Belle de Saintonge
178 pages
Français

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Description

Le jour où Justine rencontra Rodolphe Cantemerle était une de ces belles journées de printemps comme il n'en existe qu'en Saintonge... Mais dans cette fin du XIXe, où les barrières sociales sont réputées infranchissables, Rodolphe n'épousera pas Justine. Abandonnée et enceinte, rejetée par sa famille, elle n'a d'autre recours que de vendre son corps, malgré les suppliques d'Aurèle, le fils du châtelain, amoureux d'elle depuis toujours et prêt à tout pour la conquérir. Tout ? Eh bien, soit, qu'il lui rapporte sur un plateau d'argent la tête de Rodolphe Cantemerle et elle dansera pour lui !
Mais la vengeance de Justine est loin d'être assouvie. Les hommes l'ont trahie, les hommes l'ont humiliée, les hommes vont payer. À force de vices et de persévérance, elle deviendra Belle de Saintonge et s'imposera comme l'une des plus grandes courtisanes de ce début de siècle. Son cœur, elle le prive d'amour. Les hommes ne seront pour elle que le moyen d'accéder à la richesse. Mais elle n'avait pas prévu de retrouver Aurèle, évadé de Cayenne et venu réclamer le prix de son crime.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 12 janvier 2022
Nombre de lectures 0
EAN13 9782493078254
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Morgane Destrée
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.
Éditions l’Abeille bleue — 38 rue Dunois 75013 Paris
Collection l’Historienne effrontée
Retrouvez toutes nos parutions sur : https://editions-abeillebleue.fr
© Illustration couverture par Nicolas Jamonneau
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Il n’y a pas de Dieu, il n’y a pas de morale, rien n’existe de tout ce qu’on nous a enseigné à respecter ; il y a une vie qui passe, à laquelle il est possible de demander le plus de jouissances possible, en attendant l’épouvante de la mort.
[…]
Je vais vous ouvrir mon cœur, vous faire ma profession de foi : j’ai pour règle de conduite de faire toujours ce qui me plaît, en dépit de toute moralité, de toute convention sociale.
Je ne crois en rien ni à personne, je n’aime personne ni rien, je n’ai ni foi ni espérance.
 
 
Pierre Loti, Aziyadé
 

 
 
Chapitre 1
Le jour où Justine Mercier rencontra Rodolphe Cantemerle était une de ces belles journées de printemps comme il n’en existe qu’en Saintonge. Les collines, sous la caresse du soleil, avaient des allures d’aquarelle et les vignes ondulaient en une rectitude parfaite. Les ouvriers, dont on ne devinait que les dos courbés, emparaient les pousses inutiles. La Seugne, ensachée de nénuphars, serpentait entre les iris d’eau, les lys et les saules pleureurs. Le clocher blanc de l’église de Fléac s’élançait en flèche gracieuse vers un ciel d’azur chatouillé de flonflons poudreux. Sur la route de Saint-Jacques, les pèlerins traînaient leur foi infaillible, leur bâton et leur coquille vers Compostelle. Du toit de l’orangerie où elle s’était réfugiée, les jambes dans le vide, Justine s’enivrait de son doux pays de Saintonge. La chaleur de la journée qui nimbait la toiture se répandait dans son corps. Les cloches de l’église sonnaient les vêpres, mais elle ne croyait plus en Dieu, elle n’y croyait plus depuis la mort du petit frère.
Du faîtage dégringola Thérèse Boizeau, la fille du château. Elle trébucha sur une tuile, se rattrapa de justesse et se retrouva fesses en l’air, jupons retroussés. Justine rit en secouant ses cheveux annelés. Chaque fois qu’elle le pouvait, elle envoyait au diable sa bonnette empesée pour libérer le flot sauvage de ses cheveux rougeoyants et laissait le vent les coiffer à sa guise. Il semblait alors qu’un incendie se déclenchait autour de ses épaules. Thérèse rabattit ses jupes, rouge comme une pivoine. Elle s’avança vers le vide et tendit sa main vers la tache claire qui se mouvait dans le vert des pâturages.
― Justine, regarde là-bas, Zazabelle et son poulain !
La poulinière grise avait mis bas quatre jours plus tôt et son poulain bai foncé gambadait sur ses longues jambes autour de sa mère. Ce n’était pas son premier poulain et Zazabelle était une bonne poulinière. Ses produits racés tiraient les attelages de la famille Boizeau, les seigneurs du domaine de Valensac.
― C’est encore cet imbécile d’Aurèle qui va choisir son nom !
― Justine, pourquoi détestes-tu mon frère ?
― Il est suffisant et idiot, il croit que je vais lui tomber dans les bras parce qu’il est le seigneur du château. Je n’aime rien chez lui, ni ses yeux de vache ni sa bouche en feuille de chou. Et cette façon qu’il a de rougir et de bégayer pour un rien …
― Tu es injuste, il est amoureux.
Justine fit rouler ses boucles rousses parsemées de mèches d’or et froissa ses paupières pareilles à des ailes de papillon. Injuste ? Cet imbécile n’avait qu’à pas essayer de la bécoter dans la remise à outils. Il avait manqué de pleurer quand elle lui avait flanqué une gifle. Tiens, le voilà le crétin contrefait qui débouchait du bosquet d’aubépine avec sa gaule sur l’épaule et ses perches à la ceinture. Il comptait sûrement les offrir à sa mère.
« Madame Mercier, comment allez-vous ce matin ? Et votre arthrite ? Et Françoise, votre dernière ? Vous savez que je peux l’aider en arithmétique. J’ai croisé Justine ce matin, elle a l’air en forme. »
Non décidément, elle n’aimait rien de lui. Son regard chassieux et son sourire niai s l’horripilaient. Elle le chassa de son esprit et reporta son attention au loin, par-dessus le rideau d’arbres, là où la terre devenait trop commune pour les grands cognacs, là où les chevaux de trait affaissaient leur encolure sous le poids de leur collier entre les sillons calcaires.
Un klaxon enroué racla le granulat blanc de la cour, annonçant comme une tornade un de ses véhicules à propulsion mécanique, magie de la science. De la longue allée plantée de peupliers s’élevait un nuage de poussière duquel émergea l’engin. Son nez carré avançait comme un bec de canard et sa carrosserie rouge luisait d’un éclat indécent sous le soleil de cette fin de journée. Justine contemplait, fascinée, la créature venue d’un autre monde. Il lui avait déjà été donné de voir de tels engins lors de la grande course qui reliait Saintes à Cognac. Elle se souvenait avoir tremblé au passage des bolides qui frôlaient les remparts à près de vingt kilomètres à l’heure. Les pilotes de ces engins, qui risquaient leurs vies à chaque virage, étaient des héros et elle rêvait secrètement que l’un d’entre eux l’emm è ne sur son bolide. Le grondement de la machine vibrait dans tout son corps avec une exquise sensation de liberté.
― Regarde, Justine, un quadricycle à moteur !
C’était l’avenir. L’homme se fascinait de mécanique. Il voulait conquérir le monde, le ciel et la mer. Il voulait aller plus vite, toujours plus vite, encore plus vite, il voulait défier la mort en la battant à la course. Le rutilant animal avançait seul, infatigable, inébranlable, bien plus confortable que ces infernales diligences qui trimbalaient les humains comme de vulgaires marchandises, faisant fi des lumbagos et des hémorroïdes. Plus propre aussi. Avec elles, point de crottin ni de flaque d’urine, ces « voiturettes » étaient d’une propreté irréprochable, ne donnaient pas de coups de pieds, ne souffraient point de colique, ne s’emballaient pas dans le bruit. L’homme lui remontait le moteur telle une bo î te à musique et l’on aurait pu croire qu’une petite danseuse allait en sortir.
Captivée par l’engin motorisé, elle ne vit pas tout de suite le jeune homme qui en descendait. Il portait une veste prince de Galles couverte de poussière qu’il époussetait de ses gants, et des bottes de cuir qui lui montaient aux genoux. Sa tête, prisonnière d’un casque de fer recouvert de cuir, sans la moindre aspérité, ressemblait à un ballon de rugby, et ses grosses lunettes difformes lui faisaient des yeux de libellule. Sous un nez qui devait être fin se courbait une élégante moustache lustrée, dont la morgue et le dédain toisaient le monde paysan sans la moindre aménité. Habitué qu’il était des salons bordelais, il n’était pas réfractaire au fait de côtoyer les acteurs du monde rural. Les paysans bourrus ne s’encombraient pas de mœurs collet monté et leurs filles croyaient à peu près tout ce qu’on leur disait pourvu qu’on les laisse croire au prince charmant. Aussi souriait-il à pleines dents en posant le pied sur le sol de Saintonge, car déjà, il avait aperçu la chevelure de feu de Justine.
Les perches sautillaient à la ceinture d’Aurèle comme celui-ci, chien fougueux faisant fête à son maître, se ruait à sa rencontre. Le jeune homme ôta le curieux couvre-chef qui lui emprisonnait le crâne et déversa sur sa nuque une cavalcade de cheveux blonds qui accrocha aussitôt la lumière du soleil.
― C’est mon cousin Rodolphe ! s’écria Thérèse.
Du bas du muret qui séparait les habitants du château du commun des mortels, Françoise, la petite sœur de Justine, lui faisait de grands signes. La barbe ! Adieu tranquillité. Elle redescendit à contrecœur et traîna ses souliers troués vers les parties qui leur étaient assignées. Les douze ans de Françoise sautillèrent devant elle en faisant des grimaces invisibles aux gens du château. Une couleuvre vipérine fila contre le mur chaud dans un bruissement d’herbe. Thérèse revenait vers elle en courant.
― Justine, viens que je te présente mon cousin Rodolphe.
Thérèse remorqua son amie vers le jeune homme. Il riait d’un rire raffiné, comme il était rare d’en entendre dans la campagne et qui semblait à Justine saugrenu comme du cristal de Baccarat dans une taverne de port. Fouillant dans son esprit, elle ne se souvint pas avoir vu d’homme aussi élégant, même pas à Saintes, hormis peut-être dans la cohorte de cols blancs qui avaient accompagné le Président Félix Faure lors de l’inauguration des Galeries Lafayette en 1897.
― Rodolphe, voici mon amie Justine.
Le jeune homme rejeta ses épaules en arrière dans une rotation arrogante et dévisagea Justine des pieds à la tête. Il avait les yeux verts, de beaux yeux couleur émeraude, envoûtants et limpides, une bouche pleine un rien carnassière, un nez et des sourcils fins. Tout était délicatesse dans ses traits de citadins, jusqu’à sa cravate nouée autour de son cou avec une désinvolture cavalière. Sa bouche prit la tournure d’un sourire onirique et ses yeux brillèrent. Le cœur de Justine manqua un battement. Aurèle aussi avait les yeux verts, mais pour une raison incompréhensible, cela ne donnait pas du tout le même résultat. Les yeux d’Aurèle se perdaient dans une masse de traits insignifiants et grossiers. Le vert émeraude qui colorait les yeux de Rodolphe chassait d’un battement de cil le vert moldavite des prunelles d’Aurèle. Ce vert puissant emporta le cœur de jouvencelle de la jeune fille dans une course effrénée et elle sentit le rouge lui monter aux joues, ce qui lui arrivait rarement. Le B ordelais scruta l’œil d’or de Justine, considéra sa crinière rousse aux reflets cuprifères, aima l’ovale gracieux de son visage, devina chaque courbe de son corps suave et décocha son sourire le plus charmeur.
― Justine, c’est un très joli nom.

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