Belles en mai
184 pages
Français

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Belles en mai , livre ebook

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Description

Propriétaire d’une librairie parisienne, Elsa vit avec Jean. Ils veulent un enfant. Varia, chirurgien célibataire et bourreau de travail, tente de survivre à l’épreuve qu’elle traverse. Sur la côte Atlantique, Mona coule une retraite paisible. Les contingences vont ébranler leur univers et raviver des blessures enfouies. Ces trois femmes puissantes, liées par le sang, l’amitié et les hommes qu’elles ont aimés devront affronter leurs défaillances et faire des choix décisifs. Mai sera le mois de la renaissance.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 26 juillet 2013
Nombre de lectures 1
EAN13 9782332585813
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright




Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-58579-0

© Edilivre, 2013
Dédicace


A Arthur et Emma
Le monde fait peur,
les mots sont usés,
l’indifférence partout.
Combien de violons méritent l’arbre ?
Combien de poètes méritent
les pages impeccables des livres ?
Heureusement qu’il y a encore
Des gestes qui rapprochent,
et le cri strident de l’oiseau de paradis
suspendu dans le ciel.

Alexandre Romanès.
Extrait de Paroles perdues , NRF
1
Février
Les voies sur berges sont fluides. La pluie martèle le pare-brise et ruisselle en filaments sur la vitre latérale. Les arbres efflanqués défilent le long des quais. Elle ne reviendra plus à la clinique. La quatrième tentative l’a convaincue. Une corrosion de sa détermination comme une eau forte. Argerich joue Rachmaninov dans le poste. La Seine est couleur de terre. Elsa ferme les yeux et fredonne.
– Schubert ? hasarde Jean.
– A un siècle près tu n’es pas tombé loin… En même temps c’est du piano, réplique-t-elle amusée. Console-toi je suis nulle en botanique.
– Au final j’ai quand même plus de mérite. Les noms de mes plantes sont quand même plus compliqués à retenir que les compositeurs !
Elle pose sa main sur la cuisse de Jean. Souple et compacte sous les doigts.
Le souvenir de leur première rencontre aux Tuileries. Huit ans déjà. Sur un banc à l’ombre des tilleuls, elle partageait un sandwich avec des pigeons boulimiques. Il s’était assis près d’elle, lui avait tendu des œillets d’Inde volés dans le massif d’à côté. Vous permettez ? Tenez, elles sentent mauvais mais je n’aime que les fleurs interdites… Elle avait ri de l’apostrophe ambiguë et spirituelle, un rire franc et sonore. Il avait dit que ces fichus volatiles étaient des parasites, que leurs fientes mangeaient les pierres de la ville. Elle s’en moquait parce qu’elle regardait ses mèches brunes en tourbillons sur la tête qui lui faisaient penser à des algues. Et puis ses mains qui dessinaient quand il parlait, un ballet mirage. Ils s’étaient promenés et ils s’étaient revus. Il lui avait montré les terrasses perchées, les jardins au fond des impasses, les essences des parcs publics. Un après-midi d’août lumineux ils avaient grimpé les marches de Notre-Dame. Un Paris végétal insoupçonné floculait sur le zinc des toits chauffés à blanc. Le premier baiser, elle sur la pointe des pieds, ses bras à lui autour de sa taille comme une couronne. Elle avait eu le vertige. Le studio de Jean rue Oberkampf se résumait à sa planche à dessin. Il lui avait fait l’amour lentement. Attendre, il disait que c’était important. Elle avait vingt-huit ans, une maîtrise de lettres modernes en poche qui n’offrait pas d’avenir précis et une détermination au bonheur. Quant à lui, il venait de visser sa plaque d’architecte paysagiste dans un cabinet réputé, plein d’ambition et de projets. Ils ne s’étaient plus quittés. Il la trouvait décalée, originale, pétillante avec ses yeux marine et ses fulgurances humoristiques qui bousculaient les convenances. Elle admirait sa constance sa ténacité. Et toutes les petites choses que l’on partage avec l’assurance du regard de l’autre dont on n’a plus à se protéger.
– Comment tu te sens ? Ça va aller ?
– Que veux-tu que je te dise ? L’équipe n’excelle pas en psychologie de la procréation. On m’appelle, j’obéis. Ils sont là à s’agiter avec leur protocole. Moi j’ai l’impression d’être un morceau de viande écartelé. En fait, c’est carrément atroce. C’est indescriptible…
L’infirmière était venue la chercher. Un cerbère en blanc qui avait manifestement avalé sa vocation au petit déjeuner. Le vestiaire borgne, son corps frissonnant, les pieds sur le carrelage. Déshabillez-vous et enfilez ça. Elle s’était allongée sur la table électrique, les pieds dans les étriers en acier. Au plafond la lumière en halo aveuglant. Le calot du médecin oscillant au dessus du champ opératoire entre ses genoux comme un canot de sauvetage. Procréation Médicale Assistée … Possible Maternité Atroce… Purée Merde à l’Aide… Petit Moutard Attardé… Pas vraiment douloureux, juste la violence de sa propre docilité. La pipette passait par un orifice naturel mais l’intrusion était suffisante pour lui endommager le cerveau. Le drap jetable avait absorbé la sueur de son corps crispé, glacé comme les paillettes de Jean flottant dans le brouillard d’azote.
– Je suis désolé… A part être là, je ne sais pas quoi faire pour t’aider.
– Je suis la seule belle plante dont tu t’occupes qui ne donne pas de graine. Espérons que cette fois soit la bonne parce que je n’y retournerai pas.
Le ciel chargé d’orage. Au loin le champ de Mars, les parapluies des touristes en dragées criardes sur les pelouses. Elle pense à leurs siestes improvisées les jours de mauvais temps, ses mains ferventes sous les draps, ce triangle de craie au bas du ventre qu’elle aimait caresser. Ça c’était avant. Deux ans qu’ils ne faisaient plus l’amour mais tentaient de « faire un enfant ». Le désir en peau de chagrin sous la cloche des courbes de température, décapé par l’antiseptique des injections d’hormones. Et les fêlures maquillées par les sourires amènes pour épargner l’autre.
Elsa tire la langue à son image dans le miroir de courtoisie et noue son foulard autour du cou. Ils rentrent à la maison.
2
Avril
Varia pousse la porte de « L’Ecritoire », la librairie de la Place Colette. Elle embrasse les joues fripées de Francis qui gribouille des critiques « coups de cœur » sur de petits bristols.
– Bonjour Mademoiselle Varia, j’ai reçu votre commande.
Il lui tend le volume broché d’Helmut Newton.
– Et ça c’est un cadeau pour vous, dit-il en poussant un livre de poche sur le comptoir.
– Merci Francis, vous êtes un chou. « L’inondation » Zamiatine… Je ne connais pas.
– C’est très court, un bijou… Triste mais ça devrait vous plaire, répond-il en replaçant ses demi-lunes sur le nez.
– Les russes ne brillent jamais autant que dans le tragique. Encore merci. Elsa est là ?
– Dans la réserve, je vais la chercher.
Varia caresse le chêne des rayonnages, effleure les tranches de couverture. Entre les titres elle croise les fantômes de Murakami, les champs de cadavres enneigés de Chalamov, l’impossible résilience de Levi. Dans la bouche le goût de cendre d’un autodafé. « Tout l’opéra » de Kobbé sur un présentoir. Elle comprend la transcendance de la musique. Si elle était musicienne, elle composerait sa rage, son angoisse indicible avec une virtuosité barbare. Etre médecin excluait les avantages de l’ignorance. Le rayon photo. « Photographer’s life » d’Annie Leibovitz. Varia était subjuguée par le talent de l’américaine pour capter l’émotion d’une intimité quotidienne. Le souvenir précis du cliché noir et blanc au centre de l’ouvrage : allongée dans sa baignoire, Susan Sontag posant la main sur son sein amputé, la paume dérobant la cicatrice à l’objectif. Et la confiance insondable de son regard dans l’acceptation de la photo.
L’empathie, la compassion, des sentiments si naturels envers ses patients ne signifient rien pour elle-même. « L’inondation ». Francis ignorait la pertinence du titre de sa trouvaille.
– Ah ! Ma belle tu es là ! Ça va ? demande Elsa en embrassant son amie.
– Super. Je suis passée chercher mon bouquin. Tu as du nouveau toi ?
Plus de deux mois depuis la dernière tentative à la Clinique. Le laboratoire avait rendu son verdict. A la marelle, quand le caillou n’atterrit pas au bon endroit, on rejoint docilement le plancher des vaches, la case départ .
– Point mort ! décoche Elsa joignant le pouce et l’index en forme de zéro, la bouche plissée.
– Qu’est-ce-que tu comptes faire ?
– Attendre. J’arrête les médecins et les piqûres. Ça envahit tout, ça me ronge. Je vois le côté positif des choses. Ils n’ont rien trouvé. Je suis parfaitement opérationnelle il paraît. Ruminer est sans doute un antidote idéal contre l’ovulation. Bref je préfère éviter de ressasser sans arrêt. Et demain Pleyel ! Ça promet d’être superbe !
– Vingt heures, je passe te prendre si tu as envie ?
– Parfait. Je t’offre un café ?
– Non je m’échappe, mes consultations commencent dans une demi-heure.
– Prends soin de toi, à demain.
Varia emporte le paquet posé sur le comptoir et salue Francis.
Elsa lui trouve sale mine, les traits tirés. Varia sauvage, mystérieuse, égratignée, un bourreau de travail. Des semaines avant de l’apprivoiser dans leur première colocation d’étudiantes rue Montorgueil. Elle avait vingt ans, Varia vingt-deux. A force de patience, les mots et les silences avaient collé entre elles comme une partition. Ses livres de fac, la philo, les classiques et les contemporains que Varia piochait dans les piles et dévorait la nuit. Elsa ne pouvait pas regarder ceux de Varia sans avoir l’estomac au bord des lèvres. Les photos des maladies, les coupes anatomiques, les écorchés, un « petit musée des horreurs » fascinant et nauséeux.
La musique aussi. Varia n’écoutait que du classique, surtout Wagner et Bruckner à plein volume, fenêtres ouvertes pour faire bisquer le vieux de l’immeuble d’en face. Il gueulait « mort aux boches ! ». Alors elle se fichait une casserole sur la tête et mimait une marche militaire devant la fenêtre. Les soirs de ras-le-bol, Varia sortait la vodka du congélateur, remplissait des verres à moutarde avec des dessins de BD en couleur gravés dessus. Elle disait qu’un russe alcoolique c’était un pléonasme. De temps à autre, un spleen immense la submergeait. Elle demandait « joue moi Bach s’il te plait ». Alors Elsa exécutait les Suites au violoncelle. Ravalant ses larmes, elle l’intimait de continuer en agitant les mains. « Ne t’arrête pas ! C’est parce que je suis heureuse… ». La Russie dans toutes ces acceptions.
Le temp

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