Les enfants d Héloïse - tome 1 | Roman lesbien
315 pages
Français

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Les enfants d'Héloïse - tome 1 | Roman lesbien , livre ebook

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Description

Elles avaient bien du charme ces « amies d’Héloïse » auxquelles le public fit un si grand accueil et qui valurent à Hélène de Monferrand le prix Goncourt du premier roman. Jamais encore on n’avait parlé avec une telle liberté de ton de ces amours qui, pour singulières qu’elles paraissent, obéissent aux lois de toutes les amours. La très jeune Héloïse y faisait son éducation sentimentale, semant sur son passage des drames dont elle n’était pas toujours responsable ; toutefois c’est Erika, sa première amante, qui faisait l’apprentissage le plus grand et voyait sa persévérance récompensée contre toute attente.


Héloïse et ses amies ont grandi. Leurs enfants aussi et c’est autour d’eux que la vie d’Erika et d’Héloïse s’est organisée. À ces enfants, quand ils sont si jeunes, convient-il de tout dire sur la vie privée de leur mère et les drames qu’elle a traversés avant de revivre avec Erika ? Mais si l’on attend qu’ils grandissent ne sera-t-il pas trop tard ? C’est à ces problèmes que se heurtent les deux femmes, et bien entendu elles les résoudront comme elles pourront, avec les surprises que réserve toujours la vie, même la mieux programmée.


Siteweb de l'éditeur : https://homoromance-editions.com/

Informations

Publié par
Date de parution 17 juin 2017
Nombre de lectures 30
EAN13 9780244014865
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LES ENFANTS D’HÉLOÏSE Hélène de Monferrand
Couverture et conception graphique : Kyrian Malone Copyright © 2016 Homoromance Éditions All rights reserved
Dépôt légal : novembre 2016
À Jacqueline
Accès aux chapitres 1981 5 1982 68 1983 143 1984 205 1985 258
1981
Mélanie et Suzanne n’arrivaient pas à s’endormir séparées. Pourtant elles avaient eu, jadis, des lits à barreaux dont il était impossible de sorr. Sans doute, en ce temps-là, s’en accommodaient-elles. Les bébés, c’est bien connu, s’endorment n’importe où, n’importe comment. C’est du moins ce qu’imaginait aujourd’hui Mélanie, presque huit ans, du haut de ses certudes enfannes. De toute façon, elle ne se souvenait pas de cette époque. Les lits à barreaux, prêtés jadis par leur tante Claire, lui avaient été rendus pour ses nouveaux bébés. Ils avaient été remplacés par des lits marins de facture classique, desnés, d’après Maman, à durer longtemps. « En fait, avait-elle dit, jusqu’au lit à deux places... » et elle avait ajouté, avec un de ses rares sourires si difficiles à interpréter : « Jusqu’au lit qu’on partage. » Officiellement, Mélanie partageait son lit de marin avec Babyloup, un bébé loup (d’où son nom) gris en peluche. Suzanne possédait aussi une peluche : un Babar en costume d’explorateur surnommé « l’administrateur colonial », mais elle ne l’installait jamais sur son lit ni, à plus forte raison, dedans. Il restait assis sur une pete bibliothèque d’où il paraissait surveiller l’enfilade des trois chambres des enfants, dont les portes restaient ouvertes dans la journée. Le soir les enfants étaient mis au lit par leur gouvernante, ou parfois par leur mère quand elle rentrait assez tôt. On fermait alors les portes de séparaon et tout le monde était censé dormir tout de suite. Mais Mélanie, abandonnant Babyloup, rejoignait sa sœur dans son lit, ou bien c’était l’inverse. Le jeu consistait à aendre que tout fût calme, silencieux, et que la lumière du couloir fût éteinte. Alors on pouvait penser qu’Irmgard, la gouvernante autrichienne, avait rejoint sa propre chambre ou bien était sore, et que Maman (la plus redoutable) était redescendue chez elle. La plus audacieuse se levait la première et, sans allumer, rejoignait l’autre. Les deux petes filles bavardaient un peu à voix très basse, avec le délicieux senment de transgresser un interdit qui pourtant ne leur avait jamais été clairement signifié, puis elles s’endormaient jusqu’aux premiers bruits du matin, prouvant que la maison commençait à se réveiller. Elles n’avaient jamais été prises sur le fait — du moins le pensaient-elles. En réalité Héloïse savait que ses filles se rejoignaient la nuit. Elle avait coutume de jeter un coup d’œil discret dans les trois chambres avant d’aller elle-même se coucher, et à cee heure-là, même un coup de canon n’aurait pas réveillé les enfants. Elle avait tout fait pour séparer ses jumelles dans la journée, allant même jusqu’à les inscrire dans des écoles différentes, mais elle n’était pas opposée à leurs retrouvailles nocturnes, au contraire. Elle croyait en la vertu des règlements sévères et des transgressions secrètes. À six heures du man, elle ouvrait avec violence le robinet de sa baignoire et faisait grincer la tuyauterie au maximum pour averr les petes filles qu’il était temps de se séparer. Jusqu’à présent le système avait été plus efficace qu’un réveil mécanique posé dans une assiette de boutons! Pendant l’été 81 on fit d’importants travaux d’agrandissement dans la maison. C’était une maison à géométrie variable située dans un vieil hôtel parculier appartenant à la famille des enfants. Pendant leur bref mariage, Héloïse et son mari avaient vécu au rez-de-chaussée de l’aile droite avec le bébé Anne et une fille au pair. Après la mort de son mari et la naissance des filles, Héloïse avait annexé le premier étage pour y installer les trois enfants et leur gouvernante. La décoraon était volontairement austère : murs gris-bleu, moquee grise jugée peu salissante et desnée à protéger le parquet dix-sepème des roues des petes voitures Majoree ou des rails Märklin format HO avec lesquels, pensait Héloïse, les enfants des deux sexes ne peuvent faire que des dégâts. La moquee était d’ailleurs une concession à l’époque. Dans sa propre enfance, on protégeait les parquets des chambres d’enfants avec du linoléum, et la moquee dans les pièces
de séjour était considérée comme un luxe. Sans que cela lui eût été expressément dit, Héloïse avait toujours eu l’impression que c’était un luxe douteux, quelque chose de trop confortable pour être honnête, si bien qu’elle avait vu l’installaon de la moquee dans l’appartement de ses parents, quelques années avant, avec une légère réprobaon et un peu de nostalgie pour une époque révolue. Les temps changeaient. Qui se souvenait maintenant, du revêtement de sol appelé familièrement lino ? La moquette bon marché l’avait remplacé dans son rôle protecteur.
Par chance, ses enfants ne faisaient guère de dégâts. Anne, à presque neuf ans, était un pet garçon très calme qui préférait monter avec le plus grand soin les aiguillages de son train électrique sans songer à provoquer des déraillements, en quoi il se montrait plus sage que sa mère au même âge. Il dessinait remarquablement bien mais évitait la couleur, donc le risque de taches, parce que c’était son point faible et que ses rares tentaves pour peindre ses dessins avaient tout gâché. Son style était plutôt scienfique : ligne d’horizon, points de fuite, reproducon par pets carrés, toutes choses qu’il n’avait évidemment pas apprises à l’école, mais au contact de son grand-père. Son instutrice de CE 2 n’avait guère de goût pour ce qu’il faisait. Elle le trouvait lent et appliqué, peu créaf (péché mortel en 1981 !) et soupçonnait sa mère de l’avoir bloqué avec des méthodes d’éducaon d’un autre âge. Anne sentait cee hoslité et, bien qu’il n’en montrât rien, il était, cee année-là, malheureux à l’école. Ses notes étaient bonnes, sans être les meilleures de la classe, mais les appréciaons portées par Mme Chenais étaient toujours décourageantes et lui semblaient injustes. Pourquoi son ami Thibaud Roussel avait-il des notes moins bonnes et des commentaires indulgents ? Thibaud — Anne était bien placé pour le savoir — était un paresseux désinvolte qui faisait efficacement le clown pour se tirer d’un mauvais pas. Anne aimait Thibaud, sans qui l’école eût été une véritable épreuve, mais quelle injustice, quand même !
Mais les grandes passions d’Anne, dans la vie, c’était le piano et sa mère, et ces deux passions allaient fort bien ensemble. Dans ce domaine, il était approuvé et chaudement encouragé. Sa vocaon allait de soi dans une famille qui comptait déjà une pianiste professionnelle (sa tante) et plusieurs amateurs de bon niveau. Quand il jouait des morceaux sur le méchant piano casserole de son école, il était vraiment le meilleur : celui qu’on admirait et qu’on enviait. Volontairement, il choisissait pour s’exhiber des pièces spectaculaires dont il était le seul à savoir qu’elles étaient moins difficiles qu’elles n’en avaient l’air. Enfin, le seul... pas tout à fait. Héloïse, après le dernier spectacle de l’école où il avait joué laFantaisie-Impromptu, lui avait fait une remarque amusée : « Dis-moi, pet cabon, je croyais que tu préférais ta sonate de Haydn toute en finesse ? » Anne avait rougi : non seulement il avait choisi un morceau faussement difficile, mais encore il l’avait un peu « savonné » et Maman l’avait certainement remarqué. Sa sœur Suzanne, qui fréquentait la même école, était venue à son secours : « Sa sonate, ici ? Ç'aurait été de la confiture à des cochons ! — Je vous trouve bien préteneux tous les deux, avait dit Héloïse. Même dans l’hypothèse où il n’y aurait eu qu’un seul connaisseur dans cee salle, et à mon avis il y en avait davantage, c’est pour celui-là qu’il fallait jouer. On ne doit pas mépriser son publica priori. D’accord, Anne ? » Si Anne n’avait pas eu son piano, il est probable qu’il aurait été un peu malheureux chez lui aussi. Sa passion pour sa mère le torturait plutôt qu’elle ne le comblait, et il craignait toujours de lui déplaire. Héloïse était une mère distante, curieusement inmidée par des enfants qu’elle traitait comme des adultes miniatures. Toute son atude semblait dire : « Vous êtes assez sympathiques, mais vous ne m’intéresserez vraiment que quand vous serez grands. » Tout comportement enfann — qu’elle qualifiait plutôt d’infanle — l’agaçait, et les enfants étaient suffisamment intuifs pour le senr. Les deux filles se réfugiaient dans leur propre monde mais Anne était parfois bien seul. Sa grand-mère de Vienne, qu’il ne voyait qu’aux vacances, le câlinait voloners, mais son autre grand-mère le meait profondément mal à l’aise, sans qu’il sût très bien pourquoi, et il devait se maîtriser pour ne pas la repousser quand elle l’embrassait. Parfois il grommelait: « Elle est folle, folle, folle à lier !!! » en descendant à toute vitesse l’escalier de l’immeuble de Neuilly où elle vivait ; puis il pensait : « Pourquoi faut-il l’appeler Bonne-Maman, celle-là ? Elle n’est pas bonne... pas bonne du tout ! J’veux plus y aller ! Mélanie et Suzanne, elles
n’y vont jamais, elles. » Il y avait là une sorte de secret de famille, ou tout au moins un mystère, qui lui faisait peur. Bonne-Maman ne voulait pas voir ses petes-filles. Pourquoi ? « Parce qu’elle n’aime pas les filles, avait dit Héloïse, c’est peut-être très bizarre, mais c’est ainsi. — Mais elle est elle-même une fille ! — Tu comprendras plus tard. Les gens qui n’aiment pas leur propre sexe sont très à plaindre parce qu’ils ne s’aiment pas. Ta bonne-maman, qui est fille unique, a été repoussée par ses parents parce qu’elle n’était pas un garçon et que sa famille s’éteignait. Je ne connais pas parfaitement les détails de son enfance, mais je crois qu’elle a eu un ou deux frères, peut-être davantage, qui sont morts en bas âge. On a pu le lui reprocher, implicitement ou non. Ces choses-là arrivent, et pas seulement dans la noblesse. Il faut la plaindre. — Facile à dire ! » avait songé le pet garçon. Et Héloïse, qui haïssait sa belle-mère, avait pensé la même chose au même moment. Elle savait que ce qu’elle expliquait à Anne était vrai, mais au fond d’elle-même elle pensait que ce n’était pas une excuse. Après tout, la tante d’Anne, sa propre belle-sœur, avait été élevée aussi dans l’idée qu’elle ne comptait pas, et sa réacon avait été à l’opposé puisqu’elle était devenue très féministe. Queson d’époque, peut-être, mais aussi queson d’intelligence et de cœur. Heureusement, dans l’immédiat, Anne était bien trop jeune et trop ignorant pour découvrir tout seul ce genre d’arguments. Elle sentait parfaitement, sans qu’il le lui eût dit, qu’il n’aimait pas sa bonne-maman. Inule d’apporter de l’eau à son moulin et de transformer cette légère hostilité en haine franche.
Les petes filles étaient, dans un genre différent, tout aussi calmes que leur frère, mais moins solitaires, du moins à la maison. Elles formaient un couple dont il se sentait le plus souvent exclu, bien qu’il fût parfois invité à partager leurs jeux. La plupart du temps elles lisaient ou elles bavardaient ensemble, surtout au retour de l’école qui les avait séparées. Anne et Suzanne étaient considérés comme assez raisonnables pour rentrer sans qu’un adulte vînt les chercher. Ils n’avaient qu’une rue à traverser, dans un quarer où les voitures roulent le plus souvent à la vitesse d’un piéton et où les piétons marchent plus souvent sur la chaussée que sur les embryons de trooirs laissés à leur disposion. Mélanie en revanche, dont l’école était plus éloignée, avait l’ordre d’aendre Irmgard ou, exceponnellement, d’aller retrouver sa mère dans sa pharmacie à condion de faire très aenon en traversant la rue de la Verrerie. Là il se trouvait toujours quelqu’un pour la raccompagner, et le bonheur c’était quand il fallait aendre un peu. Mélanie adorait la pharmacie, rêvait de servir les clients, de faire descendre les médicaments par le monte-charge, de mere les vignees sur les feuilles de sécu des vieilles dames qu’il fallait aider à cause de leur mauvaise vue. Elle ne savait d’ailleurs pas ce que signifiait « sécu » et ce mystère lui était un plaisir supplémentaire. Il arrivait qu’Héloïse l’y autorisât, parce qu’après tout c’était un bonheur simple ; elle avait l’arrière-pensée que si les goûts de Mélanie ne changeaient pas, elle aurait au moins quelqu’un à qui léguer sa pharmacie, même si pour l’instant cee enfant était bien meilleure en français qu’en calcul. Tout ça pouvait se modifier, pensait-elle. La pete se révélerait peut-être bonne scienfique à terme, ou bien son goût de jouer à la marchande — car au fond ce n’était sans doute que ça — lui passerait. Il était prématuré d’y penser, encore plus d’y faire la moindre allusion tant que Mélanie elle-même n’en parlait pas.
Si Héloïse avait décidé de faire des travaux dans la maison ce n’était pas à cause des enfants, mais pour recevoir Erika. Elle aimait Erika et surtout Erika l’aimait. Deux ou trois fois par semaine elle passait la soirée chez Erika, parfois la nuit enère, mais plus rarement depuis que les enfants grandissaient. Erika en faisait autant et cee soluon, qui avait au début paru sasfaisante pour ménager tout le monde, commençait à devenir pesante. Certes, la séparaon entre l’appartement du rez-de-chaussée et le domaine des enfants était nee et les consignes assez rigoureuses. Mais plus le temps passait plus le risque qu’ils découvrissent par hasard l’absence de leur mère ou — plus grave — la présence d’Erika dans son lit grandissait. Héloïse était encore assez désinvolte à ce sujet, prétendant que la plupart des enfants prennent les choses comme elles viennent, ne s’étonnent de rien, et sont en tout cas bien incapables de deviner ce que peuvent faire deux amies dans le même lit, sinon bavarder bien au chaud. Mais Erika n’était pas de cet avis, et il est évident que plus le temps passait plus elle avait raison. Finalement, après avoir proposé de déménager
dans des endroits tous plus immenses les uns que les autres (Erika avait suffisamment d’argent pour sasfaire son goût immodéré des grands espaces), elle avait tenu compte des arguments raisonnables d’Héloïse : elle s’installerait au rez-de-chaussée de l’aile centrale qui venait de se libérer, et on percerait une porte de communicaon qui sauverait les apparences. Les enfants s’habitueraient à une présence plus constante d’Erika, et tôt où tard ils en reraient tout seuls les conclusions qui s’imposaient. Tard, de préférence, et même très tard. « Les enfants, affirmait-elle, n’ont pas besoin de connaître la vie privée des adultes. » Erika, qui osait rarement donner son avis sur ce sujet, était restée silencieuse mais Héloïse, qui sentait son désaccord, avait ajouté : « Je ne dis pas ça pour me débarrasser d’un problème gênant, mais parce que je désapprouve réellement ces parents qui font supporter à des enfants leurs soucis d’adultes. Cela dit, quand on me pose une queson j’y réponds. Si un jour l’un d’entre eux vient me dire : “Maman, couchez-vous avec Erika ?”, je dirai oui. Mais je ne prendrai pas les devants avant longtemps. Qu’ils découvrent d’abord l’amour dans son sens le plus général et ensuite on parlera des détails. » Erika avait acquiescé tout en signalant qu’il ne faudrait pas se laisser prendre de vitesse. Si Héloïse elle-même ne donnait pas d’informaons avec tout le tact nécessaire, qui sait s’ils n’apprendraient pas les mœurs de leur mère par un tiers ? Et dans quels termes ? « En aendant, pensait Erika, je suis dans la place. » Elle avait un peu honte de se dire les choses avec un tel cynisme, mais la vie de famille avec Héloïse et les enfants était son but depuis des années. Elle avait d’abord désespéré d’y arriver, puis elle avait commencé à y croire, sans doute en commençant à s’aacher aux enfants et en étant payée de retour. À parr de ce moment-là elle avait avancé ses pions avec prudence, suggéré des idées, prête à reculer (ou plutôt à se replier en bon ordre) si c’était nécessaire. Elle gagnait du terrain lentement, ou en perdait provisoirement, et elle prenait plaisir à cee pete guerre qu’elle comparait, tantôt à celle de 14 après la Marne (son grand-père, un général allemand, l’avait faite d’abord sur le terrain puis dans l’État-major), tantôt à une guerre de parsans composée de petes escarmouches. En aucun cas unBlitzkriegn’aurait convenu avec un « ennemi » comme Héloïse ! Au début de l’été 81 Erika avait perdu et repris Douaumont plusieurs fois. En préparant son déménagement, elle se disait que cee fois-ci le fort était bien à elle. Parfait.Großvati serait fier d’elle ! Mais il convenait de ne pas se reposer sur ses lauriers, ou plutôt, continuons les métaphores guerrières, de ne pas s’endormir dans les délices de Capoue. Héloïse restait à ses yeux quelqu’un de très mystérieux, donc d’imprévisible. Erika doutait parfois d’être vraiment aimée, et elle avait assurément la certitude d’être celle qui aimait le plus. Elle évitait, autant que possible, de se laisser envahir par ce genre de questions : « Qui aime qui ? Qu’est-ce que l’amour ? À quoi sait-on qu’il est véritable ? », mais c’était plus facile à dire qu’à faire. Sa petite guerre de conquête, menée depuis presque quatre ans, avait eu l’avantage d’occuper concrètement son imagination et donc d’empêcher la folle du logis de la dominer. Mais elle se méfiait d’elle-même, de sa nature trop possessive, autant, sinon plus, que du tempérament secret d’Héloïse. La solution c’était de s’entourer de garanties : l’équilibre d’une vie de famille agréable et saine en était une. L’affection des enfants, qu’elle avait gagnée au début spontanément, parce qu’ils étaient à ses yeux un prolongement de leur mère, était devenue une autre garantie. En admettant qu’Héloïse tombât un jour amoureuse de quelqu’un d’autre, elle hésiterait certainement à détruire l’équilibre familial, même s’il s’agissait en l’espèce d’une famille hors normes. Et les choses se déroulaient bien comme prévu. Non seulement Erika dirigeait les travaux de son propre bâment, mais elle était admise à donner son opinion sur ceux qu’Héloïse avait décidé d’effectuer de son côté. On referait les chambres des enfants en leur demandant leur avis, puisqu’ils n’étaient décidément pas des vandales et avaient l’âge de raison. Avec un peu de chance, on échapperait au papier « pets mickeys » et à toutes les niaiseries de nursery. De toute façon, il fallait en courir le risque. Dans l’entrée de l’ancien appartement d’Erika, il y avait une gravure du dix-sepème siècle qui avait toujours fasciné Mélanie. Elle représentait trois enfants en haillons, fuyant, semblait-il, une
sorte de grand château en flammes, à moins que ce ne fût un pet bourg forfié. Cee gravure n’avait jamais été assez bien éclairée pour que la pete fille pût en observer les détails, mais il lui semblait que le plus grand des enfants — un pet garçon en sabots dont les cheveux clairs et mal coupés sortaient d’un bonnet de laine — ressemblait à son frère. Elle en avait parlé un jour à Suzanne qui lui avait répondu distraitement : « Ah oui... tu crois ? » Manifestement elle n’avait pas bien regardé la gravure. L’avait-elle même remarquée ? Les deux autres enfants étaient un peu plus pets. Il s’agissait d’un garçon et d’une fille encore plus mal vêtus que l’aîné, pieds et tête nus. La fille portait une quenouille et le garçon quelques épis de blé (ou de seigle, ou d’avoine, allez savoir !). Aujourd’hui, la gravure avait été décrochée et était posée le long du mur, en plein jour. Mélanie s’installa confortablement devant pour en regarder les détails. Incontestablement le garçon au bonnet ressemblait à Anne. Même visage un peu triangulaire, mêmes traits fins, et une coiffure qu’Anne avait parfois à la fin des vacances quand on avait négligé de lui couper les cheveux. Les deux autres enfants, blonds également, ne ressemblaient à personne de connu, mais Mélanie décida qu’il s’agissait de deux filles, dont l’une était déguisée en garçon pour des raisons qu’elle éluciderait plus tard. Ces deux filles, c’était elle et Suzanne. Bonne occasion de se projeter en blondinette quand on est brune et qu’on n’aime pas ça. Erika surprit Mélanie assise en tailleur devant la gravure qu’elle regardait avec une extrême concentration. « Tu aimes ces trois petits enfants ? — Oui. D’où viennent-ils ? — De Tauberg. Comme je l’aimais bien, mon cousin me l’a donnée. — Non. D’où viennent-ils eux... les enfants ? — J’ai longtemps pensé que c’était les trois pets enfants sauvés par Saint-Nicolas, tu connais la chanson ? — Ah oui... — Mais ce n’est pas la période. Ils ne sont pas vêtus comme au Moyen Âge, et de toute façon ça représente la guerre de Trente Ans. C’est un thème très fréquent en Allemagne, et c’est à peu près d’époque. On m’a dit qu’elle datait du milieu du dix-sepème siècle, donc ça colle. On a brûlé leur maison alors ils se sauvent, je pense. » Mélanie demanda : « La guerre de Trente Ans ? — Tu ne la connais pas, c’est normal. — Je connais celle de Cent Ans. — Celle de Trente Ans a été pire, mais c’est dans les écoles allemandes qu’on l’apprend. Veux-tu que je te donne cette gravure ? — Oh oui ! » Mélanie avait répondu spontanément. Non seulement elle aimait cee gravure, mais elle adorait Erika, bien qu’elle prît soin de ne pas trop le montrer. Et avoir, sans mof de fête ou d’anniversaire, un cadeau d’Erika, c’était le paradis. Mais soudain elle fut prise de midité : « Si vous l’aimez, il faut la garder. Elle va vous manquer. — Dans ce cas, tu me permeras de venir la regarder dans ta chambre. Tu as choisi ton papier, au fait ? —Pas encore. Je pensais prendre le même que Suzanne, mais maintenant... — Maintenant ? — Il faut qu’il aille avec les trois petits enfants. » Le peintre avait donné aux enfants un classeur « spécial chambres d’enfants » dans lequel Suzanne avait choisi des pets voiliers blancs sur fond vert d’eau. Le vert, proclamait-elle, était sa couleur préférée parce que c’était celle de ses yeux. Comme Mélanie hésitait, Suzanne lui avait presque imposé son choix : « Les mêmes bateaux, mais sur fond bleu parce que tes yeux sont bleus. » Mélanie n’était pas hosle aux bateaux, ni spécialement favorable, mais elle avait tout à coup une indigeson de ce bleu qu’on lui imposait depuis toujours sous prétexte que ça lui allait. Elle avait esquissé une révolte : « Ma couleur préférée c’est le jaune. » En réalité elle ne le pensait pas
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