Les écrivains fantastiques féminins et la métamorphose
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Description


Qui sont ces grands écrivains fantastiques féminins aux œuvres originales et aux préoccupations très actuelles ? Du XVIIIe au XXIe siècles, de la Française Jeanne Le Prince de Beaumont, auteur du célèbre conte La Belle et la Bête, à Marie Darrieussecq dont le premier livre, Truismes, suscita à Paris, à l’aube du Troisième millénaire, une énorme tempête médiatique, en passant par la Belge Monique Watteau et son Ange à fourrure, admiré durant les Golden Sixties par le surréaliste André Breton, ces romancières insolites retracent les grandes étapes du statut de la femme à travers l’Histoire, mais elles apportent surtout une façon différente de comprendre le monde. Dans notre société dominée par un consumérisme avide et une technologie dévorante, les romancières fantastiques clament, à travers mythe et poésie, leur désir de connivence avec la Nature dont nous nous sommes dangereusement éloignés.




Nouvelliste, essayiste et anthologiste, spécialiste du Fantastique, elle a conçu une œuvre qui se partage entre la critique et la fiction. Auteur d’une vingtaine de livres, notamment du Fantastique féminin : un art sauvage, elle a obtenu plusieurs prix de l’Académie, ainsi que le prix du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour l’essai Simenon malgré lui. Elle a été pendant sept ans présidente des « Midis de la Poésie » à Bruxelles, et la République française lui a décerné en 2003 le titre de Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 5
EAN13 9782803105908
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0030€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LES ÉCRIVAINS FANTASTIQUES F ÉMININS ET LA MÉTAMORP H OSE
ANNERICHTER
Les écrivains fantastiques et la métaporphose
PRÉFACEDEFRANÇOISOST
Académie royale de Belgique rue Ducale, 1 - 1000 Bruxelles, Belgique www.academieroyale.be
Informations concernant la version numérique ISBN : 978-2-8031-0590-8 © 2017, Académie royale de Belgique
Collection L’Académie en poche Sous la responsabilité académique de Véronique Dehant Volume 90
Diffusion Académie royale de Belgique www.academie-editions.be
Crédits Conception et réalisation : Laurent Hansen, Académie royale de Belgique
Couverture : Henri Rousseau,La Charmeuse de serpents,1907, Musée d'Orsay.
Publié en collaboration avec/avec le soutien de
Préface
Ainsi donc, il y aurait un fantastique féminin spécifique, distinct du fantastique masculin. Déjouant les pièges de la théorie du genre, sans céder pour autant aux facilités des idées convenues, Anne Richter en livre ici la démonstration à partir du thème de la métamorphose. Celle-ci, qui, sous la plume d’écrivains masculins, s’assimile à une dénaturation redoutée, un abject avilissement (Kafka n’est jamais très loin), pourrait bien, chez les écrivains femmes, se comprendre comme le passage naturel à une existence élargie — minérale, animale, végétale — au-delà des frontières gardées par la conscience, aux confins des régions balisées par l’état civil : lorsque la vie prend forme, dans des gestations pas nécessairement utérines, ou lorsque elle se risque à d’autres formes de séjour, pas nécessairement d’outre-tombe. Une démonstration ? Non pas ; plutôt une conversation savamment orchestrée entre une dizaine de conteuses de l’étrange — avec quelques hommes en contrepoint — engagées dans l’expérience initiatique de la métamorphose. Excellant dans les portraits d’écrivains, Anne Richter pénètre dans leurs œuvres avec autant d’empathie que de lucidité, jetant des ponts entre elles et nous, restés sur le rivage, tissant des liens entre ces avant-postes du mystère. Ce livre, qui propose un parcours buissonnier au domaine de l’étrange, est construit avec la plus grande rigueur, comme si le fantastique, loin d’en appeler aux brumes gothiques et aux artifices du grand guignol pour se faire valoir, réclamait au contraire une écriture « à la pointe sèche », l’observation la plus précise, la pensée la plus maîtrisée. Il s’impose alors comme une évidence naturelle — une nécessité, pour tout dire —, comme si, pour le coup, c’était notre pauvre réel, matériel et ordinaire, qui en perdait sa consistance. La conversation orchestrée s’ouvre par le prélude des voix masculines annonçant gravement la descente aux enfers, mais bien vite se fait entendre le chœur des pionnières inversant le thème et ouvrant des horizons plus larges, comme si perte des repères ne rimait pas nécessairement avec déchéance. Et voilà bientôt le thème central : les échanges de la belle et la bête, développés en quatre mouvements, puissants et contrastés. Enfin, pour finir, quelques accents dissonants, car, bien entendu, rien d’humain n’est jamais assuré. Au cœur du dispositif : le thème de la belle et la bête, dont le lecteur apprend au passage que le motif narratif remonte à la fin du néolithique. Anne Richter en livre quatre versions, au terme d’une combinatoire quasi-structurale qui dit aussi quatre versions de la condition féminine. Avec le récit « canonique » de Jeanne Leprince de Beaumont (1757), c’est la bête qui s’humanise ; touchée par la vertu de la belle, l’« autre » revêt les habits du prince charmant, la morale triomphe, la raison reprend le contrôle… et la femme reste dans ses foyers. Le renversement est de taille, qu’opère Monique Watteau (L’ange à fourrure, 1962) : cette fois c’est la femme, Amanda l’exploratrice, qui s’animalise, dans l’étreinte du grand singe à fourrure, au terme d’un parcours libérateur en forme de jubilation sensuelle et de retour au paradis perdu. Cette fois la femme se dégage de sa condition, raison et morale comme suspendues, mais cette animalisation n’est pas synonyme de libération pour autant : devenue animale, elle renonce, dans la passivité amnésique, aux lumières de la conscience. Se transformer sans se perdre, telle est l’épreuve qui attend la « fille à la chauve-souris » (1974) de Pierrette Fleutiaux — comment réagir lorsque soudain une chauve-souris s’installe dans vos cheveux et ne vous quitte plus ? L’instant d’épouvante passé, la jeune fille entame une cohabitation risquée avec cette chose, qui dit à la fois son corps sauvage, son animalité et son ombre. Cette ombre jungienne, à la fois encombrante et stimulante, saura la mettre en marche à la recherche de sa vérité intérieure. Dans le clair-obscur où elle part à la recherche d’elle-même, au risque de son ombre, aucune issue n’est garantie, mais aucune porte n’est fermée — ni ange, ni bête, la jeune fille assume la question qu’est l’existence humaine. Enfin, la quatrième déclinaison du thème : celle que Sylvie Germain propose en 2015. Qui donc convie-t-elle «À la table des hommes» ? Cette fois plus de belle, même plus de bête ; seulement un personnage éphémère, un porcelet, le plus maltraité et déconsidéré des animaux, qui, au contact d’un adolescent aussi
abandonné que lui, s’assimile à lui, devenant un nouvel avatar d’enfant sauvage. Cette fois l’animal apprend, souvent à ses dépens, à devenir homme. En dépit de la diversité de ces approches se dégagent progressivement quelques traits du fantastique féminin : une étrangeté vécue et intérieure, plutôt qu’une machine factice. Un voyage initiatique à la rencontre de soi-même, au risque de son ombre. « Fie-toi à ta peur et à ton corps », écrit Monique Watteau. Anne Richter voit dans ce mot d’ordre (ou plutôt de désordre) le sésame de cette écriture de la familière étrangeté. Une écriture « à corps perdu », pourrait-on dire ; perdu, et parfois retrouvé… Anne Richter est trop discrète pour le rappeler, mais le préfacier, qui voit les choses de plus loin, peut le dire : elle fait elle-même partie de ces conteuses de l’étrange. Critique avisée, spécialiste du fantastique féminin, elle est aussi l’auteur de recueils de nouvelles — plusieurs d’entre eux récompensés par des prix de l’Académie. À vrai dire, il s'agit des deux faces d’une même démarche : le geste créateur de déprise, le saut dans l’inconnu, le passage de l’autre côté du miroir, et, sur l’autre rive, la reprise réflexive (le miroir encore), l’observation critique, celle-ci bientôt mise en abyme par le glissement de la fiction. Aussi bien, son propre traitement du thème de la belle et la bête, un des fils rouges de son 1 œuvre assurément , passe-t-il souvent par le truchement de l’écriture, du livre et de la bibliothèque, comme si la métamorphose, d’être ici reflétée, ou même effectuée, dans ces livres qui s’interpellent, devait en recevoir une force décuplée et des profondeurs insoupçonnées. Exemplaire à cet égard est la nouvelleOlga et le Catobarian (paru dansL’ange hurleur). « La belle et la bête reprirent leur lecture à deux » (p. 55)… le ton est donné. Olga s’est séparée de son amant, mais accepte de le conseiller encore dans l’écriture du livre qu’il a entrepris sur le thème de la guerre et de la paix dans les relations amoureuses. À vrai dire, le malentendu se poursuit dans le livre, lui, confondant puissance du désir et désir de puissance, elle, retranchée dans sa distance critique. Le catobarian, mi-singe, mi-chat, animal malicieux et empathique ramené d’Amazonie, semble lire entre les lignes et conduit Olga, par ses réactions non-équivoques, à une lente transformation psychique, prélude à la réconciliation des amants. Mais si le catobarian se révèle thaumaturge des âmes, la cure s’avère livresque tout aussi bien : il aura fallu convoquer Duras (L’amant), von Kleist (Penthésilée), croiser Lou Salomé, Nietzsche, Rilke et Freud, évoquer les légendes de la sanglante comtesse Bathory, il aura fallu le miracle de la lecture-écriture pour que s’opère la métamorphose et que s’ouvre « le lieu secret où cesse enfin la cécité du cœur » (derniers mots du présent livre). … Astucieuse Anne Richter qui s’est omise du tableau des conteuses de l’étrange qu’elle nous livre ; elle est bien présente pourtant, qui tire les ficelles en coulisse. On la soupçonne d’avoir invité à ce festin jubilatoire ses compagnes en écriture, suivies de leurs cortèges de belles — toutes ces Amanda, ces Clara, ces Olga — et de leurs bêtes — tous ces singes à fourrure, ces chauves-souris, ces monstres et ces renards — pour qu’ensemble elles nous jouent une nouvelle partie, une de ces sarabandes endiablées dont elles ont le secret, comme celles 2 auxquelles se livrent certains soirs les livres de sa bibliothèque . Car, n’est-ce pas, il ne faut pas prendre la réalité trop au sérieux tant qu’un livre ne l’a pas racontée… François Ost, Membre de l’Académie royale de Belgique 1On pense notamment àLa grande pitié de la famille Zintram(dans le recueil du même nom), Un sommeil de plantele même recueil), (dans Le feu rouge et les lunettes (dansLa promenade du grand canal),Maison folle(dansL’ange hurleur)… 2La bibliothèque insurgée, paru dansL’ange hurleur.
Introduction
Concevoir l’existence d’un fantastique féminin, c’est admettreipso factoque le fantastique masculin présente certaines caractéristiques différentes, que la littérature de l’imaginaire n’est pas toujours ressentie et pratiquée de la même façon par les hommes et par les femmes. Reprendre cet ancien débat n’est pas toutefois le sujet de ce livre. Je citerai seulement ici, pour 1 étayer ma thèse, une étude récente, le dernier essai perspicace de Nancy Huston , qui nous invite à renouer avec notre corps et notre part animale, en arguant que la dénégation des différences entre les hommes et les femmes a fait beaucoup de dégâts, dans la société actuelle. C’est dans cet esprit que j’ai voulu éclairer les qualités propres au fantastique féminin, en tentant de le définir par contrastes. Pour commencer, il est plus facile de dire ce qu’il n’est pas. Il est clair, d’abord, que seul, le fantastique moderne est réellement féminin : il est caractérisé par un climat d’intériorité intense, par la création d’un « espace du dedans » qui n’offre plus de commune mesure avec les décors fabriqués, les créatures incroyables ou monstrueuses du roman noir de l’époque romantique. En outre, le fantastique féminin et ce fantastique « intérieur » sont tous deux ancrés dans le vécu. Ils ne sont pas des fabrications gratuites de l’imagination. Ce n’est pas un hasard si les premières vraies conteuses fantastiques sont contemporaines du psychanalyste Carl Gustav Jung, créateur de la « psychologie des profondeurs » (1875-1961). Certaines œuvres d’artistes comme George Sand (1804-1876), Virginia Woolf (1882-1941), Karen Blixen (1885-1962) possèdent déjà une dimension psychique étrange. Les réalités psychiques étant souvent exprimées symboliquement par le mythe, les romancières fantastiques actuelles vont, à la suite de ces célèbres aînées, développer un art des abysses traversé par de grandes images intemporelles jaillissant du terreau intérieur que Jung a nommé « l’inconscient collectif ». Cependant, le fantastique féminin ne s’imposera pas facilement, car les premières « fantastiqueuses » copièrent servilement les œuvres des hommes. C’est ainsi que l’importance d’Ann Radcliffe (1764-1823) est purement historique. S’inspirant des romans gothiques d’Horace Walpole et de Gregory Lewis, elle y introduisit tout au plus une astuce supplémentaire : le surnaturel « expliqué ». Il n’est pas étonnant qu’à l’époque, elle fut rapidement adoptée par le public français : elle flattait son goût du rationnel. La critique sut gré au livre majeur de Radcliffe,LesMystères d’Udolphe (1794), d’être si peu mystérieux et d’avoir le bon goût de divertir les esprits sans les détourner de la logique. Le fantastique truqué de ce roman n’est en fait qu’une mystification. Ses ombres intermittentes sont finalement dissipées par l’explication logique d’une ténébreuse intrigue. La France littéraire de l’époque se laissa gagner par un frisson si raisonnable et, sans scrupule, prit plaisir à se faire peur. Tout le romantisme du continent retentit bientôt des macabres échos du roman noir. George Sand, entre autres célébrités, se prit au jeu. Un goût authentique pour l’étrange alterna toujours chez elle avec une tendance au romanesque frénétique. Un de ses premiers romans,Lélia (1833), mélange de façon assez déconcertante les fulgurances mystiques de Swedenborg et les ténèbres apprêtées de Lewis. Consuelo (1842) est d’inspiration nettement plus radcliffienne, mais là encore, le fantastique n’est qu’une comédie peinte en noir, une fabrication aisément démontée par la logique, une logique déguisée et fardée, mais à tout prendre, omniprésente. Le fantastique moderne, par contre, est autrement convaincant. Ses horizons sont exclusivement psychiques. Il se nourrit d’obscurité : loin de chasser l’ombre, il la conserve jusqu’au bout en son sein. Cette détermination constitue en fait sa caractéristique essentielle, elle porte sur la nature même de la réalité qu’il évoque et dont l’identification demeure toujours problématique ou précaire. Le fantastique moderne exprimant une perpétuelle remise en question des opinions généralement admises, se méfie des apparences logiques. Dans cette optique, la Danoise Karen Blixen nous apparaît comme une des plus remarquables devancières. Son œuvre est la première manifestation vraiment originale du fantastique féminin moderne. Recherchant sa vérité par le truchement d’un mensonge provisoire, elle bouscule, malmène et renverse le sens commun des choses, pour arriver paradoxalement à leur réalité
profonde. Le songe qui s’avançait masqué offre alors soudain le visage du réel. C’est ainsi que pour l’auteur desContes d’hiver(1942), seule existe une infinie variété d’états d’âme qui colorent et modèlent le monde à leur ressemblance. Ce réalisme éclaté, dans son intransigeante subjectivité, consacre le triomphe de la vie intérieure et se montre de la sorte immanquablement complice d’un certain...
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