Le Voyage
192 pages
Français

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Description

Laure est une épouse et une mère aimante et dévouée qui se consacre presque exclusivement à Armand, son mari, et à ses trois fils adolescents. Mais dans cette famille si paisible en apparence, il règne une bien étrange ambiance : Armand est paternaliste avec sa femme mais distant avec ses enfants, l'un des fils semble en vouloir à la terre entière et Laure, qui a renoncé à bon nombre de ses rêves, redoute de voir ses enfants grandir et de perdre son paradis. La famille est donc en pleine crise lorsque l'énigmatique Joaquim, musicothérapeute, entre dans la vie de Laure. Sur fond de musique, Laure incarne parfaitement les mouvements de la vie : l'érosion du couple confronté au temps qui passe, les difficultés à dire, les tourments adolescents et les petites déceptions qui jalonnent la vie. Ainsi, dans son roman, Agnès Marin livre avec tendresse, poésie et humanité toute la complexité des liens familiaux, et porte une observation fine et pertinente sur les aléas du cœur d'une femme qui s'interroge sur sa propre vie et ses aspirations les plus profondes, nous offrant ainsi un voyage intérieur qui dévoile des émotions universelles.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 26 juin 2014
Nombre de lectures 0
EAN13 9782342024135
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0067€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Voyage
{:name=>Agnès
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Le Voyage
 
 
 
À mon père.
 
 
 
 
« D’abord il m’a semblé que je connaissais cette musique […]. Il me semblait que cette musique était la mienne, et je la reconnaissais comme tout homme reconnaît les choses qu’il est destiné à aimer […]
J’ai senti toute la majesté d’une vie plus large que la nôtre […], l’orgueil et la jouissance de comprendre, de me laisser pénétrer, envahir, volupté vraiment sensuelle, et qui ressemble à celle de monter dans l’air ou de rouler sur la mer […]. Ce sera, si vous voulez, le cri suprême de l’âme montée à son paroxysme […]
Depuis le jour où j’ai entendu votre musique, je me dis sans cesse, surtout dans les mauvaises heures : « Si au moins je pouvais entendre ce soir un peu de Wagner ! »
Charles Baudelaire, extrait d’une lettre à Richard Wagner (1860)
 
 
 
 
 
 
 
Ils quittèrent la maison à pied, sans se retourner, longèrent l’impasse à rebours. La première rue défila – celle qu’ils prenaient en voiture pour aller vers la ville. Ils bifurquèrent à gauche, vers le bois.
Armand marchait vite. Laure voulut lui crier de l’attendre mais pour l’instant elle avançait les yeux baissés, dans une sorte d’urgence comme un nageur luttant pour regagner la rive.
Au début du sentier, un ordre mystérieux lui commanda de lever les yeux et d’accueillir toute la lumière qui descendait sur elle. Elle respira. Une ombre verte courait le long des arbres. Contre le ciel, un soleil tiède tissait un voile jaunâtre qu’effacerait bientôt le souffle de la brise.
Ils s’enfoncèrent dans le bois. Devant elle, Armand maintenait la distance, semblait marcher à l’aveuglette sur ce chemin qu’ils avaient tant de fois arpenté aux sorties des dimanches. Il faisait un calme remarquable. La voix de Laure retentit.
— Regarde ! Il n’y a encore personne !
Les épaules d’Armand remuèrent à peine. À cette heure, les gens étaient encore à table. Elle le rattrapa, retrouva son visage.
— On a bien fait de partir vite, non ? confia-t-il en souriant.
Son ironie légère la grisait. Ils étaient enfin seuls.
— On va jusqu’à l’étang ?
Il prit sa main, l’entraîna. Elle n’allait pas revenir en arrière, repenser à la table qu’ils n’avaient pas débarrassée, à la vaisselle qui restait à faire.
— C’est le premier jour du printemps, glissa-t-il à son oreille.
Dans la bouche d’Armand, ces mots pouvaient surprendre. L’homme discret, rétif à tout effet de style, faisait-il un effort pour la convaincre de lâcher le collier de fer qu’elle emmenait avec elle ? Ou bien passait-il, comme elle, dans cette poésie qui l’habitait depuis toujours ? Elle l’avait suivi. C’était lui qui avait créé la surprise en orchestrant cette promenade en amoureux. Et la sente, comme pour en souligner l’intime nature, devint plus étroite et sinueuse.
— On peut aller plus loin. On a tout notre temps.
L’étang apparut entre les branches, figé comme en hiver. Le cœur de Laure se mit à battre.
— Une autre fois, dit-elle en sentant l’émotion ranimer sa fatigue.
Et ils allèrent s’asseoir sur le vieux banc où, autrefois, ils emmenaient les enfants. Devant eux, au-dessus de l’eau, la branche fleurie d’un arbre ondulait avec grâce.
— Tu as vu ?
Chaque année, la venue du printemps suscitait chez Laure une joie plus forte qui ne cessait de l’étonner. Son bonheur, c’était de peindre avec des mots cet éblouissement que le temps ferait vite disparaître.
Le silence revint. La contemplation de l’arbre avait effacé sa fatigue. Armand, qui l’avait écoutée sans rien dire, fit remarquer qu’elle était bénie pour connaître un remède aussi simple. Il souriait comme s’il n’y croyait pas mais il disait aussi que les images qu’elle employait ne lui seraient jamais venues à l’esprit. Son incrédulité semblait toujours primer sur le compliment.
— Tu entends ?
Un oiseau chantait. Armand se leva.
— C’est beau, n’est-ce pas ? dit-elle dans un élan.
— Tu te répètes.
Elle frissonna. Peut-être le lassait-elle…
— Tu es fatigué ?
— Non.
Il avait repris la marche. Il avait dû sentir la légère nervosité de la question que posait Laure quand elle ne comprenait pas sa réaction. Elle avait la manie de mal prendre un froncement de sourcils, tout ce qui évitait la parole. Tant qu’il ne répondrait pas, la question en appellerait une autre. Laure s’échaufferait. Armand soutiendrait qu’il n’y avait rien. Et il aurait raison. Dans ce lieu où ils étaient venus chercher la paix, où le miracle du printemps s’offrait à eux, toute explication serait bannie.
Il allait devant elle, sans regarder si elle venait. Elle remarqua qu’il avançait sans lever les yeux, sans se laisser distraire. Son pas, mécanique, était celui d’un homme au milieu de la foule, cherchant à lui échapper.
— Armand !
Une image lointaine glissa devant ses yeux : celle de la première fois où il l’avait embrassée. C’était dans une forêt. En marchant sans l’attendre, sans se retourner, il semblait lui imposer la distance de ce temps-là. De dos, sa silhouette était toujours la même. Un soleil léger l’encadrait, le déifiait comme un jeune homme. Laure imagina un jeu. Elle pouvait en courant l’attraper par-derrière, plaquer ses mains sur son visage. Comprendrait-il la devinette ? Pourrait-elle l’embrasser ? Il n’attendait que cela, qu’elle le surprenne. Mais le joli sursaut dans sa poitrine retomba. Même ici, loin des regards, ce n’était pas possible. Cette lubie qui éblouissait son âme quelques secondes, la projetait dans un intemporel merveilleux, ce paradis perdu des commencements, qu’elle aimait faire revivre pour défier la lourdeur un peu grise des habitudes, céda la place à un étrange malaise. L’envolée de joie et de baisers n’aurait pas lieu. Mais il y avait le repos – ce repos auquel elle aussi aspirait depuis longtemps. Il l’emmenait avec lui sur cette île, dans une solitude aimante, dont elle était l’élue. Elle le rejoignit, marcha près de lui sans lui prendre la main. Le chemin tourna dans une clairière. Armand, avisant une souche, lui proposa galamment de s’asseoir, trouva pour lui un arbre mort. Puis, tournant la tête vers le sous-bois, il partit comme en prière. La voûte dessinée par les branches se couvrirait bientôt de feuilles, découpant dans le ciel comme un vitrail. Une cloche lointaine battrait le rappel de l’heure mais ils ne l’écouteraient que pour l’imaginer valsant à la cime d’un arbre.
Leur amour tenait dans cette suspension au temps, dans l’inertie de leur corps. C’était cela qu’Armand voulait faire durer. Le désir de Laure n’avait plus d’importance. La cloche au loin ne sonna pas. La rumeur printanière continua d’enfler, mêlée de chants d’oiseaux. Il y en avait un qui s’enivrait toujours du même couplet. Quand elle en parlait, cela faisait rire les enfants.
— On y va ?
Armand lui faisait face. Un sourire éclairait son visage et le rendait soudain si proche. Le charme de l’instant était passé, mais aussi la fatigue qui l’avait précédé. Armand réglait tout comme un métronome, équilibrait la vie de Laure en la remettant au pas. Il voulait repartir. Comme elle hochait lentement la tête :
— Tu veux attendre encore un peu ?
Elle soupira. Attendre quoi ? De retrouver ses forces à elle ? Pour dire ces impressions qu’elle contenait pendant toute la promenade et qui enchantaient sa vie ? Ou qu’il l’embrassât et, pourquoi pas, la ramenât dans ses bras jusqu’à la maison ?
— Non, dit-elle d’un air absent.
Elle se leva, sentit, dans les trois pas qui menaient jusqu’à lui, un vide s’ouvrir. Physiquement, il ne l’avait pas encore soutenue, pas même prêté son bras. Il souriait toujours, l’appelait à la douceur. Laure vacilla.
— Excuse-moi, excuse-moi ! s’écria-t-elle en s’effondrant contre sa poitrine.
À l’épreuve du silence, elle avait cru qu’il ne voyait, n’entendait plus le monde à travers elle, la promenait par devoir. Mais maintenant, elle réparait cette erreur. Il lui avait montré comment on pouvait laisser passer l’orage autrement, sans se parler. La main d’Armand passa dans son dos, son bras l’enveloppa doucement. Elle avait encore tant à apprendre de cette patience qu’elle avait prise pour de la dureté.
 
Quand Armand l’avait sortie de force de la maison, elle avait crié. C’était à peine si elle se souvenait de la cause. Il l’avait sauvée, c’est sûr, d’une colère de plus dont la violence l’aurait anéantie dans le regret, la culpabilité. Elle se coula dans le fauteuil. Le salon était calme. Les enfants étaient sortis. En leur absence, la pièce sembla plus vaste. Laure songea tout à coup qu’elle pouvait encore l’embellir. Mettre un rideau plus clair, des fleurs sur la table – de cette gaieté qu’elle sacrifiait à force de vouloir colmater les brèches du quotidien.
— Où sont-ils ?
Dans la question d’Armand, elle ne put s’empêcher d’entendre l’écho de sa propre voix. Autrefois, elle s’inquiétait. Pour un rien. Armand avait bataillé contre et il avait fallu attendre l’adolescence pour qu’elle daignât lâcher du lest. Mais Armand la posait par réflexe. Il n’était pas inquiet. Leurs trois fils étaient grands. Il pensait sans doute que la maison était devenue trop petite, que la gaieté naturelle de leur âge, leur soif d’un monde nouveau, ne pouvaient plus s’en satisfaire.
— Ils sont chez des copains.
— En tout cas, ils seront là avant huit heures, dit Armand qui reprenait les commandes.
Il la rappelait à leur devoir de vigilance, lançait le compte à rebours. Laure avait besoin de souffler. Certes, ils pouvaient rentrer à l’improviste mais p

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