Heureux qui, comme Agathe...
262 pages
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Heureux qui, comme Agathe... , livre ebook

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Description

Quand une dame de 90 ans décide, après un incident de santé, de se rassurer en choisissant de couler le reste de ses jours dans une maison de retraite, n’allez surtout pas croire qu’elle baisse les bras ! Pas du tout !

Quelque peu originale et d’un optimisme à tous crins, Agathe va révolutionner la vie aux « Charmilles » en tentant de faire partager aux pensionnaires de cet établissement ses bonheurs et sa gourmandise de la vie. Elle donne tout simplement la preuve qu’être heureux peut se décliner à tout âge et en tout lieu.

Entre les souvenirs de son grand amour, Victor, la visite régulière des membres de sa famille et un quotidien qu’elle embellit encore au gré de sa fantaisie, Agathe se construit ainsi un nid douillet. De quoi s’endormir chaque soir le cœur au chaud !

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 24 décembre 2015
Nombre de lectures 0
EAN13 9782334048729
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright
Cet ouvrage a été composér Edilivre 175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50 Mail : client@edilivre.com www.edilivre.com
Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction, intégrale ou partielle réservés pour tous pays.
ISBN numérique : 978-2-334-04870-5
© Edilivre, 2016
dicace
À toi, Déa, qui m'as fait naître à la vraie vie le jour où tu m'as adoptée et qui a veillé, jusqu'à plus de 102 ans, à mon bien-être, avec une tendresse, une patience et une confiance jamais prises en défaut. À toi, Jean-Pierre, qui m’as fait naître au véritable amour le jour où je t'ai rencontré et qui m'as permis de vaincre toutes mes angoisses, jusqu'à devenir une femme à part entière, amoureuse et heureuse. Que je vous aime!
Chapitre 1
À quatre-vingt-onze ans, après une première chute s ans gravité, hormis la peur engendrée rétrospectivement par une absence de quelques heures et l’impossibilité de se remémorer le point de départ de son malaise, Agathe Eubage avait décidé de rejoindre une maison de retraite af in de vivre paisiblement le reste de ses jours. Bien que tout fût rentré dans l ’ordre, comme le lui avait confirmé son médecin après un résultat satisfaisant de son bilan de santé, il n’empêchait que cet incident, peut-être pas aussi a nodin qu’il y paraissait, lui avait donné matière à réflexion. Puisqu’elle avait la chance d’avoir une tête qui fonctionnait encore bien, elle était convaincue que c’était le moment où jamais de prendre les bonnes décisions pour le petit bout de chemin qu’il lui restait à parcourir et ce, quelle qu’en soit la distance. Très lucide quant à l’amenuisement progressif de se s moyens physiques, même si elle préférait depuis fort longtemps les br ocarder plutôt que de les recenser avec force jérémiades, elle s’estimait heu reuse d’être encore ingambe. Si, comme elle le faisait remarquer en souriant, elle ne se sentait plus d’attaque pour la moindre compétition, du moins pouvait-elle profiter pleinement de la vie à sa façon. Et sa façon à elle consistait à s’adapter aux événements avec un optimisme qui, s’il lui avait parfois fait défaut e n certaines occasions, finissait toujours par refaire surface, tant il lui était che villé au corps. Sans compter que cette capacité d’adaptation lui avait permis tout au long de sa vie d’agir au gré de sa fantaisie sans la moindre appréhension, et de fa ire des choix qu’elle avait assumés, bon an mal an, sans avoir à s’en plaindre.
Aujourd’hui, en jetant un dernier coup d’œil à l’in térieur de la maison qu’elle avait occupée pendant trente ans avec Victor, son m ari, Agathe, un tantinet nostalgique, était néanmoins persuadée qu’elle avai t choisi la meilleure option possible. Après tout, il ne s’agissait que de passe r un nouveau cap, et elle en avait tellement franchi auparavant ! Bien sûr, elle était consciente que c’était le dernier, que son automne s’écoulait maintenant à gr ands pas vers l’hiver, mais elle avait profité de chaque saison avec une telle délectation qu’elle ne craignait pas plus les frimas que les grandes chaleurs, les p luies, les orages et tempêtes de toutes sortes qu’elle avait traversés. Évidemmen t, tout cet enchaînement climatique avait, chemin faisant, entraîné des bles sures et laissé de profonds stigmates dont témoignaient quelques pattes d’oie e t autres rides d’expression sillonnant harmonieusement son visage, comme pour s e porter garantes de son itinéraire. Elle, qui reconnaissait volontiers que la chirurgie esthétique faisait des miracles en matière de rajeunissement, n’avait jama is voulu y avoir recours, de peur de voir des années s’effacer, quand toutes lui avaient apporté quelque chose. De toute façon, en ce qui la concernait, l’â ge n’avait jamais été une obsession. Pas un problème non plus puisqu’elle avo uait que, dès son adolescence, elle s’était curieusement sentie intem porelle. Être bien dans sa peau à toutes les étapes de sa vie lui avait semblé beaucoup plus important, ce en quoi elle avait sans doute eu raison, car person ne ne lui aurait donné quatre-vingt-onze ans. Il faut dire que l’œil malicieux et le sourire comm unicatif d’Agathe n’avaient aucun mal à supplanter ses traits burinés, joliment encadrés par des cheveux blanc neige, raides et courts. Toute petite et très menue, elle n’avait rien perdu de sa coquetterie. Pourtant, au fil des ans, elle avait peu à peu troqué les couleurs
foncées de ses tenues de jeunesse pudibonde contre des teintes flamboyantes d’une femme qui n’avait pas craint d’assumer son or iginalité au grand jour, avant de recourir à des tonalités plus pastel, traduisant ainsi la sérénité qu’elle avait acquise et dont elle disait avec une certaine espiè glerie : « Ne vous y fiez pas, l’enveloppe change mais pas le contenu ! S’il est v rai que l’expérience permet d’apprendre à arrondir les angles jusqu’à trouver l e meilleur équilibre possible pour finalement vivre en paix, elle ancre aussi plu s profondément les traits de caractère. Sauf qu’elle le fait sans doute plus dis crètement. »
En regardant autour d’elle, pour voir si elle n’avait rien oublié, Agathe s’assura que sa valise était fermée, que son précieux ordina teur portable se trouvait à ses côtés et que son sac à main contenait bien le cahie r d’écolier qu’elle avait toujours conservé et dans lequel étaient écrits à l a main les poèmes et les chansons de son enfance et de son adolescence, qui lui tenaient toujours à cœur et qu’elle considérait aujourd’hui encore comme les rapporteurs les plus fidèles de sa vie. Elle les avaient gardés en l’état, même si elle en avait ensuite repris et travaillé certains. L’arrivée, même tardive – bien après soixante ans –, de l’informatique dans sa vie lui avait ouvert des hor izons dont elle s’émerveillait sans cesse. Le fait de pouvoir envoyer des mails à ses petits enfants où qu’ils soient dans le monde, d’en recevoir d’eux, de taper ses textes, de les corriger et de les corriger encore, jusqu’à ce qu’elle en soit satisfaite, lui donnait une impression de totale liberté. Depuis toute petite, elle avait couché sa mémoire e n vers, au gré de ses humeurs et les avait amassés comme une fortune, d’a bord en les écrivant sur un cahier, ensuite en les tapant à la machine à écrire , avec l’inconvénient d’avoir tout à réécrire ou tout à retaper à la moindre ratu re ou faute de frappe. Avec son Mac, toutes ces contraintes s’étaient envolées comm e par enchantement, lui permettant de consacrer plus de temps à l’écriture et un peu moins à la correction. Certes, il lui avait fallu quelques mois d’apprentissage pour maîtriser l’engin, mais elle n’avait jamais eu à le regretter . Quant aux amis qui s’étaient un peu moqués d’elle quand elle avait décidé – à son â ge – d’aborder cette nouvelle technologie, ils la regardaient aujourd’hui, pour c ertains, avec envie, les autres continuant à penser que cette vieille originale dev ait venir d’une autre planète.
Enfant trouvée, elle avait eu la chance à l’âge de six ans et demi et après maintes péripéties plus ou moins dramatiques, d’êtr e adoptée par Mélanie, institutrice à la campagne. Cette dernière avait dé couvert, un an plus tard, à l’occasion de la fête des mères, un billet de sa fi lle sur lequel était calligraphié avec grand soin :
Depuis que tu es dans ma vie, Je ne sais pas ce qui se passe, Mais plus rien ne me tracasse. Bonne fête, petite maman chérie !
Ta fille qui t’aime. Agathe
Mélanie, d’abord très émue puis intriguée par cette construction poétique, s’était demandé où elle avait pu trouver ces quatre vers. Après avoir cherché sans succès dans différents ouvrages qui reprenaien t des mots d’enfant, elle avait fini par lui demander : – Où as-tu trouvé ce si joli poème, ma puce ? – Dans ma tête ! avait répondu Agathe en la regarda nt d’un œil coquin et en
se tapotant la tempe de l’index, manifestement heureuse d’avoir impressionné sa maman. Devant la propension de cette enfant à aimer faire rythmer les phrases et rimer les mots, Mélanie lui avait offert, pour ses huit ans, son premier traité de versification, sans soupçonner alors que celui-ci allait vraiment devenir sa bible.
Agathe sourit au souvenir du bonheur qu’elle avait éprouvé devant la surprise de sa mère, et du magique petit dictionnaire des ri mes françaises, précédées effectivement d’un traité de versification qu’elle avait lu, d’abord sans trop comprendre, puis relu pendant des années pour bien s’en imprégner afin de se perfectionner dans la confection de ses écrits.
Quand la sonnette retentit, Agathe était fin prête pour une nouvelle grande aventure. Elle ouvrit à Lara, la fille de Victor, s on défunt mari, devenue sa fille adoptive et qui, aujourd’hui, devait l’emmener vers sa nouvelle demeure. Elles s’embrassèrent chaleureusement. Lara, la soixantain e bien conservée, était encore une fort jolie femme, dynamique, pétillante et très souriante. Mais son sourire, aujourd’hui, était empreint d’une certaine mélancolie. Agathe fit semblant de ne pas s’en apercevoir et lui dit tout de go : – Mes pauvres enfants, je vous laisse encore pas ma l de travail à faire pour vider entièrement la maison. Vous vous en sortirez ? – Ne t’inquiète pas pour ça, Agathe. Mais dis-moi, es-tu bien sûre de ne pas regretter ta décision ? Tu sais bien que nous pouvi ons envisager d’autres solutions. Pourquoi t’es-tu entêtée à vouloir aller dans une maison de retraite ? Tu es encore en pleine forme et tu risques de t’enn uyer dans une ambiance quand même peu vivifiante. – Écoute, ma petite fille, tu sais bien que je ne m’ennuie jamais. De plus je me sens tout à fait capable d’apporter un peu de gaieté à un environnement qui ne s’y prête pas vraiment. Si je tardais trop, je n’au rais même plus cette force. Et je préfère mille fois me retrouver comme au pensionnat, au milieu des gens de mon âge, plutôt que de m’isoler peu à peu à la maison e ntre une aide-ménagère et une infirmière qui finiront par me faire devenir ch èvre, à force de sollicitude. Sans compter que pour vous tous, ce sera aussi une tranquillité d’esprit. Vous ne serez plus obligés de m’appeler ou de passer chaque jour avec l’appréhension que quelque chose peut m’arriver alors que je suis seul e, comme cela s’est produit récemment. Là-bas, au moins, il y aura toujours que lqu’un pour me ramasser en cas de chute et pour s’occuper immédiatement de moi. C’est la seule solution que j’ai trouvée pour ne pas avoir peur. – Tu aurais pu venir vivre avec nous, la coupa Lara. – Ah ! Pas question ! C’est parce que je te considè re comme ma fille et que je t’aime comme telle que je ne voudrais pour rien au monde peser sur ta vie. J’ai follement aimé ton père pendant plus de trente ans. Ensemble, nous avons été si heureux ! J’ai déjà eu la chance qu’il ait eu une fille formidable qui m’a acceptée d’emblée et ouvert en grand les portes de sa famill e. C’est plus que je n’en espérais. Depuis sa disparition, les uns et les aut res, vous n’avez cessé de m’entourer, de me soutenir. Chacun doit vivre sa vie. Alors, ne te fais surtout pas de souci pour le reste de la mienne. Je n’aurai cer tainement pas suffisamment d’années devant moi pour savourer tous les souvenir s heureux emmagasinés au fond de moi. Et puis tu sais,
Au-dessus de ma cervelle Se trouve un joli grenier,
Où j’entasse, pêle-mêle, Mes souvenirs égarés, Et quand le ciel est maussade, Que je suis en plein émoi, En cachette je m’y hasarde Pour cueillir rien que pour moi :
Toutes ces gerbes de chimères, Bien soigneusement alignées, Qui, agréables ou amères, M’empêchent de me résigner.
Au-dessus de ma cervelle Se trouve un joli grenier, Il n’est pas besoin d’échelle Pour pouvoir y accéder ; Toi qui brûles de savoir Ce que j’y peux contempler, Ne mûris pas trop l’espoir De me dérober la clef.
Et puis mes gerbes de chimères Y sont tellement bien cachées, Que tu te perdrais dans la mer De mes fantasques chevauchées.
Au-dessus de ma cervelle Se trouve un joli grenier, Et il n’est pas d’étincelle Qui pourrait me le brûler.
Tu vois, tu n’as aucune raison de t’inquiéter ! Mes forces déclinant, la seule chose que je puisse encore espérer, c’est d’essayer d’apporter un peu de réconfort à des personnes âgées tristounettes ou en bien moins bon état que moi. Et crois-moi, c’est un programme d’activités s uffisamment chargé pour mon âge ! – Je n’en doute pas, répondit Lara en riant, tu n’a s jamais cessé de nous surprendre ! – Alors, on y va ! Le sourire de Lara avait retrouvé son éclat pour la grande satisfaction d’Agathe.
Quand elles arrivèrent à la grille du parc de la ma ison de retraite, à peine trois quarts d’heure après avoir quitté la maison, il éta it presque dix-sept heures. Le soleil éclairait encore les clématites en fleurs qu i encadraient la façade et lui donnaient un air de majesté solennelle. Des parterres, délimités par des allées de gravillons, rivalisaient de couleurs et de beauté. L’endroit était superbe, raison pour laquelle Agathe avait arrêté son choix sur ce havre de paix, dénommé « Les Charmilles » , niché à deux pas de la place d’un vi llage. Elle y était venue à plusieurs reprises et y avait à chaque fois été par ticulièrement bien accueillie. Après s’être renseignée auprès des autochtones, ell e avait acquis la certitude que ce lieu, presque de villégiature, pouvait encor e lui réserver de bons moments. D’autant plus qu’on n’y rencontrait que le s gens qui, valides ou non, avaient encore toute leur tête, les autres étant tr aités séparément, déjeunant et
dînant dans une salle à manger à part, et bénéficia nt de la sollicitude d’un personnel très spécialisé et fort discret. Cette dé marche, rarissime, avait d’ailleurs largement contribué à la bonne réputatio n de cet établissement qui, contrairement à beaucoup, faisait en sorte d’offrir aux personnes âgées et lucides un vrai lieu de sérénité. Ici, on se souciait vraim ent de leur moral, en évitant notamment de les mettre en présence de grands malad es atteints de gâtisme ou souffrant de maladies dégénératives avancées, comme l’Alzheimer ou le parkinson. Avec Lara, elles avaient visité pas mal d’endroits, mais toutes deux étaient tombé d’accord sur le charme de celui-ci qui, de l’extérieur, donnait l’impression d’une gentilhommière discrète et de bon goût. Agath e, très sensible à l’environnement, s’était immédiatement sentie à l’aise, séduite aussi par la grande allée de charmes qui menait à l’aire de stationneme nt et par le petit parc à l’arrière de la maison qui, bien arboré, offrait gé néreusement quelques bancs de bois sur ses sentiers et en dissimulait quelques au tres sous des abris de feuillage. Elle avait su, dès le premier coup d’œil, que ce le lieu serait idéal pour s’adonner à ses rêveries, aussi longtemps qu’elle pourrait s’y déplacer.
Elles furent accueillies dans le bureau de la direc trice de l’établissement, Madame Besson, une grande femme assez corpulente, d e toute évidence énergique mais très souriante, d’environ quarante-c inq ans. – Bonjour, Mesdames ! Tout est prêt pour vous recev oir Madame Eubage. Nous avons installé votre mobilier dans votre chamb re, mais bien évidemment si la disposition ne vous convient pas, nous pourrons l’aménager différemment selon votre désir. – Je suis sûre que vous avez fait pour le mieux et ça m’étonnerait que ça ne me plaise pas. – Nous allons voir cela tout de suite, répondit la directrice en se saisissant d’une clef et en leur demandant de la suivre. Elles montèrent dans un ascenseur qui les conduisit au deuxième étage, débouchèrent sur un palier où elles saluèrent deux vieilles dames, assises dans des fauteuils, qui conversaient dans un petit salon près d’une fenêtre, et prirent le couloir qui longeait les chambres sur la gauche, po ur s’arrêter deux portes plus loin, au numéro 33. Madame Besson ouvrit invitant Agathe et Lara à pénétrer les premières. Agathe fut très satisfaite de retrouver les quelque s meubles qu’elle avait décidé d’apporter avec elle : un très vieux coffre en chêne que lui avait offert sa mère, voilà plus de soixante ans, une bergère longtemps partagée avec Victor et qu’elle avait définitivement faite sienne après son départ, une table de jeu et quatre chaises en acajou, ainsi qu’un meuble de mêm e bois, dans lequel était dissimulée la télévision, la partie inférieure étan t destinée à du rangement. Sur la table, elle reconnut un vieux Sèvres dans lequel av aient été déposées quelques fleurs en guise de bienvenue, ce qui la toucha beaucoup. Elle se tourna vers la directrice pour lui dire : – Madame Besson, vous êtes une vraie fée, vous avez fait des miracles avec peu de chose, dit Agathe. – Je suis contente que cela vous plaise. Comme je v ous l’ai dit, rien n’empêche par la suite de modifier cet agencement à votre guise, quand vous aurez bien pris possession des lieux. Maintenant, je vous laisse avec votre fille, pour que vous puissiez ranger vos affaires et vous familiariser avec votre nouveau décor. Ce soir, nous vous servirons le dîne r à dix-neuf heures dans
votre chambre et, demain, nous vous expliquerons da ns le détail le fonctionnement de notre maison. Mais dites-vous bie n que nous vous laisserons tout le temps que vous jugerez nécessaire pour vous y adapter. Bonsoir ! À demain Madame Eubage et encore bienvenue aux « Char milles » ! La directrice s’éclipsa aussitôt. Agathe et Lara co ntinuèrent l’inventaire. Un lit à une place recouvert du joli jeté fleuri dans les tons pastel que Lara avait fourni en même temps que trois paires de draps, des servie ttes et des gants de toilette, complétait le décor. Face à l’entrée, une porte-fen être ouvrait sur un balcon, offrant une vue splendide sur le parc. Cette chambr e spacieuse, aux murs jaune paille, bien claire, donnait l’impression d’avoir p rofité de l’aménagement des meubles d’Agathe pour se faire tout à fait coquette. – Alors ! Comment trouves-tu l’ensemble ? questionna Agathe. – J’avoue que je ne m’attendais pas à ce résultat, répondit Lara. Tout a été disposé avec tellement de goût ! C’est plutôt rassu rant. Dis-moi, si nous rangions tes affaires avant le dîner ! – Bonne idée répliqua Agathe. Lara ouvrit le grand placard encastré dans l’entrée , dans lequel elle découvrit, déjà installés sur l’étagère du haut, le linge qu’e lle avait apporté quelques jours auparavant, ainsi que des couvertures de la maison et un oreiller. Juste en dessous, sur la gauche, une penderie, et sur la dro ite quatre tablettes, le tout de taille plus que suffisante. Elle installa chaque ch ose sous la directive d’Agathe qui, amusée, lui fit remarquer : – Si l’envie me prenait de compléter ma garde-robe, je ne manquerais pas d’espace ! Effectivement, quand tout fut soigneusement ordonné, elles constatèrent avec satisfaction que rien n’était serré et qu’il y aurait encore de la place si besoin était. Juste avant le placard, une porte coulissante donnait sur une salle de douche, toute carrelée de blanc avec lavabo, armoire de toilette, petite poubelle et w.c. Là encore, un drap de bain, une serviette et un gant de toilette avaient été placés sur le porte-serviettes et Lara n’eut qu’à vider et à r anger le contenu de son vanity-case. Agathe, confortablement assise sur la bergère, dema nda à Lara de poser la photo de Victor, face à elle, sur le meuble de télévision. – Je mettrai les autres après. Ce soir, j’aimerais passer ma première nuit seulement en compagnie de ton père. Tu ne m’en veux pas ? – Bien sûr que non ! D’ailleurs tu dois aussi prend re ton temps pour décider de leur emplacement. « Paris ne s’est pas fait en u n jour », disais-tu aux enfants quand ils se montraient trop impatients. – Oui, mais ce que je n’ajoutais pas, c’est que com me eux j’aurais pourtant aimé que ce fût possible. Elles éclatèrent de rire. Agathe adorait ces instan ts privilégiés au cours desquels, seule avec Lara, elle pouvait s’exprimer en toute confiance. Elle aurait pu rester des heures à l’entretenir de tout et de r ien. Mais, ne tenant à abuser ni de sa patience, ni de sa gentillesse, elle regarda sa montre et lui dit : – Je crois que tu ferais bien de partir maintenant. Dans peu de temps je vais avoir ma soupe et, toi, tu dois aller préparer celle des tiens. – Tu ne préfères pas que je reste jusqu’à ce que tu aies fini de dîner ? – Hé ! Je n’en suis pas encore au stade où il faut me donner la becquée. Non, non, je vais prendre mon succulent premier repas et faire honneur à la mémoire de ton père en prenant mon potage sans rechigner. Il va en être estomaqué !
– Agathe, comment fais-tu pour être aussi gaie et toujours positive ? – Il m’arrive, comme à tout le monde, d’avoir des moments de tristesse, mais, dans ces cas-là, je choisis de me terrer comme un c loporte sous sa pierre, broyant tout le noir qui est en moi, pour ne refair e surface que lorsque je suis de nouveau assoiffée de lumière. Quand j’étais petite, ma grand-mère adoptive me disait « Mieux vaut faire envie que pitié ». J’ai toujours pensé qu’elle avait raison. D’ailleurs chaque fois que je ressortais de mon tro u, je me sentais un peu plus joyeuse, un peu plus forte aussi, prête à nouveau à empoigner la vie.
Enfant, j’aimais par-dessus tout Me promener le nez au vent, Galoper comme un cheval fou, N’importe où et n’importe quand. J’adorais surtout les sous-bois, Je n’avais rien vu d’aussi beau… Et au plus fort de mon émoi, Je leur apportais en cadeau
Mon rire, Comme un torrent joyeux ; Je n’avais rien de mieux Que mes éclats de rire. Le rire, Si Dieu me l’a donné, Sans rien y ajouter, Alors ça doit suffire.
Plus tard quand on m’a vue flâner À l’âge où l’on n’a plus le droit, Je me suis sentie mal jugée Pour n’avoir pas construit de toit. Des gens à la colère prompte, Apôtres de la société, M’ont même demandé des comptes ; Alors j’ai laissé éclater
Mon rire, Car je n’avais rien d’autre Pour Messieurs ces apôtres Que mes éclats de rire. Le rire, Si Dieu me l’a donné, Sans rien y ajouter, Alors ça doit suffire.
Soupçonneux, ils sont repartis Pour ne plus jamais revenir. Peut-être qu’ils n’ont pas compris Ce que je voulais leur offrir. Je me sens riche malgré tout, La folie peut bien me frôler, Tous les enfants et tous les fous Comprendront ma joie de donner
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