La Fille aux chimères
133 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
133 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Capucine, dont le père Patrocle, homme peu fréquentable, est propriétaire d'un florissant domaine, a les jeunes hommes à ses pieds. Patrocle a dû congédier le dernier prétendant en date, Maïeul, un bibliothécaire qui faisait, l'été, un commis efficace et compétent, mais trop passionné par sa fille. Capucine en profite pour s'envoler au bras d'Agnel au sein d'une communauté aux moeurs douteuses qui finit par la retenir de force.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 24
EAN13 9782812914560
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0075€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Auteur de poèmes et de nouvelles, fin observateur d u quotidien qu'il retranscrit dans ses histoires,Thierry Bardotdéjà une bibliographie bien fournie. a Fille aux La chimères, son cinquième roman aux éditions De Borée, confir me avec brio ses talents d'écrivain.
Titre
THIERRYBARDOT LAFILLE AUX CHIMÈRES
Le Hameau des Tailles
Les Mauvaises Herbes
Les Méprises
Les Noces chagrines
Croque-Chenille
Des plombs, du sang
Du même auteur
Aux éditions De Borée
Autres éditeurs
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris.
©
, 2015
Du même auteur
LeS femmeS, voyez-vouS, ça complique beaucoup la vie…
Jean GIONO
Prologue
La Combraille, en région bourbonnaise. Août 1973. E PHÉNOMÈNE DURE depuis bientôt une quinzaine de jours. L Invariablement, ça commence par le même appel lanci nant venu du dehors. Une voix pareille à une poignée de sons froissés : « Capucine… » Et, comme toujours, Garitou se fige dans la vaste p ièce éclairéea giorno. Puis il écoute. Longuement, profondément. Son ouïe devient perçante, elle semble scruter le s ilence. À force de traquer le moindre bruit, il perçoit un grondement qui coiffe le lointain. Ça ne se prolonge guère. Bien que l'orage menace depuis la fin de journée, i l hésite à s'installer comme chez lui. Une épaisseur de nuages est venue engraisser le cie l, sans autre effet que celui d'assombrir le paysage. C'est banal dans ce coin précis de la contrée, une sorte de rituel insolite en somme ; c'est comme une promesse qu'on ne tient pas, une ca resse qui n'aboutit pas. « Capucine… » Cette fois, il se précipite vers la fenêtre la plus proche, qu'il ouvre à la volée. Malgré la tiédeur du crépuscule, la Combraille continue d' exhaler des parfums d'herbe grillée. Des tourbillons de crissements, des chants aussi lé gers que des bulles s'échappent de la toison jaune et rêche de la terre. L'été se veut torride et ne lâche pas le morceau. Au prix d'un bel effort, Garitou se penche au-dessu s de la pièce d'appui. Le sang bat sourdement à ses tempes, des nuées d'étincelles de cristal palpitent devant ses yeux. Il souffre d'une façon qu'il ne saurait décrire ; l e mal le happe au détour des heures sombres et ressemble à une brûlure qui ne proviendrait d'aucun feu. Ce mal ne prend appui nulle part. C'est pire quand le jour s'enfuit pour de bon. « Capucine !… Capucine !… Où es-tu ?… » Il voudrait crier sa révolte ; pourtant, aucune par ole ne parvient à franchir le bouclier de ses lèvres serrées. Des lèvres qu'il possède mol les, constamment humectées, sans couleur. « Garitou ! Vieux grigou !… Qu'est-ce que tu as fait de ta fille ?… » Une silhouette se faufile sous les grosses branches des chênes. De cela, Garitou nourrit la certitude absolue. Un frémissement le parcourt tout entier tandis qu'i l ne quitte pas du regard cet horizon si proche et inaccessible à la fois : jamai s il n'aurait osé s'éloigner de cette profusion de lumière dont il abreuve ses tourments nocturnes. La solitude l'étouffe ; cependant, la moindre prése nce humaine à ses côtés l'emplit rapidement d'effroi. C'est une terrible vérité. Il tend le cou vers l'obscurité et tente de crier :
« Tais-toi donc ! » Il n'a lancé qu'un murmure inutile, aussitôt fondu dans l'air au sortir de sa bouche. À l'intérieur de sa tête, c'est un chaos sans nom qui se déchaîne. Il sait que l'épreuve s'achève, qu'il va refermer la croisée d'un geste b rutal, se servir un autre grand verre de vin d'une main frémissante et se tapir au fond d e la pièce à la manière d'un animal effarouché. Puis, recroquevillé dans sa salopette bleue, le reg ard vide, il cessera presque de respirer jusqu'au retour du calme. C'est l'affaire de une heure, parfois deux.
I
Garitou et ses commis
L EST MINUIT PASSÉ lorsqu'un bruit ténu lui apporte un tressaillement. I Un crissement provenant de la porte d'entrée, peut- être… Ou de ses dents serrées, il ne jurerait pas du contraire. Aussitôt, histoire d'évacuer une ambiance qui le ro ngerait vite de l'intérieur, Garitou décide d'affirmer sa présence. Il a tôt fait de dép lier sa carcasse courtaude et robuste, dont on devine d'emblée la force et l'endurance. Il est noiraud de peau. Même quand le soleil le fra ppe en plein, on dirait qu'il conserve une parure de nuit sur lui. Des reflets d' ébène glissent sur ses cheveux drus et rebelles. À peine si sa barbe, dont il ne taille à grands gestes l'éternel brouillon qu'une fois la quinzaine, admet à contrecœur la pré sence de quelques tiges grisonnantes. Indiscutablement, en dépit des abus, il porte encore de façon gaillarde sa soixantaine bien pesée. En réalité, il s'appelle Patrocle. Depuis sa brutale entrée en veuvage, une vingtaine d'années auparavant, il a commencé à boire tout en élevant tant bien que mal sa fille Capucine, alors âgée de deux ans. La boisson a peu à peu remplacé sa femme, prénommée Magdeleine, jusqu'à imposer dorénavant une relation aussi immod érée que destructrice. Capucine a quelque peu grandi telle une sauvageonne , dans un environnement dénué de vrais et solides principes. On ne saurait évaluer le nombre de fois où elle a vu son père fin saoul s'écrouler finalement sur une couche de paille, pour d'interminables heures de ronflements répugnants qu e les murs épais de la grange ne parvenaient qu'à atténuer. Avisés de ce qui est devenu pour Patrocle une funes te habitude, et parce qu'aucun événement n'échappe à la sagacité des villages, les gens du pays ont rapidement rebaptisé leur congénère. Avec un sourire vaguement affectueux, chacun est donc convenu que le sobriquet de « Garitou », lequel dan s le patois du pays désigne un individu peu fréquentable, adhérait parfaitement au personnage. Ça n'a pas dérangé notre homme outre mesure. Il n'e n est plus à soigner les apparences depuis bien longtemps. Ce qu'il sait, c'est qu'il aimait sa femme. Ce qu'il sait aussi, c'est qu'il sacrifierait sans hésiter sa peau pour préserver celle de sa fille. Dommage qu'il soit resté incapable de mon trer la profondeur de ses sentiments à son égard. Car les sentiments de ce père blessé p ar le malheur et rendu sur la pente du déclin social, ce sont comme d'immenses vibratio ns venues du dedans de l'être qui coulent sur la vie avec la puissance d'un fleuve pu r. Mais Capucine a quitté le domaine telle une ombre furtive. Sans un mot, sans un geste.
C'était au printemps. Les genêts laissaient jaillir leurs touffes jaunes au creux des haies, aux lisières des forêts, le long des fossés. La jeune fille avait di sparu un soir alors que Garitou, encore
vaillant bien que s'étant largement imbibé, trimait dans les bâtiments. Il assurait seul les différentes besognes depuis qu'il s'était sépar é sur une violente bousculade de son dernier commis. L'affaire s'était nouée une dizaine de jours aupara vant. Agnel se trouvait absorbé par une tâche qui le déta chait du reste du monde ; profitant d'une encoignure aussi discrète que compl ice, le garçon faisait courir ses mains avides sous la robe de Capucine, laquelle ne semblait pas contrariée. Un beau brin de jeunesse, Capucine. La bonne taille pour la plupart des hommes, des for mes qui font éclore d'infinies envies de chatouillis, un visage gracieux sous une opulence de mèches châtaines, des lèvres sur lesquelles flotte en permanence un ourle t de fausse candeur, un regard vert de chatte d'une clarté qui chasserait les pires col ères. « Jolie pièce, vraiment ! déclarait fréquemment la mère en observant sa toute petiote. Trop jolie déjà, que de tracasseries bientôt… » En ce temps-là, Garitou se contentait de hausser le s épaules ; comment une fille, la sienne en l'occurrence, un bébé encore, pouvait-ell e être trop jolie ? Mais c'était il y a longtemps, bien avant les premiers émois de l'adole scence. Aujourd'hui, face à sa fille majeure et plus épanou ie que jamais, il a déchanté et n'étale plus sa fierté. Capucine étourdit les homme s et ne paraît pas disposée à ménager sa vertu outre mesure. Des hommes, certes, il en a vu passer quelques-uns, trois ou quatre, qui méritaient honnêtement une telle appellation. Des présences pl us ou moins éphémères, toutefois, incapables de combler très longtemps les exigences de sa fille. Garitou a eu beau tempêter, sermonner ou supplier s elon son humeur du moment, rien n'y a fait ; l'effrontée n'a écouté que la voix malsaine de son tempérament. « Et si tu te retrouves grosse, hein ? a-t-il marte lé. Y penses-tu ? Bah, je laisse ce genre de problème aux bécasses… J e sais y faire, moi… » Alors le père s'est refusé à en entendre davantage. L'argument lui a cloué le bec et l'a incité à clore le débat. Avant Agnel, juste au bout de l'été précédent, il a vait accueilli au domaine un dénommé Maïeul. Un jeune gars costaud, pas cossard pour un sou et généreux d'un bagout qui gommait l'ennui. Avec ses cheveux à pein e trop longs, très noirs, et son regard sombre qui ne se dérobait jamais, il avait t out de suite plu au paysan. Garitou l'avait embauché sur les chaudes recommandations d' une vieille connaissance qui n'avait plus l'âge de maintenir son activité d'élev eur. Capucine s'était aussitôt éprise du nouveau venu. C'était à craindre et, d'ailleurs, Garitou ne nourr issait que de frêles illusions à ce sujet. Mais il n'avait pas envisagé une telle impét uosité amoureuse sous son toit ; seule une petite quinzaine de jours a suffi pour qu e la relation lui devienne carrément insupportable. Finalement, le ton ferme mais la têt e pleine de regrets, Garitou a dû se résoudre à se séparer de cet employé hors pair. Peu à peu, le domaine a recouvré son rythme habitue l. Capucine ne surmontait que difficilement les effets néfastes du départ précipité de Maïeul. Quelques mots franchissaient souvent ses lè vres. Au mieux : vide, gâchis… Au pire : trahison, injustice… Soulagé et désemparé à la fois, le père a courbé l'échine, attendant stoïquement que la paix reprenne ses droi ts autour de lui. Il a dû patienter jusqu'aux limites de l'automne.
Puis, un matin encore décoré de gelée blanche, Agne l s'était présenté de lui-même au domaine. Il cherchait l'embauche. Garitou l'avai t jaugé d'un œil critique. L'arrivant n'inspirait pas tout à fait la même confiance que M aïeul, c'était même loin du compte que de le dire avec autant de retenue. Agnel n'était pourtant pas si vilain garçon. L'expr ession de son visage aux traits marqués pouvait même devenir agréable lorsqu'il sou riait. Il était brun également, mais il ne possédait pas le hâle particulier de son préd écesseur, ce teint inimitable que fabriquent les intempéries autant que le grand sole il et ne partagent que les gens voués au grand air. Animé ou pas, son regard marron laissait indifférent ; au mieux, il suscitait la méfiance. Surtout, il y avait cette dé gaine d'échalas qu'il affichait sans vergogne ; on formait presque des scrupules à confi er des tâches un peu rudes à ce gringalet qui se prétendait capable de tenir le rôl e d'un bon commis. À cette saison, le domaine vit au ralenti et ne cro ule pas sous la besogne. Toutefois, les journaliers ne se pressaient plus du côté de la Grabaudière ; la réputation peu avantageuse du patron s'étendait mai ntenant au-delà de la contrée. Garitou avait engagé Agnel sans se donner le temps de réfléchir. Les jours suivants, malgré lui, il n'avait cessé de surveiller les faits et gestes de sa fille. Capucine se tenait tranquille. Elle ne posai t plus ce masque de contrariété qu'elle s'était façonné en guise de représailles, mais elle se tenait tranquille. Le père n'en demandait pas plus. On aurait juré qu'elle ignorait la présence d'Agnel sur l'exploitation. Garitou eut le tort de laisser poindre des signes é vidents de satisfaction. Du jour au lendemain, Capucine entra de nouveau dans les manig ances. Agnel se laissa distraire avec une facilité déconcertante, à croire qu'il ne guettait que l'instant où la fille daignerait enfin lui destiner ne fût-ce que le plus flou des sourires. Le couple opérait avec une habileté indéniable. Le père capturait parfois d'un coup d'œil avisé des attitudes douteuses, mais jamais ré vélatrices. Ce jeu du chat et de la souris, pénible pour l'un e t excitant pour les autres, a perduré jusqu'au trop-plein de hardiesse libéré par le comm is dans l'encoignure d'une porte de la remise. Contre toute attente, Capucine semblait se débattre, repousser l'étreinte devenue trop pressante ; sans doute le jeu de dupes franchissait-il cette fois-ci les limites qu'elle avait fixées. Ce jour-là plus que les autres, Garitou avait vu au ssi rouge que ce produit de mauvaises vignes qui ne parvenait jamais à l'affaib lir. Il avait saisi Agnel par les épaules puis, d'une poussée irrésistible, l'avait p rojeté loin dans la cour. Lorsqu'il s'était relevé, le commis montrait des yeux luisants de hai ne. Sur ses gardes, prêt à en découdre, le paysan s'était posément planté entre s a progéniture recroquevillée contre le mur et son employé bouillonnant d'une rage à pei ne contenue. « Tu devrais pas y revenir ! » avait conseillé Garitou d'une voix de maître. Prudent et plus craintif qu'il ne le laissait croir e, Agnel avait pris le temps de soupeser les ressources de son adversaire ; non, dé cidément, il ne s'était pas senti de taille à affronter cet homme lourd et massif. Il lu i manquait bien une vingtaine de kilogrammes sur la balance pour espérer obtenir gai n de cause. Ce constat l'avait sur-le-champ privé de toute velléité de bagarre. « Bon ! T'as plus qu'à décamper ! » avait ajouté le paysan. D'un coup, sans doute afin de se ravigoter côté fie rté, le garçon s'était dressé dans ses godillots de travail : « Quand même, vous me devez pour ainsi dire ma sema ine ! T'en auras la moitié si t'insistes pas.
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents