoir, Antoine ne m’acco

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