Les Territoires bleus
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Les Territoires bleus , livre ebook

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Description

Annie a conçu Tom uniquement dans l’espoir de retenir son amant, mais ce dernier se sauve avant même la naissance de l’enfant. Rongée par la haine et la déception, Annie reporte toute sa rancœur sur le petit Tom, lui donnant même le surnom de "Varice", afin de lui reprocher quotidiennement le fait qu’elle souffre de varices depuis sa grossesse. Tourmenté par la haine de sa mère, Tom se renferme de plus en plus sur lui-même, jusqu’à la psychose. Il se crée un monde imaginaire dans lequel le Royaume rose, dirigé par son père, est en lutte contre sa mère, reine des Territoires bleus. Avec "Les Territoires bleus", Luc Ruelle signe un roman singulier et unique en son genre. Un voyage poétique dans l’imaginaire d’un enfant, à travers l’onirisme psychotique des territoires bleus, renvoyant à la mère, à la couleur de ces varices qui lui ont valu ce surnom. Nous suivons l’évolution progressive de l’enfant vers la folie, qui est pour lui le seul moyen de se sauver, de se protéger et de mettre en scène une forme de justice. Le récit est soutenu par la brillante maîtrise narrative de l’auteur et son grand talent stylistique.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 17 novembre 2011
Nombre de lectures 1
EAN13 9782748370317
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0056€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les Territoires bleus
Luc Ruelle
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Les Territoires bleus
 
 
 
« Chaque manque d’amour est une blessure. »
 
 
 
 
Prologue
 
 
 
Tom ouvrit les yeux lentement. Les infirmières le regardaient effarées et stupéfaites. Cela faisait onze ans qu’il était endormi dans un coma catatonique. Tom les regarda sans expression et leur posa deux questions :
 
— Annie est-elle toujours reine du royaume rose ? Avons-nous enfin conquis les territoires bleus ?
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Phase 1 : l’arrivée
 
6 mars 1989
Annie, couchée dans son lit, se caressait le ventre avec beaucoup d’espoir. Elle ne sentait encore rien ni personne, mais savait que la première brique de sa nouvelle vie venait d’être posée. Elle plaça le test de grossesse précautionneusement entre les pages de son livre préféré, à l’endroit qui l’avait tant passionnée. Elle se remémora les longues nuits d’amour et les promesses, les serments amoureux, les projets et les rêves d’adultes.
Elle se leva, la main collée à son ventre et pénétra dans la salle de bains. Elle voulait être belle, la plus belle possible. La nouvelle qu’elle allait annoncer à Marc était d’une telle importance.
Dehors, l’été s’annonçait. Les branches du marronnier qui jouxtait la véranda filtraient les rayons du soleil qui participait à la fête.
3 juillet 1989
Annie regardait grossir son ventre. Semaine après semaine, elle constatait la transformation qui s’opérait inéluctablement, à la vitesse de la vie. Avec fascination, de ses deux mains, elle explorait le contour de ce nouveau monde, à la recherche d’une présence. L’étrange sensation de devenir quelqu’un d’autre tout en restant la même lui donnait des appréhensions. Ses doigts frôlaient la peau à la recherche du plus petit mouvement, de la plus infime vibration. Les battements de son cœur donnaient à son ventre la résonance d’un tambour. Des émotions nouvelles et surprenantes se bousculaient de son ventre à sa tête, la rendant trop émotive et vulnérable. Après tout si Marc avait souhaité s’éloigner pendant quelques jours, c’était sans doute le signe que l’attente d’un bébé était également bouleversante pour un homme. C’était certainement la preuve d’une grande sensibilité et d’une humanité profonde. Annie pensa qu’elle devait arrêter de se poser autant de questions. Elle se rapprocha de la fenêtre de la véranda et contempla l’arbre centenaire qui exhibait ses fruits avec fierté. Elle aussi faisait à présent partie de ceux qui créent la vie. Le fruit qu’elle portait scellait leur amour et le renforçait en même temps. Mais pourquoi une angoisse sourdait-elle au fond d’elle-même ? Pourquoi avait-t-elle une difficulté croissante à profiter de ce moment si privilégié qu’est la grossesse ?
14 septembre 1989
La faible lueur du crépuscule naissant éclairait la chambre d’Annie. Comme toutes les nuits depuis deux mois, les heures s’égrenaient lentement, laissant toute liberté à l’esprit de gambader, de réfléchir et de se lamenter. Debout, face au miroir de la garde-robe, elle contemplait maintenant avec dégoût la forme nouvelle de son corps.
Le grossissement de son ventre l’élargissait, lui donnant de plus en plus l’apparence d’un cube. Elle subissait seule les conséquences d’un acte réalisé à deux. Le ressentiment gagnait du terrain dans son cœur à mesure que tout espoir du retour de Marc disparaissait. La douleur se dissipait lentement, pour se transformer en amertume puis en haine. Elle s’en voulait d’avoir été si naïve et stupide. Elle en voulait à son amant d’avoir été si lâche. Déjà, elle éprouvait rancœur et aversion pour l’être qui habitait son ventre et ne lui laissait aucune possibilité de retour en arrière.
24 décembre 1989
3 h 30. Annie soufflait et haletait. Elle sentait son corps s’entrouvrir pour laisser passer ce foutu bâtard qui l’encombrait depuis neuf mois déjà. Neuf mois et presque autant de jours de tristesse et de dégoût pour une issue désespérée et douloureuse. Ou plutôt qu’une issue, un départ sans but, une chute sans fin.
Qu’avait-elle gagné ? Rien. Une erreur de stratégie. Un plan désastreux. Un espoir naïf. Contorsionnée par la douleur, elle agrippa la seule main qui lui était tendue. Sa sœur l’encourageait :
 
— Encore quelques petits efforts. Juste quelques instants. Courage. Bientôt il sera dans tes bras.
 
Sa sœur, célibataire, sans enfant, donneuse de leçons toujours érigée en exemple à suivre par ses parents. Sa sœur qui lui répétait sans cesse qu’on fait un enfant parce qu’on aime et pas pour être aimé. Cette sœur qui détenait toujours la vérité et ne faisait jamais d’erreur. Elle lui écrasa les doigts en poussant un long cri. Le médecin accoucheur gardait un air calme et serein, les lèvres animées d’un sourire qui se voulait rassurant. Annie poussait, gémissait, criait et faisait tous les efforts possibles pour se débarrasser à jamais de ce kyste qui lui dévorait le ventre et le cœur.
 
 
Mirana, la sage-femme, était stupéfaite. Elle avait déjà assisté à des centaines d’accouchements et savait la multiplicité des sentiments qu’une mère pouvait éprouver à l’égard de son bébé nouveau-né. Elle connaissait les paradoxes, les conséquences des souffrances, les états d’épuisement, les envies de récupérer seule. Elle avait vu tant de réactions fort différentes et parfois diamétralement opposées : euphorie, panique, vagues de dépression, inquiétude, mais ce qu’elle observait aujourd’hui était une grande première. La haine calme qui émanait de la femme couchée sur le lit la mettait mal à l’aise. Au soulagement naturel éprouvé par toute maman lors de l’expulsion du bébé s’était substituée une indifférence glaciale et alarmante de la mère à l’égard de son enfant. Le début de l’histoire semblait sombre et déjà définitif. C’était en tout cas le sentiment de Mirana.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Phase 2 : la disparition
 
3 avril 1994
J’ai quatre ans, je m’appelle Tom et maman ne m’aime pas. Elle pleure parfois quand elle me regarde, mais le plus souvent, je vois transparaître de la haine dans ses yeux. Je sens qu’elle me reproche plein de choses sans bien savoir lesquelles. Je voudrais être gentil, la rasséréner, lui faire plaisir, mais je n’y arrive pas. Alors je me tais et je reste assis toute la journée dans un coin, sans faire de bruit, avec l’espoir de disparaître pour ne plus voir son regard fâché. Maman m’appelle Varice, je ne sais pas pourquoi. Je m’appelle Tom.
5 avril 1994
Les regards de ma mère peuvent être terribles et me glacer d’effroi. Ils ont le pouvoir de remuer des choses au plus profond de mon être. Pour les fuir, j’explore toutes les possibilités imaginables afin de me cacher. Derrière les rideaux par exemple, en dessous des chaises ou derrière des armoires. Un jour, je me suis dissimulé dans le bac à linge de la salle de bains, l’odeur était insupportable. Cette expérience désagréable a considérablement influencé mes stratégies de disparition. J’ai compris que la capacité à rester caché longtemps est proportionnellement liée au confort de la cachette choisie et que la disparition doit toujours se faire dans des conditions favorables.
Je connais désormais toutes les cachettes de l’appartement, tous les endroits qui me permettent de me protéger des regards de ma mère, tous les abris qui me servent de refuge. Si certains sont inaccessibles aux adultes, comme la chatière qui mène dans ce que maman appelle « l’office », je prends soin de dissimuler les autres afin que maman ignore leur existence.
12 avril 1994
J’ai très vite compris que disparition et visibilité sont des notions corrélatives, toujours. Le lien entre ces états est si subtil que bien souvent les adultes ne le perçoivent nullement. C’est bien paradoxalement quand je disparais que maman me voit le mieux.
Quand je suis à côté d’elle ou pire, en face d’elle, je n’existe pas. Si je parle, elle ne m’entend pas. Si je tire sur sa robe, elle ne réagit pas. Mais la moindre de mes absences crée un manque à combler. Le silence agit comme une alarme qui réveille ma mère. Il induit une impression de vide qui lui fait peur. J’utilise régulièrement ce subterfuge pour créer le besoin de moi et j’exulte quand retentit dans l’appartement :
 
— Tom, où es-tu ?
 
Alors, je me sens renaître dans l’angoisse et le désarroi de ma mère. Pour disparaître, il me suffit de ne plus émettre aucun bruit, de briser la présence sonore, ou de faire un pas en arrière pour accéder à un coin d’ombre et me dissimuler derrière la masse géante d’une porte massive, ou encore m’abaisser lentement et me laisser avaler progressivement par le divan du salon ou le grand poêle à bois qui domine la cuisine.
5 mai 1994
Maman boit du jus de raisin. Beaucoup de jus de raisin. Elle dit que les fruits sont bons pour la santé. Je ne suis pas dupe. J’ai très vite percé le secret de cette soif inextinguible. J’y ai même puisé des bénéfices secondaires. J’aime bien quand elle boit du jus de raisin, car quand la bouteille est vide, parfois elle s’approche de moi, me prend dans ses bras et me dit que ce n’est pas ma faute. Je ne sais pas de quoi elle parle, mais ça me fait plaisir et je souris, mais sans bouger, pour ne pas que ça s’arrête. À ces moments-là aussi j’ai envie de disparaître, mais dans son ventre. Je me replie tout doucement sur moi et j’oublie mes soucis.
18 juin 1994
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