Mises à nu
117 pages
Français

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Description

Alexis est depuis sa plus tendre enfance fasciné par le plus petit mot de la langue française, le mot « nu ». Et depuis lors il le conjugue sous toutes ses formes, jeune gamin, adolescent, adulte et même plus tard. Toujours autant fasciné, Alex marie nu avec désir, plaisir, érotisme et recherche de soi-même.

Informations

Publié par
Date de parution 08 mars 2019
Nombre de lectures 30
EAN13 9791029009235
Langue Français

Extrait

Mises à nu
Gilles Déhat
Mises à nu
Les Éditions Chapitre.com
123, boulevard de Grenelle 75015 Paris
© Les Éditions Chapitre.com, 2019
ISBN : 979-10-290-0923-5
À M., ici bas, sur cette Terre, et l’au-delà, s’il existe.

« Vous êtes ici et vous êtes là,
et vous êtes en vie. »
Daniel Mendelsohn,
L’étreinte fugitive .

« Si notre vie est vagabonde,
notre mémoire est sédentaire. »
Marcel Proust,
À la recherche du temps perdu,
Le temps retrouvé .


« Ce qui me tue dans l’écriture,
c’est qu’elle est trop courte.
Quand la phrase s’achève,
que de choses sont restées au-dehors ! »
Jean-Marie Gustave Le Clézio,
Le livre des fuites .
Avant ­propos
Le présent ouvrage se veut être un roman. Les situations sont donc toutes inventées et les personnages sont tous fictifs. Par contre, les lieux géographiques sont bien réels.
Nu
Mettre à nu. Mises à nu. Nu est l’un des plus petits mots de la langue française. Deux lettres qui forment un si petit mot. Il n’est pas le seul à se composer de deux lettres. Il est accompagné de « if », de « or » ou bien de « ru ». Mais nu a la particularité de son u final. Prononcer « if », « ru » ou « or », ça claque entre les lèvres. « If » nécessite de mettre les lèvres à l’horizontale, « or » d’aller chercher l’air au fond de la gorge. Par contre, nu est fascinant : « elle est allongée nue sur son lit » ou bien « il est entré dans la pièce entièrement nu », ici u impose que la bouche s’arrondisse, que les lèvres forment un rond parfait et que l’air glisse ainsi par le petit trou, aussi se prolonge-t-il indéfiniment et « nu » devient un « nuuuuuuuuu » allongé, languissant. C’est sensuel, ça peut être excessivement érotique, le u de nu frappe fort. Mais attention, nu de va-nu-pieds n’a pas cette même sensualité ; nu, ici, est bref comme un coup de règle. Nu n’est porteur de ce message sensuel que lorsque la finale s’allonge indéfiniment.
« Nu » m’a depuis des années accompagné dans mon existence. Je ne sais plus à partir de quand, mais ma mémoire a enregistré des événements qui probablement dès l’enfance ont imprimé « nu » de manière indélébile quelque part dans mon cerveau.
Vivre nu est impossible chez nous, à cause du climat déjà, mais aussi des contraintes sociales. Cela n’empêche pas d’aimer être nu et de tenter de l’être autant que faire se peut. Lorsque j’ai quitté la famille après mon bac pour suivre mes études, je me suis retrouvé à devoir gérer mon existence tout seul. Tout seul dans une chambre à moi, tout seul à gérer mon budget, seul à vivre en fait. Ma première décision d’être humain devenu responsable de lui-même a été de ne plus porter de pyjama la nuit, et de dormir nu. Tout nu. Depuis ce moment, je n’ai effectivement plus jamais dormi avec un pyjama. Nu, entièrement nu, chaque nuit j’ai savouré et je savoure encore le glissement de mon corps entre les draps, le frottement du tissu sur la peau, sexe et fesses en particulier. C’est un de mes moments les plus délicieux de la journée surtout lorsque les draps ont été fraîchement lavés et repassés. Lorsqu’ils sont encore imprégnés des odeurs du dehors, odeurs du vent, des feuilles, de la terre, que l’air a incrustées. Ou bien lorsque ce sont des draps de lin, hérités des trousseaux de grands-parents et découverts dans une vieille armoire.
Cet adieu au pyjama a connu de rares distorsions. Rares mais délicates. Lorsque j’ai dû aller passer les journées de sélection en amont du service militaire, il fallait rester deux jours à la caserne et donc devoir y dormir. Pyjama obligatoire, pensais-je. Je me voyais mal me lever le matin au son du clairon et sortir du lit tout nu au milieu de la chambrée. J’ai dû emprunter un pyjama à un de mes amis étudiants, plutôt corpulent cet ami. Je ne crois pas qu’il ait bien compris mon aversion pour le pyjama. Mes explications sont restées peu claires dans sa tête mais il m’a prêté un des siens. J’ai donc dormi, plutôt mal, ces deux nuits en pyjama. Trop grand, des couleurs insupportables, des boutons à n’en plus finir, un vrai sac à patates.
L’autre épisode dont j’ai le souvenir a eu lieu lorsque j’ai dû subir une opération. Je suis arrivé à la clinique avec dans ma valise un beau pyjama tout neuf, tout beau, à ma taille, une couleur très pastel. Lorsque l’on m’a ordonné de me mettre au lit, on m’a gentiment demandé de laisser le pyjama dans son sachet d’origine, et prié d’enfiler une espèce de blouse en lin, rêche, blanche, fermée par des lanières derrière le cou et le dos. C’était plutôt une blouse qu’un pyjama, ou mieux une grande brassière, qui arrivait au niveau des fesses, cachait à peine le sexe à condition de ne pas lever les bras en l’air. J’étais presque nu, mais pas entièrement nu. Le contexte ne prêtait de toute façon pas à l’érotisme. Néanmoins une petite touche s’est présentée lorsqu’une jeune infirmière, stagiaire apparemment, est entrée dans la chambre et m’a annoncé qu’elle venait pour me raser. Ce qu’elle a fait délicatement en relevant cette chemise de nuit jusqu’au menton. Je lui ai proposé de l’ôter, peut-être était-ce plus simple que je sois totalement nu, mais en rougissant elle m’a dit que le rasage était très localisé, sur mon pubis et mes cuisses, et qu’il n’était pas nécessaire de dégager le torse ni les bras. Le glissement du rasoir sur le pubis et le sexe a été une toute nouvelle expérience.
Je ne pense pas être un obsessionnel du nu. On dirait aujourd’hui être accro à la nudité. C’est vrai, j’adore être nu moi-même. Dépouillé des vêtements, ressentir les sensations offertes par la lumière, le vent, la pluie, la chaleur du soleil ou le rayonnement d’un feu de bois, ressentir ces sensations sur tout l’épiderme est un plaisir fabuleux. Les situations pour vivre cette luxure personnelle me font sourire tant elles ont été variées, cocasses ou même dangereuses. Parfois je me demande si je suis seul à aimer nu et à vouloir être nu à ce point ? Aimer le mot, et aimer être nu. Ce petit mot qui peut cacher tant de choses derrière ses deux lettres. Et puis mettre à nu, c’est aussi dévoiler, et se mettre à nu, se dévoiler…
Claire
Ma mémoire, comme tout un chacun, est devenue fonctionnelle quand j’avais 3 ou 4 ans. Auparavant, c’est le néant total ; je n’ai qu’une photo prise lorsque j’avais un an ou presque, où je suis entièrement nu. L’atmosphère devait être sympathique parce que je suis très souriant sinon hilare, avec à mes côtés un gros nounours aussi grand que moi (et que j’ai gardé comme compagnon de vie très longtemps, bien au-delà de cette période vide de souvenirs). Sur cette photo, ma nudité ne semble pas me gêner, apparemment je la vis (déjà) très bien.
Mon premier souvenir d’un vécu nu est remarquable : c’est un souvenir tout en couleur, j’avais cinq ans. Peu de temps après la guerre, mes parents vivaient dans un quartier particulièrement traumatisé par les bombardements, dans un petit appartement avec un toit en tôle et des pièces biscornues et rafistolées. Je me souviens de la cuisine avec une énorme cuisinière (mais les proportions sont probablement relativisées par ma taille) qui marchait au charbon et qu’il fallait alimenter régulièrement ; je me souviens de l’avoir alimentée un jour avec mes cubes en bois, au grand dam de ma mère qui a monté en courant les escaliers lorsqu’elle a vu de la grosse fumée noire et d’énormes volutes s’échapper de notre cheminée.
Dans la rue, il y avait beaucoup d’enfants de mon âge. Michel, Jeannine et Claire sont les prénoms que j’ai encore en souvenir. Surtout Claire, parce qu’elle m’aimait bien et moi je l’aimais bien tout autant. Michel était un braillard, qui possédait une vaste panoplie de gros mots. Sa fréquentation n’était pas recommandée par nos parents. En face de chez nous, de l’autre côté de la rue, il y avait une grande maison. Au premier étage vivait une famille, celle de Claire, dans un grand appartement, beaucoup moins délabré que le nôtre. Je me rappelle cette grande pièce, avec un magnifique parquet en bois, un grand sofa couvert de coussins, des gros et des petits, de couleurs plutôt sombres mais tout doux au toucher.
Ce jour-là, c’était une belle après-midi d’été. Les volets de la grande pièce de la maison de Claire étaient fermés à moitié, laissant passer quelques rayons de soleil, et apportant une lumière chaude et semi-transparente à cause des brins de poussi

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