Les circonstances de la vie
362 pages
Français

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Description

Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947)



"D’un côté de l’entrée, se trouvait la boulangerie et de l’autre un horloger. Il fallait suivre un long corridor, et monter un petit escalier de pierre. Le bureau était au premier étage ; on lisait en lettres noires sur une plaque de tôle émaillée :


ÉMILE MAGNENAT


Notaire


Plus bas :


Entrez sans heurter


C’était donc là. Alors, si on entrait, on arrivait d’abord dans un couloir mal éclairé ; ensuite, par la porte à gauche, dans la chambre du commis.


Il y avait un pupitre en sapin, pareil à ceux qu’on a dans les écoles, seulement beaucoup plus grand. Il était verni en noir, on voyait dedans toute la fenêtre, avec le dessin des rideaux ; parmi le reflet argenté, l’encre faisait des taches mates, et le buvard à coins de cuir avait, sur chaque feuillet, un calendrier imprimé."



Emile est notaire à Arsens, dans le canton de Vaud. Ambitieux mais d'intelligence moyenne, il va bientôt épouser Hélène qui est de santé fragile. Le ménage va vite être sous la coupe de Mme Buttet, mère d'Hélène. Elle renvoie la domestique... Arrive alors Frieda...

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 0
EAN13 9782374638904
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0019€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les circonstances de la vie
 
 
Charles-Ferdinand Ramuz
 
 
Avril 2021
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-890-4
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 889
PREMIÈRE PARTIE
 
I

D’un côté de l’entrée, se trouvait la boulangerie et de l’autre un horloger. Il fallait suivre un long corridor, et monter un petit escalier de pierre. Le bureau était au premier étage ; on lisait en lettres noires sur une plaque de tôle émaillée :
 
É MILE M AGNENAT
Notaire
 
Plus bas :
 
Entrez sans heurter
 
C’était donc là. Alors, si on entrait, on arrivait d’abord dans un couloir mal éclairé ; ensuite, par la porte à gauche, dans la chambre du commis.
Il y avait un pupitre en sapin, pareil à ceux qu’on a dans les écoles, seulement beaucoup plus grand. Il était verni en noir, on voyait dedans toute la fenêtre, avec le dessin des rideaux ; parmi le reflet argenté, l’encre faisait des taches mates, et le buvard à coins de cuir avait, sur chaque feuillet, un calendrier imprimé.
On trouvait presque toujours Auguste Cavin, le commis, en train de faire des copies. Il était petit de taille et il se tenait penché en avant. Il portait les cheveux en brosse ; ses moustaches, dans son teint pâle, semblaient deux traits au charbon ; il avait les dents gâtées. Mais on remarquait surtout sa cravate : c’était une régate toute faite, de celles qui s’accrochent au bouton du faux col par une agrafe d’acier, et elles ont une armature de carton sur quoi on tend de la fausse soie ; la sienne était bleu-marine, avec des rayures rouges, et le plastron empesé de la chemise était, par place, tout froissé.
De cette première chambre, on passait dans le vrai bureau où se tenait le notaire. On voyait tout de suite la différence : les murs avaient un joli papier (des œillets et des rubans roses) ; la draperie de la fenêtre était verte et le tapis du secrétaire vert aussi. Le meuble le plus important était le coffre-fort scellé dans la paroi et verni en teintes décroissantes, depuis le brun jusqu’au jaune clair. À côté, se trouvait une espèce de bibliothèque pour le Code et les livres de droit dont on a souvent besoin. Et puis le téléphone ; on pose le catalogue des abonnés sur la planchette, et la petite boule entre les timbres s’agite en tintant quand on ferme la porte fort.
La pièce donnait sur la place. C’est un endroit à peu près plat, qui est au centre de la ville et où se tiennent les marchés, ainsi que, chaque mois, la foire. De là partent cinq ou six rues qui vont dans toutes les directions et, toutes, elles montent ou elles descendent (il faut dire qu’Arsens est bâtie sur une colline et que tout le pays est très accidenté). Sur cette place donc, du côté du levant, on voit d’abord l’hôtel de ville, beau bâtiment en pierres grises, qui porte un assez haut clocher ; la halle au blé, appuyée contre, a de grosses colonnes carrées ; et puis, des trois autres côtés, sont des maisons particulières, avec celles du fond concaves, de sorte que, de ce bout-là, la place va s’arrondissant.
Comme il allait être six heures, le notaire plia la lettre qu’il écrivait, puis colla l’enveloppe et appela Cavin.
–  Eh bien, Cavin, dit-il, avez-vous rédigé cet acte ?
–  Oui, monsieur.
–  C’est ça, alors il vous faudrait, en passant, me mettre une lettre à la poste. Et puis demain matin, vous irez à la banque.
–  Oui, monsieur.
–  Je crois que c’est tout.
–  Et pour cette mise du 24 ? dit Cavin.
–  Oh ! pour cette mise... nous verrons demain.
Ils faisaient toujours ainsi d’habitude : ayant fini la journée, ils examinaient ensemble l’ouvrage de la journée. Et le notaire restait le dernier au bureau, comme c’est le devoir du maître.
Seulement, ce soir-là, qui était un soir important dans sa vie, il avait besoin de se faire beau. Il avait sa chambre à ce même étage ; il changea de chemise, il changea d’habit ; il se brossa soigneusement ; il se regarda dans la glace pour voir s’il était bien rasé ; et puis, comme le temps pressait, il se dépêcha de sortir.
Sur la place, le syndic causait avec un municipal. Le notaire les salua le premier, ils répondirent à son salut. Plus loin, Hauser, le cordonnier, était assis devant sa porte.
On ne rencontrait presque personne ; c’était le moment du souper. Toutes les familles, parmi les bourgeois, dînent à midi et soupent à six heures. Quant aux vignerons et aux campagnards, ils étaient aux champs ou bien dans les vignes.
Le notaire prit par les Lignières. On est là presque hors de ville, c’est plutôt une route qu’une rue. On y sent déjà l’été l’odeur des foins mûrs qui sèchent, les arbres commencent à se montrer partout. À main gauche, quand on descend, on a des petites constructions mises de travers, des écuries, des pressoirs et une forge aussi près d’une fontaine ; à main droite, au contraire, on a les plus belles maisons d’Arsens.
Elles sont là debout au-dessus du ravin où coule la Venoge et regardent vers le beau lac. Celle de M. de Hallwyl, lequel descend des baillis de Berne, a un perron couvert d’une marquise et deux girouettes à boules rouillées. Une autre se tient derrière un petit jardin, toute noire à cause d’un lierre. Celle qui suit a les contrevents presque toujours fermés. Il y en a encore deux. La maison de madame Buttet est la dernière de toutes.
Elle est également parmi les plus anciennes, elle borde la rue et ses murs sont crépis. Le temps et la pesanteur du toit ont fait qu’ils bombent un peu ; par-ci par-là, on aperçoit une lézarde ; mais ils sont solides quand même, car ils sont épais et les fondements sont posés profond.
On allait servir le souper ; mademoiselle Hélène avait mis la table, pendant que Lucie apportait les plats. Les plis de la nappe faisaient six carrés, trois d’un côté et trois de l’autre. Un bouquet trempait dans un vase. C’était un bouquet garni tout autour de branches de buis ; et il était fait de lilas, de quarantaines et de tulipes.
Est-ce que tout était bien à sa place ? Quelquefois on oublie le sel ou le service à découper ; il faut se déranger au milieu du repas ; aussi mademoiselle Hélène comptait les objets dans sa tête ; elle vit que rien ne manquait. Tout à coup le soleil entra. Il vient ainsi, toujours un peu plus tard, à mesure que la saison s’avance ; et puis toujours un peu plus tôt, une fois les longs jours passés ; finalement il ne vient plus.
Madame Buttet, qui ourlait une serviette près de la fenêtre, se leva, et dit :
–  Qu’est-ce qu’il fait, Émile, qu’il n’est pas encore là ?
Mademoiselle Hélène répondit :
–  La demie n’a pas sonné.
–  As-tu dit à Lucie de dresser les pommes de terre ?
–  Oui, maman.
Madame Buttet reprit :
–  Il faut pourtant que j’aille voir ce qu’elle fait ; on n’est sûr de rien avec cette fille.
Mademoiselle Hélène avait un corsage de couleur, une jupe noire et un tablier à bavette, avec de larges brides qui croisaient dans le dos. Ses cheveux peignés à plat sur les tempes découvraient le front au milieu. Elle paraissait un peu fatiguée et cependant heureuse au fond. Cela se voit toujours quand même, il y a alors dans les yeux une petite flamme qui brille. Pour faire passer le temps, elle avait pris la Gazette et elle regardait les morts. C’est à la quatrième page : plus rien qu’un nom vite oublié, avec un encadrement noir. Cette fois, ils n’étaient que deux ; elle ne les connaissait pas ; elle referma le journal.
Madame Buttet reparut.
–  Eh bien, oui, dit-elle, je suis arrivée au bon moment ; une minute de plus, le riz s’attachait !
Et elle soupira. Seulement, presque en même temps que la pendule, la sonnette de la porte sonna. Mademoiselle Hélène savait bien qui c’était ; elle alla vite répondre. On entendit la voix du notaire ; celle d’Hélène qui répondait ; puis un silence et madame Buttet pensa : « Les voilà qui s’embrassent... Enfin, puisqu’ils sont fiancés... » Mais c’était pour elle une sensation désagréable ; il lui semblait qu’on lui prenait qu

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