La Demoiselle
297 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
297 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Sur ce causse sauvage de la région de Mende, l'hiver isole de longs mois la ferme de Chaumette. L'été, il faut lutter contre la sécheresse. Sur ce plateau désolé vit, avec valets et servantes, la famille Combes, des paysans aisés.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 82
EAN13 9782812916489
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La notoriété deMarie de Palets’est développée à l’heure de la retraite, lorsqu’elle a abandonné son stylo rouge d’institutrice pour sa plume d’écrivain. Lozérienne de racines et de cœur, elle met en scène sa province d’origine dans ses livres, dans lesquels elle dévoile sa connaissance intime du monde paysan d’autrefois. Un succès mérité jamais démenti.
LADEMOISELLE
Du même auteur Aux éditions De Borée Amandine Céline, une vie toute simple La Demoiselle La Tondue, Terre de poche L’Enfant oublié, Terre de poche Le Sentier aride, Terre de poche Les Terres bleues Le Village retrouvé Mademoiselle Fine Retour à la terre Sidonie des Bastides Tistou Un chemin de rocailles
Les Moissons amères
Autres éditeurs
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris. © , 2011
MARIE DEPALET
LADEMOISELLE
I
Alban
E VENT SOUFFLAIT fort. Il soulevait les feuilles mortes. Elles mont aient, en L spirale, sous les rafales, puis retombaient sur le sol avec un bruit de crécelle qui couvrait les hurlements de la bise. Le sentier serpentait tout le long de la colline. I l n’aboutissait nulle part, mais s’enfonçait dans tous les coins et recoins de cette butte élevée. Il croisait d’autres chemins, comme lui, qui en rencontraient d ’autres et, après avoir ainsi couru toute la colline, certains se perdaient dans les herbes, d’autres aboutissaient à la grand-route et à la vie civilisé e.
Il suffisait, pour descendre dans la vallée, de sui vre cette route ou plutôt ce chemin qui s’élargissait, vers le fond, en même tem ps qu’il s’encombrait de cailloux et devenait plus difficile. L’homme s’arrêta et laissa son regard survoler le p aysage que l’automne, à son apogée, éclaboussait de couleurs. La Nize traçait une ligne de verdure presque droite , ses moindres méandres repartant à l’horizontale. L’exiguïté de la vallée dont le versant de l’Ébés commençait à son lit, la forçait à couler sans musa rder. Des peupliers, raides comme des cierges, jetaient, vers le ciel, leur flamme jaune, tandis que les érables tachaient de rouge le s haies dispersées, çà et là, délimitant les cultures.
L’homme s’assit sur un gros bloc de pierre taillée et contempla la vallée. Il était las, terriblement las. Ses jambes refusaient d’avan cer, ses yeux ne distinguaient plus les détails, ses doigts noueux, rongés de rhum atismes, refusaient de s’ouvrir complètement et sa tête, de temps en temps , faisait danser la sarabande à tout le paysage qu’il admirait… « Je suis trop vieux, pensa-t-il, rien n’est plus c omme avant ! » Il ferma les yeux et se remémora, sans les regarder, les villages qui s’étalaient à ses pieds.
Lanuéjols gardait l’entrée de la vallée après la de scente du Masseguin… Il songea au mausolée — un tombeau romain, disait-on, que les autorités venaient de sortir de terre et dont la taille des pierres ét ait impressionnante. Il devinait Brajon, caché dans un repli de terrain, et Vitrolle s et Vareilles, petits hameaux aux maisons basses et voûtées… Finiols, le Vialas n ’étaient que des mas. Devant lui, le château du Boy avait fière allure… Plus bas, les villages de Langlade, Brenoux, Venède , Saint-Bauzile, Rouffiac et Balsièges s’égrenaient au bord de la route qui v enait d’être refaite, pas très loin de la Nize aux eaux limpides.
En face de lui, sur l’autre butte, s’étalait Montia loux, dont le château branlant le narguait de toutes ses tuiles et tourelles… Il revi nt en arrière et se rappela que, juste au milieu du paysage, il y avait, enserré par les deux rivières, la Nize et le
Bramont, le minuscule causse de Balduc, où se trouv ait la chapelle d’un saint, invoqué par temps de sécheresse, saint Alban, dont il portait le nom… Il rouvrit les yeux. Tout était bien comme il l’ava it toujours connu, sauf qu’il avait oublié, à ses pieds, le petit village de Mala val, dont les eaux claires cascadaient en un minuscule ruisseau chantant !
Il se leva péniblement, tourna le dos à la vallée e t porta son regard sur l’amoncellement de pierres, de buissons et d’arbust es qui remplissaient toute la colline où il se trouvait. Il examina le rocher sur lequel il était assis. C’é tait une pierre calcaire, comme le causse en était rempli, qui avait été taillée et façonnée pour devenir un angle de muraille, de cheminée, de porte ou de fenêtre, i l ne savait trop.
Il se pencha : c’était du bon travail, une œuvre fa ite pour durer ! Il se rappela que son oncle Urbain, le savant, celui qui enseigna it le grec et le latin, lui avait raconté que le lieu où il se trouvait avait été le château d’un évêque dont il ne se rappelait plus le nom. C’était, paraît-il, un superbe château qui dominait et surveillait toute la vallée… Lorsqu’il était enfant, l’oncle Urbain lui avait fa it admirer un pan de mur, d’une construction remarquable, disait-il. Il parcourut des yeux les ruines amoncelées, mais s es souvenirs n’étaient pas au rendez-vous et il n’arriva pas à se rappeler où se trouvait cette muraille !
Le vent se calmait maintenant que le soleil baissai t à l’horizon. Le vieil homme pensa qu’il était temps de rentrer, mais il ne boug ea pas. Qu’irait-il faire à la ferme où l’on n’avait plus besoin de lui ? Il secoua sa tête blanche et jura : « Qu’ils en fas sent du travail ! Ils n’en feront jamais autant que moi ! »
Il revint s’asseoir sur la pierre et contempla enco re la vallée… Il se revit, enfant, à cette même place, avec sa ribambelle de f rères et de sœurs. Ah, ce n’était pas triste, en ces temps-là !
Un bref éclat de rire vint mourir à ses lèvres. La descente vers Lanuéjols pour le catéchisme, quelques journées d’école en plein h iver et la messe du dimanche étaient autant de parties de plaisir ! Surtout quand la neige voltigeait et 1 que les sabots, aux aspes lisses, glissaient sur le sol gelé ! Ah oui, il le connaissait le chemin pour descendre en bas ! Même s’il savait que la vallée ne vaudrait jamais son causse, il éta it content d’y aller, de temps en temps, pour y rencontrer les autres, ceux d’en b as, ceux qui avaient de l’eau à volonté et une herbe grasse, mais manquaient d’ai r et de liberté !
Lui, le caussenard, il devait boire l’eau qui, pend ant les étés brûlants, croupissait au fond de la citerne. L’herbe qu’il ré coltait était fine comme les aiguilles et ne montait jamais très haut, mais, ils pouvaient s’accrocher, dans la vallée, leur herbe n’aurait jamais le parfum de cel le qu’il engrangeait, quinze jours après la leur ! De même, leurs yeux buteraien t toujours contre les versants de leur chère vallée… Lui, il pouvait laisser couri r son regard vers des espaces illimités !
Il n’avait qu’à avancer de quelques pas pour domine r la ville de Mende et les villages qui lui faisaient suite, vers le nord. Il pouvait contempler, les yeux dans les yeux, le T ruc de Fortunio, le Signal de Randon et d’autres élévations dont il ne connaissai t pas les noms !
Si, à l’instant même, il soulevait les paupières, c ’était mont Lozère qui lui sauterait au visage avec les deux mamelons de Vénus qui dominaient les Bondons et, encore plus loin, des vapeurs bleutées qui se perdaient en direction de la Méditerranée. Non, la vallée, à ses yeux, n’égalerait jamais le c ausse… Il soupira et songea avec nostalgie à la pauvre Sylvie, sa défunte épous e… Comme elle s’en était moquée de ses idées ! Elle appelait ainsi les rêver ies qui venaient, disait-elle, le visiter plus souvent qu’à son tour !
C’est vrai qu’il aimait son causse et ne s’en cacha it pas. Il avait même, plusieurs fois, cloué le bec à ceux d’en bas qui pr étendaient que le causse était un désert, tout juste bon à faire brouter quelques vieilles brebis ! Ah, ils pouvaient parler, eux qui n’étaient même pas capabl es de connaître leurs bêtes comme lui connaissait les siennes ! Ils ne pensaient qu’à leurs vaches. Les brebis ne m angeaient que ce que voulaient bien leur laisser ces bestiaux ! Pour lui , les ovins étaient ses bêtes préférées, et il n’aurait aimé rien tant que suivre son troupeau, cape sur l’épaule, bâton à la main et chien sur les talons ! Hélas ! même enfant, cela lui avait été refusé. Il allait devenir le patron et se devait à des tâches plus hautes.
Ses parents lui avaient enseigné la fierté et les d evoirs du propriétaire après que ses deux frères aînés, morts à quelques mois d’ intervalle d’une mauvaise toux, l’eurent laissé seul héritier en face de quat re filles qui avaient quitté le causse, au bras de leur mari, nanties d’une belle d ot. Seule, sa sœur Augustine était entrée au couvent. Il avait hérité de tout : de cette ferme de Chaumet te qu’il aimait tant, des champs et des bêtes, des domestiques et des servant es, mais aussi de la place sociale… Il avait été marguillier à l’église et adjoint au m aire à la mairie. Il avait occupé ces deux charges avec toute la solennité et la droi ture que l’on attendait de lui.
Il rêva un moment à sa vie si bien remplie. Il song ea que son fils la reprenait et allait la continuer alors que lui s’enfoncerait dan s la vieillesse. Ses rhumatismes le tracassaient, ses jambes flageolaient, sa tête é tait lourde et ses idées n’étaient plus claires comme elles l’étaient autref ois !… Il sentait bien que ses années étaient comptées, et il s’en irritait. Non p as qu’il tienne tant à rester sur la Terre ; non, mais il savait qu’il avait encore des choses à régler et cela le tracassait !
Une brusque rafale mit un terme à sa rêverie et il se leva pesamment. Il contempla la pierre qui lui avait servi de siège et repensa au château de l’évêque qui était devenu une ruine. « Ah ! se dit-il, les châteaux sont comme les homme s : ils vivent un temps et
puis il n’en reste plus qu’un peu de poussière. »
Quand il pénétra dans la cour, les domestiques déte laient les bœufs et les menaient à l’abreuvoir. L’auge, remplie de l’eau de la dernière pluie, se ridait sous le souffle du vent. Les bêtes la flairaient av ant d’y tremper leur museau asséché. De grands tombereaux de pommes de terre, remplis à ras bord, stationnaient près de l’entrée de la cave. Firmin et Brumaire sou levaient délicatement la planche arrière et faisaient tomber les tubercules dans un grand panier qu’ils empoignaient, chacun d’un côté, et transportaient à l’intérieur.
Il s’approcha et regarda la récolte : pas fameuse ! La pluie avait manqué… Les pommes de terre étaient, cependant, abondantes mais de petite taille… Allons, la provision n’était pas négligeable : on pourrait passer l’hiver tranquilles et ne pas descendre dans la vallée pour s’approvisionner ! Il sourit, malgré lui. Il n’aimait rien tant que no urrir bêtes et gens avec les produits de la ferme. Le vent qui soufflait, annonç ant l’hiver, le chassa, et il gravit pesamment les escaliers de pierre pour chercher refuge au « cantou ».
Il y avait là son fauteuil, un vieux fauteuil d’osi er où son père s’était assis avant lui et où on l’avait trouvé mort, un soir, en rentrant des champs… Parfois, il pensait que ce serait bien de finir sa vie ainsi, e n attendant le retour des travailleurs.
Ce soir, ses rhumatismes lui rappelaient qu’il ne f allait pas s’attarder dehors ; que ce fichu vent d’ouest — la trabesse, comme on l ’appelait — venait réveiller ses douleurs… Il poussa la porte et regarda Claire, sa petite-fil le, qui mettait la table. Âgée de dix-huit ans, mince et brune, elle semblait flotter dans sa robe noire qui ne lui découvrait que les chevilles. Elle leva la tête et leurs regards se croisèrent. Elle ne dit rien, mais il crut voir son visage s’illumin er.
En s’asseyant au coin de l’âtre, il se demanda une fois de plus à qui pouvait ressembler cette gamine si mince et si brune alors que son père, son propre fils de lui, Alban, était grand et roux, et sa mère, blo nde et bien en chair ! Elle ne serait jamais une beauté, se dit-il, mais, comme po ur démentir ses pensées, Claire leva les yeux sur lui et le vert profond de ses prunelles, où scintillaient des paillettes d’or, donna à son visage trop allongé un éclat incomparable. « Je me suis trompé, pensa-t-il, elle est vraiment belle, mais elle ne fait rien pour qu’on le remarque ! Elle ressemble à ma défunt e ; alors, tout s’arrangera pour elle ! » Il se tassa dans son cantou, ferma les yeux et cont inua ses rêveries, tandis que Claire étalait les assiettes des maîtres et se contentait de sortir, des grands tiroirs, les écuelles de tous les domestiques, serv antes et autres journaliers qui vivaient à la ferme.
1.Aspes : ferrures clouées aux sabots pour éviter l’usure.
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents