l ombre des jeunes filles en fleurs - Troisieme partie
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l'ombre des jeunes filles en fleurs - Troisieme partie , livre ebook

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Description

pubOne.info present you this new edition. Une fois M. de Charlus parti, nous pumes enfin, Robert et moi, aller Une fois M. de Charlus parti, nous pumes enfin, Robert et moi, aller diner chez Bloch. Or je compris pendant cette petite fete que les histoires trop facilement trouvees droles par notre camarade etaient des histoires de M. Bloch, pere, et que l'homme tout a fait curieux etait toujours un de ses amis qu'il jugeait de cette facon. Il y a un certain nombre de gens qu'on admire dans son enfance, un pere plus spirituel que le reste de la famille, un professeur qui beneficie a nos yeux de la metaphysique qu'il nous revele, un camarade plus avance que nous (ce que Bloch avait ete pour moi) qui meprise le Musset de l'Espoir en Dieu quand nous l'aimons encore, et quand nous en serons venus au pere Leconte ou a Claudel ne s'extasiera plus que sur

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Informations

Publié par
Date de parution 06 novembre 2010
Nombre de lectures 0
EAN13 9782819944935
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0100€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

TROISIÈME PARTIE
MARCEL PROUST
Une fois M. de Charlus parti, nous pûmes enfin,Robert et moi, aller Une fois M. de Charlus parti, nous pûmesenfin, Robert et moi, aller dîner chez Bloch. Or je compris pendantcette petite fête que les histoires trop facilement trouvées drôlespar notre camarade étaient des histoires de M. Bloch, père, et quel'homme «tout à fait curieux» était toujours un de ses amis qu'iljugeait de cette façon. Il y a un certain nombre de gens qu'onadmire dans son enfance, un père plus spirituel que le reste de lafamille, un professeur qui bénéficie à nos yeux de la métaphysiquequ'il nous révèle, un camarade plus avancé que nous (ce que Blochavait été pour moi) qui méprise le Musset de l'Espoir en Dieu quandnous l'aimons encore, et quand nous en serons venus au père Leconteou à Claudel ne s'extasiera plus que sur:
«A Saint-Blaise, à la Zuecca
Vous étiez, vous étiez bien aise».
en y ajoutant:
«Padoue est un fort bel endroit
Ou de très grands docteurs en droit
. . . Mais j'aime mieux la polenta
. . . Passe dans son domino noir
La Toppatelle. »
et de toutes les «Nuits» ne retient que:
«Au Havre, devant l'Atlantique,
A Venise, à l'affreux Lido,
Où vient sur l'herbe d'un tombeau
Mourir la pâle Adriatique. »
Or, de quelqu'un qu'on admire de confiance, onrecueille, on cite avec admiration, des choses très inférieures àcelles que livré à son propre génie on refuserait avec sévérité, demême qu'un écrivain utilise dans un roman, sous prétexte qu'ilssont vrais, des «mots», des personnages, qui dans l'ensemble vivantfont au contraire poids mort, partie médiocre. Les portraits deSaint Simon écrits par lui sans qu'il s'admire sans doute, sontadmirables, les traits qu'il cite comme charmants de gens d'espritqu'il a connus, sont restés médiocres ou devenus incompréhensibles.Il eût dédaigné d'inventer ce qu'il rapporte comme si fin ou sicoloré de Mme Cornuel ou de Louis XIV, fait qui du reste est ànoter chez bien d'autres et comporte diverses interprétations dontil suffit en ce moment de retenir celle-ci: c'est que dans l'étatd'esprit où l'on «observe», on est très au-dessous du niveau oùl'on se trouve quand on crée.
Il y avait donc, enclavé en mon camarade Bloch, unpère Bloch, qui retardait de quarante ans sur son fils, débitaitdes anecdotes saugrenues, et en riait autant au fond de mon ami quene faisait le père Bloch extérieur et véritable, puisque au rireque ce dernier lâchait non sans répéter deux ou trois fois ledernier mot, pour que son public goûtât bien l'histoire, s'ajoutaitle rire bruyant par lequel le fils ne manquait pas à table desaluer les histoires de son père. C'est ainsi qu'après avoir ditles choses les plus intelligentes, Bloch jeune, manifestantl'apport qu'il avait reçu de sa famille, nous racontait pour latrentième fois quelques-uns des mots que le père Bloch sortaitseulement (en même temps que sa redingote) les jours solennels oùBloch jeune amenait quelqu'un qu'il valait la peine d'éblouir: unde ses professeurs, un «copain» qui avait tous les prix, ou, cesoir-là, Saint-Loup et moi. Par exemple: «Un critique militairetrès fort, qui avait savamment déduit avec preuves à l'appui pourquelles raisons infaillibles dans la guerre russo-japonaise, lesJaponais seraient battus et les Russes vainqueurs», ou bien: «C'estun homme éminent qui passe pour un grand financier dans les milieuxpolitiques et pour un grand politique dans les milieux financiers.» Ces histoires étaient interchangeables avec une du baron deRothschild et une de sir Rufus Israël, personnages mis en scèned'une manière équivoque qui pouvait donner à entendre que M. Blochles avait personnellement connus.
J'y fus moi-même pris et à la manière dont M. Blochpère parla de Bergotte, je crus aussi que c'était un de ses vieuxamis. Or, tous les gens célèbres, M. Bloch ne les connaissait que«sans les connaître», pour les avoir vus de loin au théâtre, surles boulevards. Il s'imaginait du reste que sa propre figure, sonnom, sa personnalité ne leur étaient pas inconnus et qu'enl'apercevant, ils étaient souvent obligés de retenir une furtiveenvie de le saluer. Les gens du monde, parce qu'ils connaissent lesgens de talent original, qu'ils les reçoivent à dîner, ne lescomprennent pas mieux pour cela. Mais quand on a un peu vécu dansle monde, la sottise de ses habitants vous fait trop souhaiter devivre, trop supposer d'intelligence, dans les milieux obscurs oùl'on ne connaît que «sans connaître». J'allais m'en rendre compteen parlant de Bergotte. M. Bloch n'était pas le seul qui eût dessuccès chez lui. Mon camarade en avait davantage encore auprès deses soeurs qu'il ne cessait d'interpeller sur un ton bougon, enenfonçant sa tête dans son assiette; il les faisait ainsi rire auxlarmes. Elles avaient d'ailleurs adopté la langue de leur frèrequ'elles parlaient couramment, comme si elle eût été obligatoire etla seule dont pussent user des personnes intelligentes. Quand nousarrivâmes, l'aînée dit à une de ses cadettes: «Va prévenir notrepère prudent et notre mère vénérable. — Chiennes, leur dit Bloch,je vous présente le cavalier Saint-Loup, aux javelots rapides quiest venu pour quelques jours de Doncières aux demeures de pierrepolie, féconde en chevaux. » Comme il était aussi vulgaire quelettré, le discours se terminait d'habitude par quelqueplaisanterie moins homérique: «Voyons, fermez un peu vos peplos auxbelles agrafes, qu'est-ce que c'est que ce chichi-là? Après toutc'est pas mon père! » Et les demoiselles Bloch s'écroulaient dansune tempête de rires. Je dis à leur frère combien de joies ilm'avait données en me recommandant la lecture de Bergotte dontj'avais adoré les livres.
M. Bloch père qui ne connaissait Bergotte que deloin, et la vie de Bergotte que par les racontars du parterre,avait une manière tout aussi indirecte de prendre connaissance deses oeuvres, à l'aide de jugements d'apparence littéraire. Ilvivait dans le monde des à peu près, où l'on salue dans le vide, oùl'on juge dans le faux. L'inexactitude, l'incompétence, n'ydiminuent pas l'assurance, au contraire. C'est le miraclebienfaisant de l'amour-propre que peu de gens pouvant avoir lesrelations brillantes et les connaissances profondes, ceux auxquelselles font défaut se croient encore les mieux partagés parce quel'optique des gradins sociaux fait que tout rang semble le meilleurà celui qui l'occupe et qui voit moins favorisés que lui, mallotis, à plaindre, les plus grands qu'il nomme et calomnie sans lesconnaître, juge et dédaigne sans les comprendre. Même dans les casoù la multiplication des faibles avantages personnels parl'amour-propre ne suffirait pas à assurer à chacun la dose debonheur, supérieure à celle accordée aux autres, qui lui estnécessaire, l'envie est là pour combler la différence. Il est vraique si l'envie s'exprime en phrases dédaigneuses, il faut traduire:«Je ne veux pas le connaître» par «je ne peux pas le connaître».C'est le sens intellectuel. Mais le sens passionné est bien: «je neveux pas le connaître. » On sait que cela n'est pas vrai mais on nele dit pas cependant par simple artifice, on le dit parce qu'onéprouve ainsi, et cela suffit pour supprimer la distance,c'est-à-dire pour le bonheur.
L'égocentrisme permettant de la sorte à chaquehumain de voir l'univers étagé au-dessous de lui qui est roi, M.Bloch se donnait le luxe d'en être un impitoyable quand le matin enprenant son chocolat, voyant la signature de Bergotte au bas d'unarticle dans le journal à peine entr'ouvert, il lui accordaitdédaigneusement une audience écourtée, prononçait sa sentence, ets'octroyait le confortable plaisir de répéter entre chaque gorgéedu breuvage bouillant: «Ce Bergotte est devenu illisible. Ce quecet animal-là peut être embêtant. C'est à se désabonner. Commec'est emberlificoté, quelle tartine! » Et il reprenait unebeurrée.
Cette importance illusoire de M. Bloch père étaitd'ailleurs étendue un peu au delà du cercle de sa propreperception. D'abord ses enfants le considéraient comme un hommesupérieur. Les enfants ont toujours une tendance soit à déprécier,soit à exalter leurs parents, et pour un bon fils, son père esttoujours le meilleur des pères, en dehors même de toutes raisonsobjectives de l'admirer. Or celles-ci ne manquaient pas absolumentpour M. Bloch, lequel était instruit, fin, affectueux pour lessiens. Dans la famille la plus proche, on se plaisait d'autant plusavec lui que si dans la «société», on juge les gens d'après unétalon, d'ailleurs absurde, et selon des règles fausses mais fixes,par comparaison avec la totalité des autres gens élégants, enrevanche dans le morcellement de la vie bourgeoise, les dîners, lessoirées de famille tournent autour de personnes qu'on déclareagréables, amusantes, et qui dans le monde ne tiendraient pasl'affiche deux soirs. Enfin, dans ce milieu où les grandeursfactices de l'aristocratie n'existent pas, on les remplace par desdistinctions plus folles encore. C'est ainsi que pour sa famille etjusqu'à un degré de parenté fort éloigné, une prétendueressemblance dans la façon de porter la moustache et dans le hautdu nez faisait qu'on appelait M. Bloch un «faux duc d'Aumale».(Dans le monde des «chasseurs» de cercle, l'un qui porte sacasquette de travers et sa vareuse très serrée de manière à sedonner l'air, croit-il, d'un officier étranger, n'est-il pas unemanière de personnage pour ses camarades? )
La ressemblance était des plus vagues, mais on eûtdit que ce fût un titre. On répétait: «Bloch? lequel? le ducd'Aumale? » Comme on dit: «La princesse Murat? laquelle? la Reine(de Naples)? » Un certain nombre d'autres infimes indicesachevaient de lui donner aux yeux du cousinage une prétenduedistinction. N'allant pas jusqu'à avoir une voiture, M. Blochlouait à certains jours une victoria découverte à deux chevaux dela Compagnie et traversait le Bois de Boulogne, mollement étendu detravers, deux doigts sur la tempe, deux autres sous le menton et siles gens qui ne le connaissaient pas le trouvaient à cause de cela«faiseu

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