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Malgré le sang, malgré la haine
Alain Meyer
Roman de 130 000 car.
Partout, la guerre fait rage. En décembre, les États-Unis sont entrés dans la tourmente, depuis que le Japon les a attaqués dans le Pacifique, à Pearl Harbor. Le conflit est réellement devenu planétaire. En U.R.S.S, les Allemands se ruent sur le Caucase et ses réserves pétrolifères. En Afrique, Rommel est aux portes du Caire. Pris de folie, les hommes se massacrent par milliers, par millions.
Ces informations ne m’intéressent pas. Je suis trop pris par mon bonheur pour regarder ce qui se passe vers l’extérieur. Le monde peut bien s’écrouler, peu m’importe. J’ai David, je l’aime, il est l’objet de toutes mes pensées. Je ne peux rester éloigné de lui plus de quelques heures.
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Malgré le sang, malgré la haine
Alain Meyer
Roman
Avertissement
Ce récit est une fiction. Toute ressemblance avec des personnes existantes, ou ayant existé, serait pure coïncidence.
Préambule
Merde ! Je suis complètement perdu, totalement paumé. J’ai l’impression que ça fait des heures que je tourne en rond. Comment s’y retrouver dans ce paysage lunaire, labouré par les obus et la mitraille ?
C’est en début d’après-midi que l’ouragan de fer et d’acier s’est déchaîné. C’est con, la guerre est finie, tout le monde le sait. Pourtant, l’aveuglement d’un fou, la démence d’un peuple endoctriné, font que les combats acharnés continuent. Le Reich s’est réduit à une peau de chagrin. À l’Est, les Russes sont aux portes de Berlin. Selon les dernières informations, ils ont investi la ville et, c’est rue par rue, maison par maison qu’ils doivent conquérir l’orgueilleuse capitale. Au Nord-Ouest, les Anglo-américains avancent à marche forcée pour s’emparer du maximum de terrain avant l’armistice qui devrait intervenir dans les jours qui suivent. Dame ! Hors de question d’être en position d’infériorité, dans les négociations qui vont s’engager, avec nos chers alliés bolcheviques, pour se partager les dépouilles de cet empire allemand, de cet empire du mal qui devait durer mille ans.
Nous, Français, plus au sud en Bavière, finissons d’atteindre les objectifs qui nous ont été fixés. Le nid d’aigle, l’antre du Führer, Berchtesgaden, n’est plus qu’à quelques kilomètres. Pourtant, la résistance de l’ennemi ne faiblit pas. Il s’oppose farouchement à notre avance, s’obstinant à défendre ce symbole du troisième Reich.
Tout à l’heure, c’est au cours d’une de ces batailles dérisoires que j’ai perdu mon régiment. Depuis, je cherche, en vain, à rejoindre mon unité. Je suis seul en territoire ennemi, dans un environnement hostile d’où la mort peut surgir à chaque instant.
Grabenstätt
29 avril 1945
Le lac du Chiemsee était comme une émeraude dans un écrin de verdure. Au loin, les contreforts des Alpes jetaient une ombre mauve sur le paysage sans toutefois l’écraser. C’était une image de paix, de douceur de vivre. Les rayons de ce soleil d’avril finissant faisaient éclater le printemps. Les fleurs sauvages offraient leurs mille couleurs et les insectes s’en donnaient à cœur joie.
Seules, les ruines encore fumantes d’un gros village, à quelques centaines de mètres, près des rives du lac, ramenaient à la sinistre réalité : celle de la guerre. Des combats s’y étaient déroulés ce matin même, tout aussi violents qu’inutiles. Les tirs de notre artillerie avaient vite eu raison de toute résistance. Les habitants étaient partis ou devaient se terrer dans des trous qu’eux seuls connaissaient. Nous avions combattu contre une petite centaine de soldats qui prétendaient s’opposer à notre avance sur Berchtesgaden.
Le meuglement douloureux de vaches abandonnées m’a fait redescendre sur terre. Pauvres bêtes ! Elles devaient souffrir, les pis gonflés de lait que personne ne se souciait de traire. J’ai eu un élan de pitié vite réprimé. Les hommes sont, décidément, un abîme d’incompréhension. Ils s’émeuvent pour des bêtes qui crient leur douleur et restent insensibles devant les horreurs dont ils sont capables envers leurs semblables. Ce matin, dans le village, j’ai tué, avec des balles bien placées, deux soldats allemands. J’ai eu un goût de sang dans la bouche, avec une espèce de joie féroce. C’était eux ou moi.
Je me souviens, il était quinze heures. Le soleil un peu trop chaud, les copains, autour de moi, qui chahutent et échangent des plaisanteries. Normal, ils décompressent, ils veulent oublier la mort toujours présente, qui peut surgir de n’importe où et à n’importe quel moment.
C’est justement le moment qu’elle choisit pour chanter sa sinistre chanson. Une explosion, sourde, brutale, avec des sifflements de métal qui tranchent l’air et frôlent nos oreilles. Sur l’instant, nous sommes tous à terre, pour nous protéger de cette mitraille mortelle. Pour certains d’entre nous, il est trop tard. Je retiens une plainte. Mes yeux, au ras du sol, voient Charles, pas très loin, couché sur le sol pour l’éternité. Un gros bouillon rouge s’échappe de sa gorge. La carotide vraisemblablement tranchée par un éclat, avec son sang, il perd sa vie. Charles ! L’espace d’une seconde, de douces images me reviennent.
Un soir, autour d’un bivouac, il m’avait jeté un regard si tendre que je m’étais éloigné dans l’ombre propice. Il m’avait rejoint tout de suite après, avait posé sa main sur mon épaule en murmurant, avec une timidité que démentait son geste affectueux :
— Lionel, j’ai besoin de tendresse, j’ai besoin d’amour… tu es si beau…
Je n’avais pas résisté à son appel. Je m’étais contenté de l’attirer contre moi. Il avait eu comme un soupir de délivrance en prenant mes lèvres tandis que je commençais à le caresser.
Depuis, nous avions satisfait notre désir l’un de l’autre trois ou quatre fois, toujours avec le même plaisir. C’était l’aboutissement logique d’un rapprochement qui s’était opéré au fil des mois et des dangers partagés. Je ne pense pas qu’il se soit agit, pour lui, du manque de filles. Non ! Insensiblement, il m’avait regardé avec des yeux différents. Il n’était pas difficile de lire dans son regard, que je lui plaisais. Moi, j’avais besoin de sexe… rien que de sexe. Le cœur était mort. Je pense avoir encouragé ses avances maladroites par des sourires équivoques, des sous-entendus. Il était fatal, quand la mort guette à tous les instants, que nous cherchions dans le plaisir charnel, le moyen d’oublier, un moment, cette sinistre réalité.
Le fracas qui m’entoure efface le souvenir, je regarde ce corps qui m’a donné tant de joie, agité par les dernières convulsions de la vie, qui gît à quelques pas. Je dois faire un cauchemar. Je n’ai pourtant aucun élan pour voler à son secours, pour porter ma main sur son cou afin d’empêcher sa vie de fuir par l’ouverture béante d’où le sang gicle en saccades de plus en plus irrégulières. Inutile, c’est trop tard. De plus, je mettrais ma propre vie en péril. Je me hais.
Pas le temps de s’apitoyer. Les balles sont des frelons porteurs de mort. Des explosions font des cratères de volcans qui crachent des paquets de boue. La fumée et l’odeur de poudre brûlent les yeux et piquent la gorge. Des cris, des gémissements commencent à se faire entendre, aussitôt couverts par le tumulte des armes. Les Boches sont plus nombreux que ce matin, mieux organisés aussi. Ils nous ont tendu un piège. Nous n’avons rien vu. Maintenant ils nous canardent comme à l’exercice. Sur ma gauche, quelques-uns de nos chars font mouvement en direction de l’adversaire, soigneusement dissimulé dans un sous-bois. J’ai l’impression qu’ils avancent au ralenti. Bordel de merde ! Ils pourraient se presser. J’ai juste le temps de noter que l’un d’eux, touché de plein fouet, vient de s’immobiliser dans un nuage de fumée. Puis il explose, dans un fracas d’enfer, projetant à l’entour, des morceaux de métal incandescents. Brutalement, c’est le noir.
*
* *
J’ouvre difficilement les yeux. La première chose que je vois, en même temps que je reprends conscience, c’est le cadavre de Charles, les yeux vitreux. J’ai envie de vomir. Il a plein de mouches sur le visage. Autour de moi, le parfum fade de la mort. Doucement, je détourne la tête. La vision d’horreur disparaît. Je ne dois pas être blessé ; je n’ai pas mal. Si, un peu tout de même. Une pulsation lourde au niveau du crâne. J’ai dû être assommé par un éclat métallique. Mécaniquement, ma main obéit aux ordres de mon cerveau. Mes doigts tâtent ma tête. C’est légèrement douloureux. Je les retire plein de sang. La stupeur me met sur mes genoux ; je réalise pourtant que je dois la vie à mon casque. Perforé, il n’en a pas moins amorti le choc.
Tout autour de moi, j’aperçois les traces du combat. Six des nôtres sont restés sur le carreau. Ils gisent, éparpillés dans la posture grotesque où la mort les a fauchés. Un à un, je les reconnais. J’ai du mal à me retenir de pleurer. Plus loin, le char continue de cracher des volutes de fumée noire. J’ai besoin de toutes mes forces pour crier :
— À l’aide ! Secourez-moi !…
J’ai le silence pour seule réponse. Un silence lourd, angoissant, qui me donne la mesure de ma solitude.
— Je vous en prie, répondez-moi !
Le chant d’un oiseau, dans le lointain, semble me narguer. La peur me mord le ventre. Ils sont partis. Ils m’ont cru mort. Ils m’ont abandonné. Je suis à la merci du premier ennemi qui viendrait à passer. Dans un geste réflexe, je retrouve mon fusil, dans l’herbe, à mes côtés. Le contact froid de la crosse me rassure un peu. Lorsque je me redresse, je lutte contre un étourdissement.
Machinalement, je retire mon casque. Un éclat métallique tombe sur le sol avec un bruit cristallin. Il n’a fait qu’écorcher le cuir chevelu. Cette constatation me redonne de l’assurance ; je croyais que c’était plus grave. Je fouille l’horizon. Décidément, je suis bien seul. Il me faut absolument retrouver mon unité au plus vite. Je souris. Je me compare à un poussin qui cherche l’aile protectrice de sa mère.
J’ai une idée. Je n’ai qu’à suivre les traces des chars qui marquent la terre grasse. Il faut me hâter. Le soleil est déjà bas sur l’horizon. J’ai dû rester inconscient deux ou trois heures. Un coup d’oeil à ma montre me révèle qu’il est dix-sept heures. Je dis à haute voix :
— Allons, en route…
J’ai un dernier regard pour le corps de Charles. Je voudrais lui donner une sépulture décente, ainsi qu’aux autres copains qui dorment de leur dernier sommeil, dans l’herbe verte. Je n’en ai pas le temps. Désabusé, honteux, je me mets en marche en culpabilisant.
Inzell – 30 avril 1945
La nuit est presque totalement tombée. J’ai suivi les traces des tanks jusqu’au moment où le sol est devenu trop pierreux pour conserver des empreintes. J’ai continué tout droit, au hasard. J’avance, co