129
pages
Français
Ebooks
2013
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Ebook
2013
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Publié par
Date de parution
13 décembre 2013
Nombre de lectures
95
EAN13
9782365752329
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
2 Mo
Encore un roman agricole... Oui mais pas que ! L'âme paysanne y tient une bonne part et le jeune et naïf Parisien qui arrive à la recherche d'un surprenant passé familial s'y frotte et s'y pique ! Difficile de découvrir la passion quand Marie, la jolie chef de culture d'un grand céréalier trop tôt retraité, s'attache viscéralement à cette terre de Beauce sous laquelle couve la lave de la colère des hommes.
Publié par
Date de parution
13 décembre 2013
Nombre de lectures
95
EAN13
9782365752329
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
2 Mo
Jean-Claude Ponçon
Blé dure, blé tendre
Roman
CHAPITRE 1. AURÉLIEN
Ça m’a pris comme ça, j’ai balancé un coup de savate aux moineaux et aux pigeons qui cassaient la croûte sur le trottoir, en disant : « Je me tire ». Ras-le-bol brutal du train-train de mon existence. Le garçon de café qui balayait d’un coup de torchon la table d’un client matinal s’est retourné…
Autour de moi une poussière de soleil donnait à la rue une lumière diffuse. L’air tiède incitait les filles à échancrer leurs corsages, à quitter leurs jeans étroits pour des transparences légères qui attiraient mon regard... Les derniers camions des boueux déboulaient encore pour aller vite dégueuler leurs chargements... Le Quartier Latin respirait la fin des cours, les cars de touristes déchargeaient leurs troupeaux de visiteurs.
C’est devant la fontaine Saint-Michel que j’ai pensé à cette mystérieuse maison de campagne.
Pourquoi pas ? Les clefs, suspendues à un clou dans ma chambre, attendaient depuis la mort d’Isabelle, Isabelle c’est ma mère. J’ai fait demi-tour pour aller chercher ces clés oubliées.
La rue Soufflot, le Boul’Mich, la fac de droit, j’y fais l’étudiant, un anonyme, une ombre des amphis qui traverse l’année sans éclat, un neutre du résultat... Ma dernière année... Il me fallait maintenant choisir, m’orienter... Peut-être la procédure civile... Le côté tordu de la loi m’attirait.
Depuis trois ans, je vis une routine universitaire. Au petit matin livraisons pour la maison Guérin-Gosson de Saint-Denis : bières, cocas et autres boissons à bulles. J’en sais plus sur les caves des bistrots qu’en droit romain ! Après les livraisons, direction la fac, les partielles, les restaus U et retour dans ma piaule rue Legendre, une chambre que mon géniteur m’a laissée en partant pour le Sénégal avec sa blonde. Elle m’horripilait sa blonde avec son air prout-prout-ma chère. Ça m’a pris à l’heure de midi, l’impulsion, l’envie irrésistible, une sorte de besoin aveugle comme la colère, un désir soudain de tout foutre en l’air. Cette autre vie dans la même maison, les mêmes meubles, les mêmes rideaux qu’avant et l’autre maintenant, me devint insupportable d’un seul coup. En revenant de la fac, je venais de poser mon sac sur un fauteuil « pas sa place votre sac sur le fauteuil » c’est ce qu’elle a dit, l’événement déclencheur, pas ma place non plus dans la maison, la violence m’a empoté, j’ai frappé. Au tapis la blonde. J’ai attrapé mon sac et la porte.
Il me restait les libertés d’une vie d’étudiant pauvre, la nostalgie et quelques petits bonheurs de hasard. Depuis trois ans je n’ai connu qu’une fille, elle cherchait un logement, elle a aimé ma chambre, elle en a trouvé une autre au bout d’un mois ! Depuis, rien. Pas le temps, pas les moyens de cavaler avec les bandes qui font les bons soirs de la rhumerie du boulevard Saint-Germain…
De la maison j’étais parti sans valise, ça arrangeait mon père et la blonde, mon escapade, enfin seuls ! Il a fini par me laisser la chambre de bonne de la rue Legendre. J’avais 18 ans à l’époque, à peine, j’ai survécu avec le petit pécule qu’il m’adresse tous les mois, une sorte d’aumône pour sa bonne conscience... C’est pour ça que je trimbale des caisses de bière tous les matins, pour assurer, comme on dit, le minimum vital.
Rue Legendre gare d’Austerlitz, déjà un joli voyage. Dans la poche, les clés de cette maison dont l’évocation importunait mon Jean de père. J’ai marché à l’estime, d’une rue l’autre, l’esprit en balade avec une sorte de vague à l’âme, surpris parfois par le passage d’une fille dans un éblouissement de soleil, par le cri des freins d’une voiture sur le bitume, par une façade d’un autre âge... Manège des images…
Je me suis arrêté sur le pont Henri IV, le regard emporté par le miroitement de l’eau glauque, je me suis demandé si la vrai raison de la mort d’Isabelle ne se planquait pas dans cette campagne inconnue. Officiellement on avait dit déprime, mais peut-être que mon envie d’aller là-bas n’était pas faite que du besoin de changer d’air.
Je me suis retrouvé le long des grilles du jardin des plantes... Le hurlement d’un loup m’a surpris à l’angle de la rue Cuvier et du quai Saint-Bernard... La gare, un peu plus loin m’attendait. Devant le panneau des départs, j’ai lu : « T.E.R. Anneau – Voves – Bonneval – Châteaudun – Vendôme – départ 11h52 voie 25 »
Le T.E.R. s’ébranla en ronronnant. Je laissais Paris et ses murs, puis la banlieue et ses essaims de pavillons derrière moi.
Je me sentais léger, délivré de je ne sais quoi, comme si je ne devais jamais revenir. Après Dourdan, le train s’enfonça dans une tranchée verte, entre deux haies de buissons touffus qui cachaient par intermittence la fuite insaisissable des arbres. La voix nasillarde du haut-parleur lançait des noms : Auneau... Voves... C’est là, à Voves que j’eus l’impression de reconnaître quelque chose, un hangar, la silhouette d’une usine... J’étais peut-être passé par-là avant de naître puisque depuis ma naissance mes parents ne sont jamais retournés là-bas…
Une fille qui regardait tout à l’heure le panneau des départs, descendit. Une dizaine d’ados s’accaparèrent bruyamment du wagon. Ils devaient sortir d’une école. Une jeune fille me regarda un instant, puis elle chuchota à l’oreille d’une copine, toute la bande se retourna vers moi en riant. J’ai simulé l’indifférence... Quelques années me séparaient de ces collégiens, quelques années seulement, pourtant ils me paraissaient étrangers, comme si cet écart creusait entre eux et moi un fossé déjà infranchissable. Leurs téléphones, leurs pantalons bouffants sur leurs culs comme des culottes de zouaves. Les filles déjà fardées comme des mannequins. Tout me séparait d’eux.
Le T.E.R. glissait sur un rythme syncopé au milieu d’une plaine immensément verte, éclairée par les champs de colza jaune citron. Je regardais cette Beauce dont on parlait parfois à la maison avant la mort de ma mère... C’était son pays à elle, elle avait dû, avant de mourir, regretter de ne plus y venir, je me suis demandé encore une fois pourquoi nous n’avions jamais fait le voyage.
À l’arrêt suivant, un employé sur le quai cria Bonneval ! Le wagon se vida un peu plus, devant moi, peut-être par provocation, les deux filles qui se parlaient à l’oreille tout à l’heure commencèrent à s’embrasser ! Paris, province, même combat !
À nouveau le train plongea entre deux rideaux d’arbres. Je réalisai que dans quelques minutes, il me faudrait retrouver cette maison que je ne connaissais qu’à travers les albums photos consacrés à la famille, aux vacances, photos troubles de mes grands-parents, photos sépia d’une autre époque, photos d’une maison toute en longueur, photos d’un jardin, images fuyantes dans ma mémoire, déformées par mon imagination.
Châteaudun ! Je suis entré dans une salle d’attente tapissée d’affiches et d’horaires. Elle se vida en quelques minutes. Tous savaient leur chemin par cœur. Les deux filles embrassèrent leurs mères déjà postées à leurs volants, elles disparurent, elles aussi…
Je me retrouvais seul sur un parking désert et je commençais à me demander pourquoi je faisais ce voyage idiot. Je doutais même du nom de l’endroit vers lequel je devais me diriger ! Ma mère disait, la maison de Paterne, Saint-Paterne quel drôle de nom ! Je ne possédais que ce nom-là et des clés dans ma poche.
À cet instant, un taxi arriva en trombe, une femme en descendit, ses talons claquèrent sur le bitume, elle disparut dans l’ombre de la salle d’attente.
Par la vitre baissée, j’ai demandé au chauffeur :
– Saint-Paterne c’est loin ?
– Une dizaine de kilomètres.
J’ai laissé le taxi m’emporter.
CHAPITRE 2. AURÉLIEN
J’y suis ! Malgré le soleil qui transperce les pièces par les fenêtres ouvertes, cette maison résonne encore du froid de l’hiver. Le moisi, l’humide, la solitude, la grisaille, s’y côtoient. L’abandon suinte des murs. Je me suis encore demandé ce que je faisais là ! Paris me semblait un havre de lumière et de douceur ! L’envie de repartir me poursuivait depuis que la porte d’entrée s’était ouverte en frottant sur le pavé. J’avais traversé l’une après l’autre les quatre pièces en enfilade puis je m’étais assis sur le fauteuil d’osier où mon père, mon grand-père, durent s’asseoir eux aussi, mais aucun écho, aucun fantôme du passé ne me rendit visite. Le cerveau en panne, j’essayais sans y parvenir d’imaginer ma mère devant ce grand vaisselier ridicule, aux portes ornées d’une scène de chasse à cour en relief, c’est là qu’elle s’amusait avec ses poupées qu’elle courait d’un bout à l’autre de cette maison… <