A demain sous l arc-en-ciel...
378 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

A demain sous l'arc-en-ciel... , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
378 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Tandis que Khaled, ouvrier agricole, tente de faire le deuil de sa femme et de son fils – lui qui avait eu tant de mal à avoir un enfant –, les pouvoirs locaux doivent décider de la réouverture d’une usine fermée depuis deux mois. Deux journalistes, Bob et Julien, se penchent sur l’affaire... Pesticides. Envie d’enfant. Perturbateurs endocriniens. Gamètes perdus. Et de l’argent, toujours plus d’argent... Nous rappelant que la France est aujourd’hui le premier utilisateur européen de pesticides, Bruno Riondet signe un roman éco-citoyen qui vient dénoncer les dérives d’une mondialisation en roue libre. Richement documenté, instructif et inquiétant, son opus n’oublie cependant pas le principal : s’il décrypte un monde malade, il reste à hauteur d’homme en privilégiant une galerie de portraits touchants d’humanité.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 26 octobre 2012
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748394351
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0082€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

A demain sous l'arc-en-ciel...
Bruno Riondet
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
A demain sous l'arc-en-ciel...
 
 
 
À Boris, Guillaume, Barbara, Édith : leurs encouragements sans cesse renouvelés sont un moteur précieux.
 
À Mireille : son regard critique et toujours constructif a grandement enrichi la palette des émotions.
 
Que serai-je sans toi Qui vins à ma rencontre …
 
 
 
I
 
 
 
Elle a sûrement rejoint le ciel
Elle brille à côté du soleil
Comme les nouvelles églises
 
Les voies sont chaudes. Sobres. Presque dépouillées. À l’image des lieux. Frais, sans être trop austères.
 
Mais si depuis ce soir-là je pleure
C’est qu’il fait froid dans le fond de mon cœur.
 
— Pour nous aussi, il va faire froid dans nos cœurs. Et pour longtemps.
 
Deux couples, la soixantaine, ont une mine aussi sombre que leurs costumes.
C’est pas vieux, soixante ans. Les rides que la vie a déjà creusées sur leur visage présentent un relief saisissant. Ils entourent Khaled, mais leur regard évite soigneusement de croiser le sien.
Fatima se tient derrière son frère. Comme s’il allait tomber et qu’elle devrait le retenir. Sans se douter qu’elle ploierait certainement sous le poids de Khaled emporté dans sa chute.
Sur le côté gauche, les deux frères de Clémence et sa sœur regardent des photos sur un appareil numérique. Pour retenir le temps. Avant qu’il ne s’enfuie. Pour conjurer le sort. Comme s’il en était encore temps. Trop tard. Il ne reste plus qu’à épingler ses souvenirs sur les murs gris de l’absence.
Sur le côté droit, Estelle et Simon tentent vainement de maîtriser leur respiration. La retenir, lui tordre le cou. Mais elle aussi leur échappe. « C’est trop con, se répète Simon. Trop con ! »
Estelle et Marianne essaient de reprendre :
 
Le monde a tellement de regrets/ Tellement de choses qu’on promet/
Une seule pour laquelle je suis fait/ Je t’aimais, je t’aime et je t’aimerai
 
Elles s’arrêtent de chanter. Une chape de plomb recouvre l’assistance. Le plafond est bas. Aussi bas que le plafond nuageux, ce jour de printemps, dans la cuvette grenobloise.
Quelques pigeons, pas gênés, font leur crotte à une vingtaine de mètres, dans le champ du recueillement. Au loin, les grues du lotissement « Bon départ » continuent leur manège incessant. De temps à autre, l’air est déchiré par quelques sirènes hurlantes des pompiers.
Khaled s’est avancé de quelques pas, vers un meuble bas. Deux photos entourent une date : 10 mai 2008.
Une carte accompagnant un bouquet exprime les excuses des Dupuy. En déplacement en Tunisie, ils avaient néanmoins tenu à envoyer des fleurs.
La mère de Clémence et celle de Khaled se sont rapprochées, leur peine à l’unisson. Elles essaient de se soutenir mutuellement. Les pères, moins expansifs, comme des hommes, semblent en retrait.
 
Et quoique tu fasses/L’amour est partout où tu regardes
 
Les deux filles ont du mal à enchaîner. Leurs voix sont couvertes par des sanglots retenus. Khaled les aide, les yeux fermés, totalement ailleurs. Florian aimait tellement le voir chanter cette chanson de Cabrel.
 
Dans les moindres recoins de l’espace/ Dans le moindre rêve où tu t’attardes
L’amour comme s’il en pleuvait/Nu sur les galets
On entend, un peu assourdi, le bruit des flammes qui emportent Clémence et Florian. Loin, très loin. Tout au bout de la nuit.
Khaled se doutait bien qu’il ne vivrait pas, ce matin, une partie de douceur. Estelle l’avait prévenu.
Mais ce que ressentent, à cet instant, ses viscères sont à mille lieux de ce que peut faire ressentir un médecin légiste à un corps en autopsie. Il se sent transpercé. Dépossédé d’une partie de lui. Et curieusement aussi soulagé d’un poids.
 
 
Le maître des lieux interpelle Simon de la main. Celui-ci contourne le groupe, s’avance et sort un papier de sa poche. Sa tenue étonnamment classique tranche avec ses habitudes vestimentaires habituelles.
Il avait tenu à lire un texte que Clémence aimait. De Rimbaud, l’un de ses poètes préférés.
Il avait choisi le dormeur du val. Mais seulement la fin.
 
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
 
Il fait un signe à un homme près d’un meuble technique. L’homme se penche et lance une musique. Quelques notes de Keith Jarrett emplissent la pièce. Musique épurée pour ambiance éthérée. Mots relevés pour vies enlevées.
 
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
 
Les bras chargés de l’urne, Khaled embrasse chaque membre présent. Comme un fantôme qui aurait pris corps dans un automate transparent. Décharné. Aphone, désarticulé. Comme un étranger devenu étrange à ses propres yeux. En regardant Marianne, il revoit des yeux semblables à ceux dans lesquels il a si souvent plongé.
— Tu ressembles trop à ta grande sœur.
Mais il n’ose pas le lui dire. Pas une nouvelle fois. Pas ici. Pas aujourd’hui.
Depuis ce matin, les parents n’ont pas dit un mot. Leur larynx est bloqué sur le mode « sécurité ». Rien ne passe, ni l’air, ni les mots. Pas même les sentiments. Le cœur est au chagrin, la tête à la révolte. Les mains à l’incompréhension résignée. Madame et monsieur Bobin s’en remettent à leur Dieu respectif, leur fils s’en remet au vide. Invoque le néant.
 
C’est Simon qui emmena Khaled à la gare de Lyon-Perrache. Il s’était proposé pour ce déplacement, car il avait de longue date retenu un rendez-vous professionnel, qu’il ne pouvait plus reporter.
Un silence glacial règne dans la voiture. Simon n’ose pas parler. Ni mettre de la musique. Ce qui ne lui ressemble pas. Et puis que dire ? À quoi servirait de dégeler la glace ? pour qu’elle recongèle aussitôt !
Sur le quai de la gare, un groupe scolaire anime bruyamment les espaces. L’enseignant de service arrive à grand-peine à maintenir rassemblé son petit troupeau. Un enfant, un peu à l’écart, joue de l’harmonica. Avec entrain. Et des accords pas tous vraiment accordés. On dirait du Bob Dylan déjanté accompagnant un western spaghetti.
— Franchement ! Un seul adulte pour autant d’enfants… l’Éducation Nationale fait vraiment des économies de bout de chandelle… se dit Khaled. Et si un enfant était percuté par un train ?
Cette pensée le fait frémir.
 
Simon esquisse, à leur vue, un léger sourire. Le respect de l’insouciance de la jeunesse est un principe intangible. Ontologique autant que déontologique. Il l’a toujours placé au panthéon de son éthique. Mais il refrène aussitôt son discret mouvement latéral des lèvres, en constatant Khaled toujours autant momifié.
— On s’appelle. Je ne veux pas que tu m’oublies. Et je ne veux pas t’oublier.
Khaled hoche la tête un peu mécaniquement. « C’est toujours ce qu’on dit, dans ces cas-là ».
— Tu avais enlevé ta boucle d’oreille ? lui demande-t-il, changeant de registre.
— Oui, répond Simon… je ne voulais pas choquer… surtout pas aujourd’hui.
— … Merci.
— Et puis, il faut qu’on se revoie. Qu’on parle d’elle. Qu’on parle de lui.
Hésitant : qu’on parle… de toi.
Simon pose une main fraternelle sur l’épaule de son ami :
— J’ai besoin de toi. Autant que l’inverse. N’oublie pas qu’on a besoin de toi. Nous tous.
— Je sais… tu l’as souvent dit… nous sommes uniques…
Simon sourit, heureux – pas peu fier, le Simon – que son « message », l’un de ses credos favoris, soit bien passé. La rencontre avec Albert Jacquard l’avait vraiment marqué.
— Oui, nous sommes tous uniques. Uniques et…
Khaled « replonge ».
— Et irremplaçables. Je sais bien… que je ne pourrai jamais les remplacer. Et ça, tu vois, c’est insupportable. C’est pas vivable.
Le visage de Simon change de mine. Sous l’ami, le confident, perce le médecin. Hippocrate n’est jamais très loin.
— Tu veux vraiment rentrer ? Tu crois que c’est sérieux Médicalement parlant, je m’interroge…
— Oublie la pharmacopée, doc. Laisse tomber Vidal. Je dois affronter la vie… seul… avant qu’elle ne m’affronte… et elle, elle ne me fera pas de cadeaux…
 
 
Khaled consulte le billet que Simon vient de lui remettre. Il monte dans le train. Voiture 18, place 75.
Il s’enfonce dans un fauteuil moyennement confortable – « cette voiture est en cours de privatisation », dira plus tard une voisine de compartiment, passablement agacée du peu d’entretien du wagon.
Il remonte son col roulé et rentre la tête dans les épaules.
Personne ne l’en fera sortir avant Poitiers.
Pendant ce temps, ses voisins de train s’enfoncent dans leur ipod qui les fait communiquer avec la planète. « Personnellement », paraît-il.
Le train s’élance. Les premiers roulis le font sombrer dans une somnolence moite. Une voix nasillarde informe la clientèle de la présence d’un wagon bar.
« Mesdames, messieurs, le chef de bord et son équipe vous souhaitent un agréable voyage ».
Trop tard, Khaled est déjà loin, en route vers sa nuit. Les rails, parfaitement parallèles, vont l’y mener inexorablement.
* * *
—  Non, reste. Encore cinq minutes !
— Mais ça fait une heure que tu me dis ça.
— On est dimanche. On fait la grasse matinée.
— J’ai pas l’habitude de faire la grasse matinée. Après, je suis fatigué toute la journée.
— N’importe quoi !
— Mais si, je t’assure.
— Alors, il faut t’entraîner. Tu aimes bien courir dans la campagne : tu t’entraînes. Et bien, la grasse mat’, c’est pareil. Il faut s’entraîner. Et aujourd’hui, première séance. Avec ta coach.
— Co

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents