Femmes d un siècle
164 pages
Français

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Description

Ce roman est la saga de femmes qui, de mère en fille, parcourent un siècle. L’histoire commence en 1868 pour s’achever à la Révolution de Mai 68. Toutes mènent avec courage, chacune selon ses moyens et les opportunités de l’Histoire, leur course au bonheur. La dernière de cette chaîne, est une enfant en Mai 68; sa mère, la narratrice, ne dit rien d’elle-même, mais projette pour sa fille une vie où l’homme et la femme, égaux en dignité, apprendront à se connaître et fonderont une société juste et heureuse. La fin n’en est pas moins mélancolique parce qu’il est bien difficile d’être heureux.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 07 juin 2012
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748385953
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0060€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Femmes d'un siècle
Colette Jacques Veaux
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Femmes d'un siècle
 
 
 
« Une marque est restée dans le ciel une trace éphémère à peine retenue pour l’instant de refermer les yeux le message effacé d’une âme dévêtue »
Jacques Veaux. Poèmes d’ici et d’ailleurs.
 
 
 
à ma fille, Françoise aux femmes de notre lignée à toutes les femmes
 
 
 
1968. Le début de la Révolution
 
 
 
Quand elle commence, cette histoire, Jeanne a sept ans et le mois de mai est très beau. Elle joue dans la cour de l’école, ou plutôt elle passe d’une cour à l’autre dans un groupe scolaire qui est immense à son échelle.
Elle a d’abord connu la cour protégée de la Maternelle et ses trois classes. Dans la première, on dort encore l’après-midi, sur un petit lit de camp, avec son doudou contre la joue pour attendre le retour de Maman et on est souvent plus proche par le cœur de la dame-pipi que de l’institutrice dont les cours savants de barbouillage s’engloutissent dans la mémoire oubliée. Dans la seconde classe, Jeanne a connu ses premiers déboires de société. La maîtresse disait à une collègue, en baissant la voix à son passage pour attirer son attention :
— Elle est vraiment très pâle, elle ne s’intéresse pas aux collages et… sa mère est divorcée.
La méchante langue ne manquera pas de prophétiser que quand on colle aussi mal la coquille d’œuf sur un carton, en classe maternelle, pour le cours préparatoire, ce sera dur. La méchante langue, gentiment mariée à un agriculteur du coin, regarde d’un sale œil cette mère libre et brillante qui roule en coupé Berton rouge et avec qui des jeunes ruraux du Collège disent les « Stances » de Rodrigue de leur plein gré.
Les classes primaires sont carrées, propres, bordées d’arbres qui les séparent des grands du Collège. En vélo, d’une cour à une autre on dispose de vastes circuits, les jours de congés scolaires. Au-delà du groupe scolaire commencent des zones en friches encore non bâties qu’on atteint en franchissant le talus couronné de souches.
Jean-Paul qui est grand – lui, il est au Collège – commande à tous les enfants des enseignants qui jouent dans ces cours et personne n’est en mesure de contester sa place de dominant. Il entraîne sa troupe dans de dangereuses expéditions dans les arbres, où il faut faire preuve d’équilibre, d’adresse et d’audace. En passant sur la grosse branche torse suspendue, la petite fille a peur de tomber dans les ronces mais elle le cache ; elle craint aussi de faire quelque chose de défendu. Force lui est donc de passer, pour avoir l’estime de Jean-Paul et de ne rien abîmer de sa personne ou de ses vêtements, ce qui trahirait les jeux interdits. D’ailleurs, elle peut passer et elle le sait, sans l’avoir pensé, qu’elle peut et qu’elle doit, parce qu’elle est née sans tache, qu’elle a su tout de suite respirer et téter et qu’elle s’est mise aussitôt à dormir avec application pour vivre et pour grandir, pour reprendre et enrichir le rêve prénatal qui l’instruisait, pour préparer son esprit aux concours futurs.
Le plateau avec son portique, ses agrès, ses sautoirs est séparé des petits, par un potager entouré de haies, privilège du Directeur du Collège. Même à la campagne, ce petit jardin est un anachronisme dans un collège et le Maire du bourg en conflit avec le Directeur s’applique à le rogner. Il propose au Conseil municipal d’ouvrir une piste supplémentaire pour la course ou le lancer. Malheur à l’élève qui enverra une balle dans les salades ; on croira toujours qu’il est un agent secret de la municipalité qui souhaite le départ du Directeur.
Jeanne est trop petite pour connaître ces conflits et parce qu’elle est petite, elle peut entrer dans le potager quand le Directeur soigne son stress par le jardinage. Il est content d’expliquer des choses étonnantes à une enfant attentive. Il lui détache de l’aisselle d’une plante à grandes feuilles, un tout petit chou :
— Croque, tu peux, il est sucré.
Elle obéit, on obéit aux grandes personnes, un peu surprise, un peu méfiante. Elle se souviendra de cette curiosité.
La cour du Collège est bordée de baraquements. Quand la République démocratique s’est avisée, après la guerre, que le savoir devait être le bien de tous, on a planté à proximité des écoles primaires, les baraquements où l’on avait cantonné des soldats ou relogé les victimes des bombardements. Des fonctionnaires de l’Enregistrement et des Domaines tenaient des fichiers de ces baraquements, où l’on pouvait suivre toute leur histoire, avec leurs usages et leurs emplacements, leurs achats par des communes ou des particuliers. Ils étaient là, provisoirement, séquelles de la guerre qui disparaîtraient devant des locaux neufs. Dans sa petite enfance, Jeanne ne verra pas d’autres classes « pour les grands ».
A quatre heures et demie, elle y rejoint parfois sa mère qui termine un cours ou joue au gourou avec trois ou quatre « troisièmes » curieux de littérature. Le plus souvent, elle préfère rentrer seule à l’appartement dans les bâtiments, en dur, du groupe scolaire.
De grands garçons, encombrés de leurs grands membres d’adolescents, chahutent sans la voir et quelquefois l’ont fait tomber. Ils ne sont pas méchants. Le maladroit la repose vite sur ses jambes, comme un vase renversé, avec un coup d’œil vers la fenêtre, inquiet que la propriétaire du vase ait vu la chute ou que le vase se mette à pleurer.
Jeanne n’a connu que l’école, comme une petite planète. On va à l’école, le matin, les enfants et les grandes personnes aussi, pas dans les mêmes classes, c’est tout. On habite à l’école, et le soir, Maman corrige des copies ; elle fait des zigzags rouges dans les compositions françaises. Il y a trois ou quatre ans, Jeanne apprenait à la Maternelle à représenter ainsi les vagues en bleu sous les bateaux et elle se demandait pourquoi Maman faisait la mer en rouge, dans les copies des élèves. Dans le bureau plein de livres, mais il y en a aussi dans les autres pièces, Maman travaille sur une grande table. Jeanne s’allonge dessous, sur le tapis, et elle lit.
Il y a quelques années, à l’âge de ces interrogations-là, elle avait demandé :
— A quelle heure est-ce que je suis née ?
— Tu es née, le matin, à huit heures moins le quart.
— C’était bien, comme cela, nous n’étions pas en retard pour aller à l’école, avait-elle répondu.
Jeanne lit des « mystères ». Tous les romans qu’elle lit entraînent les bons et les méchants dans la quête mouvementée d’un objet caché dont le nom est accompagné d’un adjectif de couleur qui sonne bien dans le titre. La trouvaille de l’objet, à l’avant-dernière page, résout l’énigme et assure le triomphe du bien.
Elle lit aussi, de la première à la dernière page, la grande encyclopédie rouge qui arrive pour elle, une fois par mois, par la poste. Elle passe, sans en paraître gênée, de l’étendard de Jeanne d’Arc sous les murs d’Orléans, à la carie dentaire illustrée par de redoutables bactéries, sautillant, l’air méchant, dans une bouche, pour y attaquer une dent à coups de pioche. D’autres pages montrent les premiers hommes, velus et tristes, accroupis autour du feu, les yeux pleins de questions sous le bourrelet frontal. D’autres encore sont des récits d’exploration. Jeanne a déjà voyagé, aux vacances, mais elle n’a encore rien vu ; elle est malade en voiture, et sur place, si elle aime l’eau, le soleil, les longues constructions de sable, elle est contrariée de ne pas comprendre la langue qu’on lui parle.
En promenade, elle s’intéresse peu à ce qu’elle aime dans les livres. On ne rencontre pas Moïse au Sinaï avant d’avoir lu la Genèse. Elle voyagera plus tard, quand elle aura lu. Il faut du temps pour explorer le monde par la pensée avant de le voir. Il n’y a pas d’autre malheur que l’ignorance. Elle a besoin de lire et de jouer pour apprendre.
Entre les baraquements du Collège et la clôture extérieure, il y a une zone interdite pleine de broussailles, de caillasse, de ronces, d’orties, de grandes calidoines qui fleurissent jaunes et tachent les mains si on écrase leurs tiges laiteuses. On peut même raisonnablement supposer qu’il y a des vipères. Cette zone est interdite aux élèves, quelques-uns s’y glissent par défi et ils ont arraché le grillage, déplacé le piquet qui en interdisait l’entrée.
Jean-Paul y mène sa troupe, le soir après le départ des élèves, ou les jours de congé, pour jouer à l’explorateur. Les dangers du terrain et l’interdiction enchantent les lieux.
Un jour, Jeanne y est allée avec Catherine qui est un peu plus âgée qu’elle. Les deux petites filles aiment bien parfois échapper à l’autorité du chef et à ses dures entreprises sportives, pour jouer entre elles deux, plus calmement et causer. Elles ont trouvé un oiseau mort. Il était comme endormi dans ses plumes soyeuses et un peu de vent faisait bouger, sur sa tête, un duvet léger comme la graine du pissenlit. Elles ont décidé de l’ensevelir et elles l’ont couché tendrement dans une boîte de fer-blanc qui avait contenu des bonbons. Elles ont placé sa tombe à l’ombre d’un bel arbuste épineux aux aiguilles sombres, près d’un mur. Si elles n’ont laissé aucune marque sur le sol, c’est pour mieux dissimuler leur secret, mais elles sauront, toutes deux, retrouver la place.
Elles avaient ensuite changé de jeu. Il faisait si beau, ce mois de mai-là. Les journées passées dehors étaient longues, longues… Elles savaient bien que ces vacances n’étaient pas normales et elles sentaient que les adultes étaient bizarrement angoissés mais le mond

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